Parti d'une philosophie du sujet d'inspiration phénoménologique, suivie d'une tentative de refondation du marxisme, André Gorz (1923-2007) devait rencontrer le mouvement écologiste. L'écologie, cependant, ne peut qu'être politique, plus radicale que celle qui est défendue par les courants qui entendent se limiter à la protection de la nature. L'écologie politique naît d'une protestation spontanée contre la destruction de la « culture du quotidien » qui constitue notre milieu de vie.
L'exigence de libération implique une dimension écologique, mais à partir d'une critique du capitalisme, de la rationalité économique devenue envahissante, et d'une réflexion novatrice sur les conséquences des « métamorphoses du travail ».
Par le réenracinement de la théorie critique dans une phénoménologie appliquée, l'oeuvre de Gorz représente une entreprise unique dans la pensée contemporaine.
Raoul Vaneigem annonce le mouvement des occupations de Mai 68 en publiant son Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations à l'âge de 33 ans. Situationniste aux côtés de Guy Debord, il reprend sa liberté en 1971 et creuse depuis le sillon d'une oeuvre atypique, toujours à la recherche d'un point de jonction entre poésie et politique. Il permet de réfléchir aux apories d'un siècle révolutionnaire qui devait apprendre à renoncer à la violence avant de réinventer une place pour l'utopie.
Revendiquant la passion de vivre pour unique boussole, il veut placer la gratuité, la jouissance et la générosité au centre de tout projet de société. Le lire, c'est s'engouffrer dans un labyrinthe où l'irrévérence le dispute à l'espérance, loin des impasses de l'époque. C'est surtout découvrir une ode à la joie comme remède à la résignation et condition de l'action.
L'oeuvre d'Orwell est consacrée à la recherche des conditions politiques et morales d'un "socialisme démocratique" conforme à la tradition civique des "gens ordinaires" et de la common decency, et à la critique radicale de ses falsifications."1984" sera ainsi la description de cette volonté totalitaire de destruction de l'esprit, établie sur le "novlangue" et la "doublepensée", les fondements modernes de la domination.
Les premiers champs d'intérêt de Michel Foucault - la folie, la naissance de l'asile, et de la clinique - peuvent paraître bien éloignés du droit. Pourtant, l'étude des institutions qui, de l'hôpital général à la prison, ont « traité » malades et miséreux, fous et débauchés, vagabonds et délinquants, conduit à réinterpréter ces gestes dont l'habitude nous a fait oublier l'étrangeté : enfermer pour enfermer pour guérir, discipliner pour intégrer, exclure pour inclure...
« Une époque de superstition est celle où les gens imaginent qu'ils en savent plus qu'ils n'en savent en réalité. En ce sens, le XXe siècle aura été certainement exceptionnellement riche en superstitions, et la cause en est une surestimation de ce que la science a accompli - non pas dans le champ des phénomènes relativement simples où elle a certes été extraordinairement efficace, mais dans le domaine des phénomènes complexes ; car dans ces derniers, l'application des techniques qui ont si bien réussi essentiellement dans les phénomènes simples s'est révélée très déroutante. »
Lorsqu'on ignore sa propre ignorance, cela fait des dégâts. Chacun pense savoir plus et mieux que les autres ; mieux les connaître qu'eux-mêmes ; pouvoir les conduire à leur place vers leurs véritables intérêts. L'intolérance est le produit de cette prétention aux certitudes, qui n'est rien d'autre qu'une croyance et la pire de toutes. Expression même de l'obscurantisme, elle est le socle commun de tous les totalitarismes, avec toutes les horreurs qui les accompagnent.
« La jurisprudence est la philosophie du droit, et procède par singularités, prolongement de singularités », disait Gilles Deleuze (1925-1995). La philosophie sait penser la loi. Mais le droit ne se laisse pas réduire aussi facilement. Ce prodigieux meccano impose son jeu à la pensée et s'offre ainsi comme un modèle possible, inventif et foisonnant, rigoureux pourtant, souverainement indifférent au jugement
Paul Ricoeur a tenté une réhabilitation du politique par le souci accordé au droit. Il s'agit pour lui à la fois de faire crédit à la capacité des sujets a viser un bien commun et de tenir compte de la fragilité tant des personnes que des institutions.
Ces deux orientations s'entrecroisent dans une pratique du jugement qui interprète le juste dans la singularité des situations, tranche et distribue ce qui revient à chacun et contribue à reconstruire un lien social possible.
Romancier, dramaturge, anthropologue, essayiste et moraliste, prix Nobel de littérature en 1981, Elias Canetti est un écrivain inclassable, rétif aux dogmes comme aux idéologies, qui a tout fait pour ne pas s'ériger en maître. Hostile aux systèmes de pensée à vocation totalisante, la pensée de Canetti peut sembler, à première vue, assez déroutante, tant il est difficile d'en identifier la forme unitaire qui lui confère d'emblée sa signification. Pourtant, si ses motifs sont indéniablement pluriels, l'oeuvre de Canetti n'en reste pas moins portée par le souci de donner tout son sens à la possibilité pour les hommes de résister, en se jouant notamment des identités figées, à un pouvoir ayant besoin d'infliger la mort pour s'exercer.
