Bien que loué par Jankelevitch et Sartre, "l'être et le code" se vit opposer dès sa parution en 1973 un mutisme hargneux de la nouvelle intelligentsia soixante-huitarde. Aujourd'hui réédité, "l'être et le code" raconte une histoire de France inédite qui fait apparaître les refondations politiques méconnues et leurs enjeux spirituels ignorés. Rechercher le sens de l'histoire, passer de l'univers du vieux monde à celui de la praxis.
Ce livre s'efforce d'analyser le tournant sartrien, s'effectuant en plusieurs étapes; de la phénoménologie vers le matérialisme, et de l'existentialisme phénoménologique vers l'existentialo-marxisme qui caractérise la Critique de la Raison dialectique. Ce tournant est analysé par l'auteur à partir de l'évolution philosophique du concept de "praxis", dans l'oeuvre philosophique sartrienne.
S'inscrivant dans la démarche de l'École de Francfort, s'efforçant d'unir la dialectique matérialiste du marxisme avec la psychanalyse, dans le cadre d'un projet visant l'émancipation totale de l'homme, la philosophie sociale critique du « Grand Refus » esquissée par Herbert Marcuse est caractérisée par une lecture radicale des écrits de Freud, par l'effort de dépasser son fatalisme et la tentative de s'interroger sur le visage particulier que prennent la répression, la sublimation de la sexualité, le refoulement et l'agressivité dans nos sociétés modernes industrielles très avancées. Ainsi appelle-t-il « surrépression » la répression inutile et irrationnelle qui les caractérise. Cet ouvrage s'efforce de reconstruire l'itinéraire intellectuel et politique de ce grand penseur germano-américain incarnant le désir d'une société future non-répressive, dont l'oeuvre avait atteint, à l'époque de la révolte étudiante et de la Guerre du Vietnam, un rayonnement mondial.
En ce début de 21e siècle, malgré les catastrophes écologiques annoncées, aucun changement majeur n'a été mis en place. Nous semblons incapables de prendre en compte ce que les scientifiques ne cessent de nous répéter. Cette inertie ne s'explique pas par l'absence de solutions. Cette passivité repose en réalité sur notre conception du monde. Depuis l'avènement de la science moderne, nous percevons notre environnement comme un support inerte, taillable et corvéable à merci. Notre modèle social repose ainsi sur le déni d'une réalité pourtant évidente : nous n'existons pas sans environnement. Reprendre conscience de ce que nous sommes - comme du monde dans lequel nous vivons - constitue donc l'enjeu majeur de ce siècle. Il est temps de réapprendre à vivre sur terre.
Si les termes « rite » et « rituel » demeurent des mots fort répandus et souvent décriés, au risque d'en perdre aujourd'hui leur sens initial et leur efficience sémantique, il est une formule qui fleurit dans notre société de manière récurrente et dans tous les domaines : celle de performance. Le monde performe sans cesse. Mais la performance interroge l'art et, par ce biais, des rituels contemporains fort étonnants. Cet ouvrage consacre une possible réponse à de nombreux écrits qui considèrent que, dans les champs de l'action artistique, du théâtre, de la chorégraphie et/ou de la vidéo-performance, tout est la même chose, et donc que tout a la même pertinence, sans distinction aucune. Il nous paraît donc nécessaire de cadrer cet espace singulier qu'est la performance-action.
Conçu comme une enquête, cet ouvrage invite à la traversée de quelques oeuvres où l'animal tient un rôle central. En menant des études de cas, à la croisée des champs de recherche, Vincent Lecomte analyse la manière dont l'art contemporain contribue à interroger et à réinventer les rapports et la distribution des places entre l'homme et les autres animaux. Par ses moyens et procédés, la création contemporaine éclaire la relation parfois trouble entre l'humain et les autres vivants. Mais elle révèle aussi une époque qui s'engage dans une investigation critique de ses modalités de pensée et d'existence. En mettant en scène l'animal, les artistes offrent un portrait indulgent, ironique ou acerbe d'une humanité en quête de redéfinition.
La philosophie de Georges Bataille peut-elle ouvrir des voies nouvelles pour le théâtre ? Bataille affirme que le but de toute entreprise humaine est la perte définitive dans l'instant futile. Un spectacle peut-il projeter le spectateur hors du projet et du calcul ? Le philosophe déclare que seule une communauté régie par l'intérêt général peut répondre à l'insatiable désir humain d'être relié à ses semblables. Un spectacle peut-il arracher le spectateur du monde des choses pour le reconnecter à l'exubérance de la vie ? Au fil des pages, le théâtre s'affirme comme un art de la dépense improductive. La scène, comme une voie pour accéder au non-savoir. Il s'agit de réaccorder l'homme à la connaissance en le plaçant à la mesure de lui-même.
Interrogeant le sens des pénalités, Tony Ferri explore la question difficile de savoir d'où vient le besoin insatiable de punir. Bien loin qu'une supposée "nature humaine" commande le comportement infractionnel, l'auteur s'interroge : comment comprendre l'attitude du corps social, du législateur, des gens "bien insérés" lorsqu'ils lancent des appels appuyés à réprimer toujours davantage ? Comment expliquer l'intarissable inflation punitive? Au fond, quels sont les ressorts cachés des condamnations ?
