Qu'est-ce qu'une émotion ? Pourquoi faut-il affirmer qu'elle a une signification et refuser les approches de la psychologie positive comme de la psychanalyse ? Publiée en 1938, L'Esquisse d'une théorie des émotions fait partie de ces premiers textes fulgurants de Sartre qui témoignent déjà de son génie philosophique et de sa capacité à saisir les enjeux de la psychologie : il y montre la nécessité d'une approche phénoménologique, seule à même de faire comprendre l'essence de l'émotion.
Traduction nouvelle, présentée et annotée par Pierre Louis. Première édition de ce texte capital du philosophe grec sous une forme accessible à un large public. Cette traduction, qui n'est jamais littérale, vise à être exacte et lisible ; elle se veut plus conforme à l'esprit qu'à la lettre et met en lumière une modernité parfois surprenante.
Lucrèce, philosophe épicurien, est aussi un immense poète. Le paradoxe est que sa poésie semble prendre perpétuellement l'épicurisme à rebours, comme si le poète, chez lui, donnait tort au philosophe - à moins que ce ne fût l'inverse. De la philosophie d'Épicure, la plus lumineuse, la plus douce, la plus sereine, peut-être la plus heureuse de toute l'Antiquité, Lucrèce a tiré le poème le plus sombre, le plus âpre, le plus angoissé, le plus tragique. Cela nous dit quelque chose sur l'homme qu'il fut, certes, mais aussi sur l'épicurisme, sur la philosophie, et sur nous-mêmes. Si nous étions des sages, nous n'aurions pas besoin de poètes. Mais aurions-nous besoin de philosophes ? A. C-S.
La liberté est-elle un pouvoir neutre et indifférencié de choix et d'action qui est octroyé à tout individu, et qu'il exerce identiquement avec tout autre, ou n'est-elle pas plutôt une capacité qui n'échoit qu'à lui seul d'accomplir son être propre dans ce qu'il a d'unique ? En souscrivant à la seconde branche de cette alternative, Claude Romano s'efforce de préciser les conditions de possibilité de ce qu'il appelle « liberté intérieure », c'est-à-dire la capacité de vouloir et de décider en l'absence de conflit intérieur, de telle manière que cette volonté et cette décision expriment l'être que nous sommes et manifestent un accord de cet être avec lui-même. En soulignant les limites de la conception largement dominante, de Platon à Harry Frankfurt, de cette liberté comme une subordination de nos désirs et tendances affectives spontanées aux « désirs de second ordre » qui découlent de notre réflexion rationnelle, l'auteur défend une conception originale de l'autonomie qui rejette une telle hiérarchie. Il étaye son propos par l'analyse d'un exemple littéraire, la décision finale de la Princesse de Clèves dans le roman éponyme de Mme de Lafayette.
La Bible hébraïque a-t-elle réellement inventé le monothéisme?? Si oui, elle l'a fait à travers un dieu indicible. Quand Moïse s'interroge sur son nom, le texte fournit une réponse énigmatique : « Je serai ». Que signifie le silence étourdissant de cette absence d'identité??
Se peut-il que la question du divin n'ait pas constitué l'essentiel du message biblique et que Moïse soit d'abord le fondateur d'une éthique libératrice, l'humanisme?? Telle est la question centrale de cet essai.
La pensée d'Edgar Morin est inclassable. Ni science ni philosophie, enjambant la science et la philosophie, les sciences humaines et les sciences naturelles, sa pensée échappe aux classements disciplinaires et aux modes de connaissance compartimentée. Edgar Morin a abordé des disciplines aussi différentes que la biologie, la sociologie, l'anthropologie, la philosophie et l'épistémologie des sciences.
Comment résumer une oeuvre qui couvre plus de soixante années de vie intellectuelle?? Comment en dégager un esprit général qui ne soit pas une réduction caricaturale??
En passant par La Méthode dont la publication s'est étalée sur presque trente ans (1977-2004). Déjà en gestation dans les premiers travaux d'Edgar Morin (L'Homme et la Mort, Le Vif du sujet, Le Paradigme perdu), La Méthode est le creuset d'où sont sorties de nombreuses ramifications, sociologiques, politiques, éducatives (Terre-Patrie, La Voie, Les Sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur), ramifications distinctes mais inséparables de la source qui les a fait naître.