Le livre de Nicolas Poirier privilégie l'aspect plus directement politique de l'oeuvre de Canetti : à partir principalement de l'anthropologie de la culture élaborée par Canetti dans "Masse et puissance", son unique ouvrage théorique, il se donne pour objet de faire ressortir les thématiques et problématiques saillantes de la réflexion menée par Canetti concernant notamment le pouvoir et son lien avec la mort, mais aussi plus largement la capacité humaine de faire communauté sans succomber aux pathologies qui enferment l'homme dans une identité qu'il prétend exclusive.
Se démarquant des projets d'émancipation des Lumières, du marxisme et de la sociologie critique, le philosophe français Jacques Rancière affirme que nous n'avons pas à devenir égaux. Nous devons nous présupposer égaux hic et nunc et créer et explorer les conséquences de cette présupposition. Ainsi, plutôt que de fournir le principe d'un ordre meilleur à construire, la présupposition de l'égalité suspend l'ordre institué et ouvre, ce faisant, d'autres « paysages du possible » : des espaces d'expérimentation des savoirs, des perceptions et des capacités qui constituent nos communs.
Jacques Rancière, pratiquer l'égalité entend reconstituer les moments forts du cheminement intellectuel multiple menant à ces idées : sa rupture avec le marxisme althussérien et son exploration des archives ouvrières du 19e siècle ; sa fascination pour le projet de l'émancipation intellectuelle du « maître ignorant » Joseph Jacotot ; la constitution de sa pensée politique centrée sur l'égalité et la démocratie ; et, finalement, l'élaboration de sa pensée esthétique. Ce cheminement n'aboutit pas à un seul concept d'égalité, mais oscille entre trois conceptions de l'égalité - égalités intellectuelle, politique et sensible -, lesquelles impliquent de réévaluer la pensée ranciérienne de la démocratie moderne, ouvrant sur de nouveaux potentiels conceptuels.
Témoin capital de notre siècle, Hannah Arendt n'a céssé de construire son oeuvre sur les rapports entre « l'Etre et le Citoyen » et l'actualité du Monde. Comment aurait-elle fait autrement puisque l'Histoire, s'est confondue avec sa propre vie.
Penseur de notre temps, elle a reconnu la fragilité de l'homme.
Mais elle a aussi montré sa capacité à imposer un sens à sa vie sociale et morale grâce aux exprériences fondamentales de la vie publique.
Comment juger ? Qu'ai-je à faire avec la justice ?
De telles questions ne s'adressent pas aux seuls professionnels du droit, mais à tout citoyen, à tout homme, dès lors qu'il vit en société.
L'infini de cette responsabilité démesurée à l'égard d'autrui demande mesure et définition.
L'éthique politique de Jean Calvin (1509-1564) est à la fois une éthique religieuse, inspirée par le puissant mouvement réformateur de Luther, et une éthique de la Loi morale, soucieuse d'instruire un nouveau rapport au droit et à la cité.La manière même dont Calvin énonce le rôle ambigü de l'Eglise, lieu de libération mais aussi instrument de contrôle social, est révélatrice de sa visée critique et constructive, comme de ses propres limites.
Peu de sujets de l'actualité contemporaine ne sauraient trouver dans l'oeuvre de Christopher Lasch des explications de fond. Son analyse est d'une puissance critique inégalée parce qu'il évite l'écueil de ceux qui critiquent le capitalisme contemporain tout en présentant ses dégâts comme le prix du progrès matériel et moral. Chronique de la rencontre programmée entre la fuite en progrès, c'est-à-dire la destruction méthodique au nom du principe de plaisir de tous les piliers de l'ordre bourgeois et la rationalisation de tous les aspects de la vie par la dynamique du capitalisme, la critique du progrès de Lasch est fondée sur l'étude de la personnalité dominante produite par le capitalisme avancé : Narcisse ou le moi minimal.
Au travers des grands thèmes qui traversent la pensée de Lasch - l'ascendance du moi narcissique, le mirage d'une « science pure de la société », la construction d'un État thérapeutique, la substitution de la méritocratie à l'idéal d'une société sans classe en tant qu'incarnation du rêve américain - l'ouvrage présente un panorama des diagnostics toujours justes de Lasch sur son temps et sur la catastrophe anthropologique du capitalisme de consommation. Il expose aussi la philosophie de l'espérance que Lasch a articulée au travers de l'exploration d'une tradition civique américaine dont la redécouverte offre des pistes au monde entier afin de faire en sorte que la volonté de construire une société meilleure demeure vivace sur les décombres encore fumants d
Aborder la problématique politique chez Sartre implique de commencer par se départir d'un poncif : ni « le père de l'existentialisme », ni « le protecteur des maos » n'étaient des doctrinaires. Sa pensée et ses engagements, forgés au feu de son temps, ce XXe siècle si violemment idéologique qui marqua Sartre et qu'il marqua en retour, demeureront toujours évolutifs et révisables. C'est ce parcours que ce livre se propose d'instruire, à charge et à décharge.