Le désert, un visage, une trace : la vie. Pour remonter la trace invisible vers ce visage aperçu quarante ans plus tôt, l'auteure entreprend une double analyse de la relation, phénoménologique puis herméneutique, afin d'en désigner les contours et d'en chercher le sens. Les apories laissées béantes par le visage levinassien sont autant de défis jetés à l'éthique : peut-on penser une relation qui préserverait les absolus en présence ? Si connaître autrui est toujours le méconnaître, y a-t-il une place disponible pour la reconnaissance ? Le sujet-otage toujours à l'accusatif chez Levinas, la fuite indéfinie du visage d'autrui, fragilisent la relation elle-même : qui reste-t-il en présence dans ce désert relationnel ? Si la relation est toujours réduction de l'autre au même, quel sens peut-elle encore avoir ? La rencontre entre sujets ne peut faire l'économie de la traversée du non-sens - le mal sous toutes ses formes : c'est alors au coeur même de la différence entre l'un et l'autre que sera cherchée la source du sens lui-même.
On parle volontiers en danse et en philosophie de construction et de déconstruction : écrire et chorégraphier, c'est en un sens construire. Ce livre a pour ambition de préciser l'idée de construction et de la confronter à l'élaboration concrète de la pensée et de la danse, à travers l'analyse d'expériences singulières, notamment de chorégraphes contemporains. Le philosophe trouve dans la danse"matière à penser" une expérience de la pensée aussi bien familière qu'étrangère étrangement familière.
Cet essai est la réflexion d'une sage-femme qui, depuis trente ans, a accompagné des femmes pendant leur grossesse et après la naissance de leur enfant, écoutant leur questionnement sur l'arrivée au monde d'un enfant désormais « désiré ». La révolution dans la procréation et la transformation de la famille concerne chacun d'entre nous. Faut-il redouter que les forces aveugles de la nature ou du destin soient remplacées par la rigueur glaciale et anonyme de la technoscience et de son « expertise » ?
L'Épître sur l'intellect occupe une place singulière dans l'histoire de la philosophie entre la naissance de la falsafa et sa consommation dans l'oeuvre d'Avicenne. C'est par la philosophie arabe que le Platonisme s'est transmis aux théologiens latins, tels saint Thomas et Duns Scot : les thèses récurrentes du Platonisme, identité de l'être et de l'intelligible, structure hiérarchique du réel, salut opéré par la conversion vers l'intelligible y sont présentes, ainsi que ses illusions. Comme le dit Jean Jolivet, c'est tout un âge de la spéculation qui se reflète dans cette Épître.
"Ce fut un merveilleux lever de soleil", avait dit Hegel à propos de la Révolution française. L'expression fut également utilisée pour qualifier Mai 68 et le dernier assaut prolétarien des années 1960-70 qui tendait à abolir le capitalisme. Ni traité philosophique, ni leçon politique, cet ouvrage cherche à tester la validité théorique de certains concepts hégéliens et marxiens au regard des bouleversements de ce qu'on peut désormais nommer "la révolution du capital". Il cherche aussi à dégager des possibles pour un devenir autre.
La figure de Rosa Luxemburg a souvent été placée au centre des dilemmes "révolution ou réforme sociale" et "socialisme ou barbarie", tout comme une partie importante de sa contribution politique a été développée entre les deux pôles de la révolution des conseils et la critique de l'expérience révolutionnaire bolchevique. Il reste toujours à développer ses apports au regard de thématiques toujours contemporaines (Classes et Crise) qui relancent l'actualité de la pensée et de la pratique de Rosa Luxemburg.
À notre époque, nous sommes aux extrêmes : soit surexposés, soit isolés du regard. Entre le regard sur autrui et le regard d'autrui, comment pouvons-nous définir et accepter le regard sans nous détruire ? À quel point est-il fidèle et comment révèle-t-il la réalité, l'existence de ce qui est regardé ? Comment le regard sur autrui peut-il jouer sur et avec l'existence de l'être humain, et de l'oeuvre ? Face à cette question, Sophie Calle présente sans cesse autrui dans des créations plutôt autobiographiques. Elle pose des questions existentielles pour établir un rapport à l'autre, un rapport au regard. Avec ses oeuvres, le problème du regard sur autrui ou d'autrui passe du déséquilibre à l'imaginaire.
Quelle est l'origine de l'agir moral ? Avant de posséder la prudence et les autres vertus, le jeune citoyen apprend, par mimétisme, quel bonheur lui est possible et comment y parvenir. Tout comme un apprenti, au sein d'une corporation, acquiert un savoir-faire en refaisant les gestes de ses maîtres. Mais chaque corporation a ses coutumes, et chaque cité ses traditions et valeurs. Faut-il abandonner toute notion universelle du bien ? Chaque culture est plutôt, montre MacIntyre, la rencontre de l'universel et du particulier : cette morale se donne à vivre à travers des moeurs et des lois propres à chaque cité. Bien plus, c'est cette dimension coutumière de la morale qui permet son apprentissage et sa transmission. Aucune éthique ne saurait être purement individuelle.