Ancien résistant et témoin privilégié de notre époque, Edgar Morin a traversé le XXe siècle en acteur de l'histoire. Il est l'auteur d'une oeuvre transdisciplinaire, abondamment commentée et traduite dans plusieurs langues, qui nous oblige à rompre avec la disjonction et la compartimentation des savoirs. Elle a pour dénominateur commun la recherche d'une connaissance non mutilée et le souci d'une pensée capable d'affronter la complexité du réel.
La pensée est indissociable de la langue dans laquelle elle se forge. Si la philosophie est inséparable du grec, de quel type est la pensée qui germe dans la langue hébraïque? C'est l'ambition de ce livre d'en retrouver les traces, comme si il y avait déjà à l'oeuvre une pensée en deçà des théories et des doctrines, une pensée précédant le texte tout en ne s'exprimant qu'à travers ses différentes économies, une pensée de toutes les pensées issues de la racine hébraïque dans laquelle l'Ëtre ne se dit pas au présent. Le livre de Shmuel Trigano jette une lumière nouvelle sur l'ontologie. Il inaugure une façon inédite de philosopher qui naît, certes, de la fréquentation de la langue grecque mais sans pour autant y ramener. Par delà la philosophie grecque mais aussi la philosophie juive classique, une voie s'ouvre vers une autre philosophie à laquelle ce livre appelle...
Une chambre est un espace d'intimité et de tranquillité, accommodé pour le confort et l'agrément, le sommeil, la détente, le désir. Elle est le cadre habituel de la rêverie, de la prière, de la sexualité, de la récupération de la santé. Mais la chambre est aussi un lieu public, une assemblée, l'endroit où l'on débat, le coeur de la politique. Les textes qui dessinent ici l'architecture de cette chambre rassemblent les grandes étapes d'une aventure de pensée qui commence avec la dialectique, se poursuit avec la déconstruction, se prolonge avec les recherches actuelles sur le cerveau et la plasticité neuronale. À la fin du XXe siècle, le cerveau n'apparaît plus comme un organe dénué de fonction symbolique. Il devient le lieu même de la subjectivité. Quelles conséquences cette prise en compte d'un nouvel objet a-t-elle rétrospectivement sur les discours qui l'ignoraient ? En quoi la conscience de notre cerveau change-t-elle nos façons de lire et de comprendre une réalité qui prend de ce fait une nouvelle ampleur ?
Qu'est ce qui justifie des normes comme « Tu ne tueras point » ou « Nul ne peut être soumis à la torture » ? C'est autour de cette question que se sont constituées les trois grandes théories morales : l'éthique des vertus (inspirée d'Aristote), l'éthique des devoirs (mise en forme par Kant) et l'éthique des conséquences (matrice de l'utilitarisme). Qu'est-ce qui distingue ces trois approches ? Y a-t-il des raisons décisives d'en préférer une ? Ruwen Ogien et Christine Tappolet montrent que, pour trancher ce débat, il faut clarifier les deux concepts-clés de l'éthique et analyser leurs relations : les normes (qui posent des obligations, des interdictions, des permissions) et les valeurs (qui disent ce qui est bien ou désirable). Ils proposent une hypothèse simple, mais iconoclaste : si pour justifier les normes, il faut nécessairement faire appel à des valeurs, c'est que, contre Kant et Aristote, il faut être conséquentialiste.
Les personnages vivraient paisiblement sur la planète Fiction, s'ils n'étaient menacés de disparition quand les humains les oublient. Comment contourner cette loi d'airain ? Comment ranimer la flamme des lecteurs et des spectateurs ?
Sancho Pança, Mme Bovary, Mr Pickwick, Vautrin et quelques personnages de Woody Allen se démènent pour assurer leur survie et celle de leurs concitoyens. Il leur arrive de raisonner sur leur condition et d'agiter quelques grandes questions : la mort et la résurrection de l'auteur, la morale, la concurrence entre les jeux vidéo et la littérature, les limites de l'interprétation, la différence entre fait et fiction....
De merveilleuses machines sont inventées pour mesurer le coefficient de fiction des personnages ou leur permettre (peut-être) de communiquer avec la Terre. Dans quel but ? Neutraliser un metteur en scène qui les maltraite, par exemple.
