Ce chant, ce pourrait être celui des Sirènes capté jadis par Ulysse : le murmure des mille voix d'une mer très antique - la Méditerranée - habituée à confier ses secrets aux hommes qui vivent sur ses rives.
C'est cette confidence familière venue du fond des âges que Norman Lewis, Anglais si l'on en croit son passeport mais surtout citoyen du vaste monde, a recueillie au lendemain de la guerre à la faveur d'un séjour de plusieurs années dans un petit port catalan oublié par l'histoire... Nous découvrons avec lui un village qui vit comme au temps d'Homère ; un repère de païens farouches que le christianisme a à peine touché.
On n'y supporte la présence du curé que parce que celui-ci entretient une maîtresse au su de tous, ce qui est dans l'ordre juste des choses. On s'y proclame " rouge " de coeur, mais ce socialisme-là n'est recensé dans aucun livre. L'alcade désigné par Madrid fait semblant de diriger les jours de cette petite société, mais dans la réalité, c'est la Grand-Mère, aïeule fantasque et pythie aux décrets indiscutables, qui commande au destin de tous.
Au voyageur qui s'étonne, les pêcheurs du coin servent cette explication qui n'explique rien : nous sommes, voyez-vous, au pays des Chats... Le lecteur finira par comprendre de quoi il retourne, non sans s'être égaré d'abord dans le plus fascinant labyrinthe ; et par savourer, surpris mais surtout émerveillé, ce pur concentré de nostalgie, d'indulgence et de lucidité. Écrit avec plus de trente années de recul - le temps de distiller le miel de la mémoire -, Le Chant de la mer, à en croire une critique anglo-saxonne éblouie, fait partie des trois ou quatre livres de littérature voyageuse à emporter, le cas échéant, sur une île déserte : avec L'Usage du monde de Nicolas Bouvier et Le Temps des offrandes de Patrick Leigh Fermor...
On ne saurait rêver meilleure compagnie.