Le monde de Sartre n'est plus. Mais à défaut d'un introuvable « sartrisme », un certain état d'esprit sartrien hante notre époque. En conférant à l'homme le pouvoir absolu d'édifier l'humanité par-delà les structures établies, en le hissant au rang de sujet de l'Histoire, en érigeant la subjectivité en source du sens, en creusant sans relâche les conditions dans lesquelles une liberté peut se laisser entraver, capter, séduire, retourner en son contraire, en n'hésitant jamais à penser contre lui-même et à reconsidérer ses positions à l'aune de l'actualité la plus tragique, cet état d'esprit rencontre, par des voies détournées, les aspirations d'une certaine jeunesse qui, comme Sartre en son temps, dénonce un système qui a atteint ses limites et dans lequel elle ne se retrouve plus.
Comment articuler l'exigence intime de la spiritualité et le combat pour la solidarité ? On a souvent dissocié ces deux questions. L'oeuvre singulière de Simone Weil (1909 - 1943) les réunit dans un seul mouvement de pensée, qui forme un itinéraire fascinant. « Notre époque a pour mission propre, pour vocation, la constitution d'une civilisation fondée sur la spiritualité du travail », écrit-elle au soir de sa courte vie.
Le Code Civil, c'est le grand fait vrai de la Comédie Humaine, ce qui lui donne à la fois sa dynamique, et son unité. De ce massif de vérité, Balzac, fait une lecture toute orientée vers un sens tragique : toujours, le fort, le riche, l'emporteront sur le pauvre et le faible... Balzac, qui avait fait ses études de droit, est en quelque sorte un juriste déçu par la Loi. Juge d'instruction de notre « désordre social », il a fait le procès du monde tel qu'il est.
Toute l'oeuvre de Fritz Lang (1890-1976) s'interroge sur la culpabilité, le rachat et la liberté de l'individu face aux impératifs de la civilisation moderne.
Que ce soit, pendant sa période allemande, avec M le maudit ou la série des Mabuse, ou, alors qu'il était aux États-Unis, la question de la loi et du droit est au coeur de ses films.
Créateur du concept d'engagement dont d'autres (notamment Sartre) s'empareront, Emmanuel Mounier (1905-1950) invente une philosophie du citoyen actif, explorant tous les problèmes de la démocratie. La prise en compte de l'évènement est un acte essentiel de sa démarche. Pensée sans utopie, la philosophie de Mounier conserve le nerf des visions utopiques et la capacité de fonder le refus de l'injustice du monde tel qu'il est.
Grande figure de la philosophie française de la deuxième partie du XXème siècle, Jean-François Lyoard (1924-1998) a beaucoup réfléchi autour de la condition post-moderne (terme qui acquiert avec son livre éponyme une notoriété internationale) et de la notion de différend. Lyotard est l'un des fondateurs du Collège international de philosophie avec Jacques Derrida, avec lequel il partage une grande notoriété aux Etats-Unis.
L'oeuvre de Castoriadis (1922-1997), qui se livre essentiellement au travers de nombreux articles et de séminaires, fait fi des frontières disciplinaires pour aborder des sujets forts divers. Il suffit pourtant de voir que tout le travail de Castoriadis s'articule et s'ordonne autour du projet d'autonomie pour mesurer que l'hétérogénéité n'est qu'apparente. L'aborder sous cet angle, c'est se donner les moyens de la saisir dans sa cohérence.
En 1930, Ortega y Gasset publie son livre le plus célèbre, La révolte des masses. Ce texte au grand retentissement dans le domaine de la réflexion politique.
Traduit en Français en 1937, sa diffusion s'étendra à l'ensemble des pays européens et aux Etats-Unis. Il essaie d'y comprendre, le noyau de l'illégitimisme et de la violence, il nous invite à reconsidérer et à réévaluer les fondements mêmes du libéralisme politique.
Depuis une vingtaine d'années, les réflexions d'Axel Honneth se sont imposées comme une référence majeure dans les domaines de la philosophie morale, sociale, et politique. L'enjeu que soulève la pensée critique de Honneth est alors d'examiner si, aujourd'hui, les institutions de la reconnaissance auxquelles nous participions - la famille, le marché du travail, l'Etat de droit, l'espace public - méritent véritablement le qualificatif de "démocratiques".
Le philosophe polonais Lezlek Kolakowski fut une figure de la gauche antitotalitaire européenne. Intellectuel humaniste, il avait enseigné à l'université de Varsovie avant de s'exiler au Royaume-Uni après 1968. Son ouvrage en trois volumes sur Les Principaux courants du marxisme est considéré comme l'un des plus importants livres politiques du XXe siècle. Après 1989, sa pensée s'est développée vers une critique fine de la modernité, et une interrogation de la pensée religieuse.
« Philosophe résistant » et premier porte-parole de la Charte de 77 à Prague, Jan Patocka (1911-1977) fut l'un des grands inspirateurs des mouvements d'opposition démocratique des années 70-80 en Europe de l'Est. Mais ce martyr de la dissidence - il mourra des suites d'un interrogatoire policier - s'impose aussi comme l'un des penseurs les plus incisifs de la crise.