Sous ce titre un peu provocateur, emprunté à Fichte qui s'interroge sur les conditions d'un salut, le livre questionne, de façon socratique, le discours religieux : à quoi reconnaît-on qu'un discours est religieux ? Adoptant une attitude critique, l'auteur cherche comment le religieux s'enracine et s'inscrit dans le langage dont il est un faisceau d'usages et qu'il contribue, en même temps, à constituer comme une de ses fonctions essentielles. Dans un archipel d'analyses, il fait dialoguer, avec Kierkegaard, sur des thèmes précis du discours religieux, principalement sept philosophes : Hobbes, Locke, Kant, Fichte, Hegel, Schleiermacher, Feuerbach, tous intéressés par le religieux, sans qu'ils ne se laissent toutefois qualifier de philosophes religieux. L'auteur ne tient compte que de leurs thèses sur tel ou tel point donné et de leur affrontement, sans toutefois que le livre puisse être classé en histoire de la philosophie dont il ne fait que se servir pour son propos.
Que peindre ? est une méditation philosophique sur l'art pictural contemporain et sur l'objet essentiel de la peinture qu'est la présence. Contrairement à ce que l'on croit souvent, l'art pictural n'a pas pour objet la représentation ; il porte davantage sur la présentation - du moins, un certain type de présentation, puisque l'art montre qu'il y a de l'imprésentable. Telle est, selon Lyotard, l'essence aporétique de la présence que révèle la peinture. Mais comment s'y prend l'art moderne pour saisir cette présence qui se refuse à tout discours (qu'il soit discursif ou narratif) ? C'est à travers l'étude des oeuvres de trois artistes (Adami, Arakawa, Buren) que Jean-François Lyotard entreprend de répondre à cette question éminemment philosophique. Dans ce livre, composé en 1987, Jean-François Lyotard livre les clefs de sa pensée esthétique en même temps qu'il se révèle être un véritable artiste de la pensée : ici, la langue pense. Et c'est cette pensée de la langue que le philosophe met au coeur de son oeuvre pour éclairer l'énigme de la présence, notamment selon les modalités de l'art de la fugue, que sont la polyphonie et le contrepoint. Ultimement donc, ce que propose Lyotard, c'est une nouvelle manière de philosopher, comprise comme l'activité de « penser à travers les yeux », nouvelle posture de la philosophie qui la met directement en dialogue avec l'acte d'imaginer, c'est-à-dire de « voir en pensée ».
Son nom vient du grec ancien, mais la philosophie n'est pas l'apanage des cultures issues de la Grèce antique. Au contraire, les Grecs eux-mêmes considéraient souvent que la philosophia venait d'ailleurs, et qu'ils n'en étaient pas les inventeurs. Tout au long de l'histoire occidentale s'est maintenue cette conviction : les autres aussi sont philosophes. C'est seulement à la fin du XIXe siècle que la pensée occidentale s'est refermée sur
elle-même, délaissant toutes les perspectives théoriques autres au profit de la seule tradition gréco-latine. Le premier volume de cette anthologie rassemble des textes philosophiques essentiels des civilisations indienne, chinoise et tibétaine. Ces textes, presque tous traduits pour la première fois en français et regroupés selon leur langue d'origine, permettent de découvrir les lignes de force de ces philosophies d'ailleurs tout en révélant leur tonalité particulière. Présentés par d'éminents spécialistes internationaux réunis spécialement sous la direction de Roger-Pol Droit, ces corpus
sont éclairés par des études de synthèse et accompagnés de notes, glossaires et références mettant à la disposition du lecteur les moyens
d'approfondir les sujets de son choix.
"Il est nécessaire de disposer de volumes sérieusement établis et facilement maniables présentant des sélections de textes philosophiques des principales cultures. [La philosophie permet] à chacun de prendre un certain recul par rapport à son milieu culturel particulier, et [favorise] ainsi une meilleure compréhension des réalités culturelles étrangères." Georges Canguilhem, L'enseignement de la philosophie, Unesco, 1953.
Ce livre propose une lecture philosophique du rêve. Il contient l'histoire détaillée et richement documentée des recherches qui ont été consacrées, tout au long du dernier demi-siècle, au "sommeil paradoxal" et au rêve.
L'auteur met de l'ordre dans le foisonnement des hypothèses et des interprétations. Il présente les multiples directions amorcées, abandonnées puis reprises et repensées par les chercheurs. Jusqu'où s'étend le parallélisme entre le fonctionnement du cerveau et celui de la pensée ? Quelles pourraient être les fonctions du rêve dans l'individuation du cerveau ? Quel est le rôle des gènes dans les mécanismes oniriques ?
L'ouvrage est préfacé par Michel Jouvet, membre de l'Institut (Académie des sciences), neurophysiologiste, fondateur de la physiologie contemporaine du sommeil et du rêve. Claude Debru est professeur de philosophie des sciences à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, correspondant de l'Académie des sciences et membre de l'Académie allemande des sciences de la nature Leopoldina.
« Penser le désastre » est l'injonction première de la pensée confrontée à l'épreuve de la Catastrophe qui s'abattit sur les Juifs d'Europe durant la période hitlérienne. Penser le désastre, c'est, d'une part, comprendre pourquoi la Shoah a pu se produire dans cette Europe civilisée, pétrie dans l'idéal de la raison humaine et les valeurs du progrès et des Lumières ; et d'autre part, c'est penser la possibilité d'un avenir pour la philosophie. En effet, les penseurs de l'après-désastre ne peuvent faire l'économie de cette interrogation critique et radicale : est-il encore possible de philosopher ? Et si oui, comment faire ? Comment penser philosophiquement ? Walter Benjamin avant l'heure, Theodor Adorno, Max Horkheimer et Emmanuel Levinas ont eu le courage, la force, l'acuité - parfois seulement le désespoir - de penser ce qui s'était passé. Mus par l'indignation et le désir de témoigner, ils ont ressenti l'urgence de confronter leur pensée avec le cri d'agonie des morts d'Auschwitz.
Les écrits de Jules Lagneau (1851-1894) sur Spinoza ont un double intérêt. D'une part, ils permettent d'appréhender la manière dont se constitue la réception de Spinoza dans le courant du XIXe siècle, à un moment où celle-ci n'est plus en proie aux querelles de la Pantheismusstreit. C'est l'occasion de découvrir, avec Lagneau, un commentaire original du philosophe hollandais. D'autre part, ils permettent d'introduire à la philosophie de Lagneau, dont on peut pressentir qu'elle est en dialogue avec les thèses spinozistes. Celles-ci ne sont pas seulement l'objet d'une adhésion systématique, ou d'un commentaire scolaire : elles mettent à jour l'exigence réflexive qui définit le mode de pensée philosophique de son auteur.
Lorsque, le 15 avril 1630, dans une lettre adressée à Mersenne, Descartes décréta que révélation et théologie étaient des réalités non seulement réversibles mais identiques, le destin philosophique de la notion de révélation fut scellé et consommé. L'identité posée entre théologie et révélation est un événement instaurateur, une décision philosophique et nullement théologique. Elle a pour conséquence de ne laisser à la théologie qu'un espace de plus en plus réduit, jusqu'à ce qu'il devienne indiscernable et relègue ainsi la théologie hors de toute vérification rationnelle. Si la théologie est identique à la révélation, elle n'en est plus l'interprète puisqu'elle se confond totalement avec son objet. Cette identification tendancielle laisse le champ libre à l'investigation philosophique qui s'empare du concept de révélation et le soumet à la critique. Ce faisant, théologie et philosophie ne peuvent plus se rencontrer puisque, pour théologiser, il faudrait «?être plus qu'un homme?». Lorsque Kant réclame une «?théologie de la raison?», il réclame que la révélation ne soit plus conçue comme un phénomène. C'est à cet endroit que la théologie impose une résistance qui va lui permettre de renaître, réclamant que le rapport de l'Idée au phénomène se résolve selon les dimensions propres à un événement de révélation qu'aucune théologie naturelle ou rationnelle ne peut raisonnablement épuiser.
La première partie de ce livre donne l'occasion de comprendre différents aspects de la pratique de la philosophie avec les enfants. Alliant des considérations historiques touchant la naissance de cette discipline à celles, plus philosophiques, permettant de saisir les liens entre la prévention de la violence, la recherche éthique, l'éducation du citoyen et la pratique de la philosophie à l'école, ces différents sujets permettent de voir que la pratique de la philosophie avec les enfants est une activité aux multiples contours contribuant, notamment, à l'enrichissement de l'expérience à l'école.
La seconde partie permet de découvrir une série d'éléments - actes de la pensée, habiletés cognitives, conduites sociales, conduites pédagogiques - susceptibles d'être entrevus au moment d'observer des personnes engagées dans la création d'une communauté de recherche philosophique. La connaissance de ces éléments permettra au lecteur d'examiner des pratiques philosophiques d'un groupe d'enfants, et de se munir sur le plan réflexif des divers outils qui composent la pensée humaine.
Ce livre est utile à tous ceux et celles qui font ou désirent faire de la philosophie avec les enfants. Il donne la possibilité d'enrichir sa compréhension des différents aspects concrets entourant cette activité, que celle-ci se réalise en classe, à la maison, au camp de vacances ou en tout autre endroit accueillant la création d'une communauté de recherche philosophique.
Dans Le Neveu de Rameau Diderot oppose un philosophe nommé « Moi » au neveu du grand Rameau, nommé « Lui ». Pourquoi Diderot donne-t-il une telle importance au personnage du neveu, vagabond vivant en parasite aux crochets de riches puissants et vulgaires qui le méprisent et qu'il méprise, dans un face-à-face où le philosophe se trouve incapable de convaincre son antagoniste de changer de mode de vie ?
« Lui » est un puissant personnage conceptuel. Il illustre une image troublante de la pensée qui se moque de la pensée, il incarne la coexistence dans la même conscience du sentiment de la dignité avec l'asservissement volontaire. Or cette image dément deux présupposés de la philosophie humaniste et éclairée : le sérieux de la pensée et l'attention qu'elle requiert ; le fondement du désir de liberté dans le sentiment de la dignité. L'ouvrage forge ainsi, face au philosophe, le personnage conceptuel du contre-philosophe. Le contre-philosophe n'est pas un anti-philosophe, il ne défend pas un ordre politique et culturel traditionnel. Il connaît la pensée philosophique, mais il ne l'aime pas. Contre-philosophe est celui qui méprise les vertus éthiques qui doivent accompagner l'exercice de la pensée: la sincérité, la cohérence, l'accord logique avec soi-même. Diderot suggère que cette figure correspond à une époque qui vient, où la valeur de l'argent rendra futiles la préoccupation du vrai et le souci du bien. La tonalité mélancolique du philosophe exprime le sentiment que la philosophie est contre cela impuissante.
Dans L'Antéchrist, Nietzsche dit des Sceptiques, de quelques-uns d'entre eux du moins, qu'ils sont « le seul type convenable dans toute l'histoire de la philosophie » ; et il ajoute, dans la même oeuvre, que « la force et la liberté issues de la vigueur et de la plénitude de l'esprit, se prouvent par le scepticisme ». On aurait pu craindre que l'influence des mathématiques sur la philosophie n'inclinât celle-ci vers le dogmatisme, comme une opinion courante en histoire de la philosophie nous pousse à le penser. Kant n'a-t-il pas dit que le cheminement de la philosophie était inverse de celui de la mathématique et que l'on faisait un mauvais travail en l'une comme en l'autre quand l'une imitait l'autre, et surtout quand la philosophie, croyant devenir plus forte en imitant le sérieux et la rigueur des mathématiques, ne parvenait qu'à être dogmatique ?
Le présent livre est destiné à montrer non seulement qu'il faut nuancer ce jugement, mais que c'est tout le contraire qui est vrai : le philosophe peut certes faire une lecture sceptique des mathématiques et leur apporter le scepticisme comme de l'extérieur, mais il peut aussi s'instruire des mathématiques pour en tirer de singulières leçons de scepticisme, de liberté d'esprit, d'inversion de ce qui est ordinairement tenu pour vrai. Les auteurs qui ont participé à ce collectif ont tenté d'ouvrir ici un champ, en apprenant à ne plus fustiger ce dont nous recueillons des leçons de scepticisme et à ne plus tenir ce qui pouvait être réduit au scepticisme comme dérisoire, ridicule ou contenant quelque irrémédiable faute.
Toutes les civilisations ont cherché à régler les moeurs sexuelles et ont institué des interdits pour régenter et ordonner la vie des êtres humains. À travers l'étude de la prohibition des pratiques incriminées, le présent traité analyse les choix sociétaux et idéologiques des civilisations. Sans prétendre à l'exhaustivité, mais en parcourant une très vaste gamme de cultures et d'époques différentes, l'auteur présente une grande variété de modalités réprouvées pour consommer le « fruit défendu ». Il examine les interdits majeurs et leur restitue le sens qui est le leur dans chaque contexte : comment comprendre la prohibition de l'inceste en Occident ? Quel est l'enjeu de l'interdiction des pratiques homosexuelles en terre d'Islam ? Pourquoi l'adultère est-il parfois toléré, voire recommandé ? Quels types de jugements moraux ou idéologiques sont à l'oeuvre dans la volonté de bannir les pratiques pédophiles ? Pourquoi ce qui est considéré comme une pratique « perverse » ou « déviante » dans certains peuples ne l'est-il pas pour d'autres ? À travers une perspective à la fois historique, culturelle, philosophique, sociologique et comparative, l'auteur replace, sans préjugé ni parti pris, lesdits interdits sexuels dans leur environnement culturel et religieux. Il analyse le permis et le prohibé des pratiques intimes dans des civilisations aussi diverses que celles hellénistiques, égyptiennes, hébraïques, chrétiennes, bouddhistes, baoulés, hindouistes ou musulmanes...
Dans Totem et Tabou, Freud expliquait pourquoi la mentalité totémique, pour lutter contre les pulsions incestueuses, favorisait le passage à l'acte récidivant et les conduites phobiques. Le titre du présent livre fait écho à l'oeuvre du père de la psychanalyse en raison de l'assimilation, hâtivement faite par certains lecteurs inattentifs, des dispositifs psychiques et juridiques préconisés par la Loi sinaïtique à des montages totémiques et à des interdits « tabous ». Pour réfuter ce préjugé, Raphaël Draï montre que les versets de la Genèse sur « l'Arbre de la connaissance du Bien et du Mal » n'érigent absolument pas cet arbre en totem, ce qui induirait que les dispositifs juridiques et mentaux en cause relèvent du tabou. Si ce récit relate bien l'histoire d'une transgression originelle, et s'il met en évidence les pulsions à l'oeuvre, il détermine également les modalités du travail de ces pulsions, qui resteraient sans cela irrésistibles et mortelles. Fort de cette analyse, l'auteur présente ce qui apparaît comme une véritable théorie, clinique et métapsychologique, des pulsions dans l'oeuvre du Maharal de Prague, et révèle la logique interne qui prédomine, dans les règles alimentaires et les dispositifs juridiques explicités par le droit biblique ainsi que la place centrale qu'occupe le travail sur l'énergie pulsionnelle : sans ré-orientation constante de la pulsion de mort vers la pulsion de vie, il n'y a pas de vie éthique ni de vie en société.
Raphaël Draï est professeur émérite de science politique à la Faculté de droit et de science politique d'Aix -Marseille. Lauréat des facultés de droit, agrégé de science politique, il est membre de l'École doctorale en psychanalyse et psychopathologie de l'Université Denis Diderot, Paris VII. Chercheur interdisciplinaire, il a écrit une trentaine d'ouvrages et de nombreuses études dans les domaines relevant de ses recherches toujours orientées vers une meilleure intelligence du choix de la vie.
Depuis Longin, la pensée du sublime s'attache à rendre raison de ce qui est considéré comme l'expérience la plus « haute » ou la plus parfaite de la vie humaine. Cette pensée séculaire s'est constituée comme une science du tout manifesté. Or, l'assemblage d'archè et de technè tendrait à convaincre que l'architecture accomplit cette manifestation. L'architecture ne réalise-t-elle pas, selon l'harmonia, une totalité indivise ? Elle ne saurait ainsi se séparer de ce que la pensée du sublime fait choix d'appréhender. Le présent essai tente de soutenir et de suivre cette allégation, proposant, avec une entente foncière du sublime et de l'architecture, une intelligence de leur commune et discrète occurrence dans l'époque moderne.
On dit que Descartes réfléchissait sans cesse aux questions morales. Pourtant, entre la «morale par provision» de 1637 et l'évocation, dix ans plus tard, d'une «plus haute et plus parfaite morale», «dernier degré de la sagesse», son oeuvre en la matière paraît discrète : dix pages du Discours de la Méthode, un tiers des Passions de l'âme, une quinzaine de lettres de 1645-1647 forment l'essentiel des textes en notre possession. Cette discrétion n'est en rien un défaut. Ce livre s'est donné pour tâche de l'expliquer en s'intéressant au statut cartésien de la connaissance morale et à ses principes : conditions du libre arbitre, «usage des passions», nature de l'amour, ressorts de la «vraie générosité», réalité d'une loi morale, regard à porter sur l'ordre du monde. Jusque dans les discussions ici poursuivies sur la «morale parfaite » et sur l'humanisme, comme dans la comparaison avec Montaigne, Spinoza ou Kant, la pensée cartésienne apparaît au plus haut point responsable d'elle-même, c'est-à-dire consciente des limites à donner à une philosophie morale qui soit à la fois supérieurement exacte et authentiquement utile.