En 1905, la France a choisi la laïcité et un régime de séparation des Églises et de l'État. Ce choix garantit à chaque citoyen sa liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité de pratiquer le culte de son choix, dans la sûreté, seul ou en assemblée et, dans le même temps, il assure la sauvegarde d'une collectivité pacifée, riche de la diversité de ses membres rassemblés sous le régime d'une loi commune collectivement déterminée et donc librement consentie.
Cet ouvrage passe l'idéalisme philosophique qui a dominé notre histoire intellectuelle, de l'Antiquité à nos jours, au crible du matérialisme. Il fait apparaître son enracinement général dans le faible développement des sciences et des techniques, et sa persistance anachronique aujourd'hui. Critiquant l'influence que la religion a eue sur l'idéalisme, il en montre le rôle néfaste dans l'histoire, en se mettant souvent au service des pouvoirs en place et de leur idéologie. Yvon Quiniou en appelle donc, pour finir, à un réveil de la philosophie : un matérialisme accordé aux sciences et motivé par l'idéal progressiste d'une humanité émancipée, dont Marx nous a fourni l'idée.
Philosophe et anthropologue français installé aux États-Unis depuis 1947, René Girard aura été un prophète planétaire qui nous démontre, textes à l'appui, que la mort de Jésus sur la Croix, n'est pas un sacrifice offert à Dieu, mais le dévoilement de la violence sacrificielle dissimulée de toutes les institutions humaines. La fécondité de l'apport de Girard à la théologie résulte de la clarté de sa démonstration qui a contribué à débloquer une situation qui paraissait sans issue : celle d'une doctrine de la Rédemption présentant un Dieu qui réclamerait le sacrifice de son Fils pour effacer la tache originelle. Dans ces conditions, la question était de savoir si la thèse de Girard, peut s'inscrire dans la tradition de la foi chrétienne, bien qu'elle paraisse s'opposer frontalement à une affirmation dogmatique classique. Pour répondre à cette question, il suffit de mesurer la fécondité théologique de la thèse girardienne qui a été reçue comme source d'inspiration par des théologiens de nombreuses confessions chrétiennes.
Cet ouvrage présente pour la première fois la traduction d'essais inédits en français de l'historien d'art et métaphysicien Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947). Y sont réunis quelques-uns de ses principaux articles publiés entre 1936 et 1944. Devant l'ampleur des problématiques métaphysiques développées dans cette oeuvre, le choix des textes a privilégié certains de ses aspects. Ceci en sachant qu'il s'agit d'un véritable filet où toutes les thématiques sont imbriquées, renvoyant les unes aux autres dans un jeu de miroirs. Dans la perspective comparatiste qui est la sienne, Coomaraswamy montre l'unité sous-jacente des enseignements spirituels des principales religions ; par exemple tout ce qui concerne la transmigration et la réincarnation. Il s'agit donc d'une métaphysique qui s'ouvre aussi sur une psychologie traditionnelle de la connaissance de soi dans le but de préparer ses lecteurs à un éventuel « pèlerinage » spirituel.
À la manière de Sartre, qui renonce à la question de l'essence de la littérature et lui préfère celle de son utilité, Deleuze interroge, non l'essence de l'art, mais son usage pour le philosophe. Selon Deleuze, l'art est nécessaire au philosophe pour penser sa propre condition. En effet, pour échapper à la représentation qui dénature et assujettit la pensée, la philosophie exige un détour par l'art qui transforme à la fois l'exercice de la pensée et les conditions de l'expérience. L'usage de l'art, c'est ce que fait l'art. L'art capte des forces (il rend visibles des forces invisibles) et transforme, à la fois, l'artiste et le corps social (il bouleverse les manières de sentir et de penser). Cette nouvelle manière de penser et d'user de l'art déborde le cadre habituel des études esthétiques. Il s'agit ici d'établir une périodisation de la question de l'art dans l'oeuvre de Deleuze, en fonction des problèmes qu'il pose. On retiendra trois périodes qui sont trois philosophies de l'art : la première accorde la priorité à la littérature ; la deuxième opère le passage du littéraire au sémiotique, en mettant en lumière le rôle politique de l'art ; et la troisième élabore une sémiotique de l'image, à partir de la peinture et du cinéma.
Dans les Essais de Montaigne, un essai domine tous les autres : l'Apologie de Raymond Sebond. Dans ce chapitre, véritable oeuvre dans l'oeuvre, la défense de Sebond se transforme en illustration du scepticisme dynamique de Montaigne. L'auteur propose ici, de manière inédite, un commentaire philosophique intégral de ce texte majeur de la philosophie française. S'en dégage un anti-rationalisme restitué dans toute sa cohérence qui paraît bien situer la pensée de Montaigne du côté d'un pyrrhonisme fidéiste ou d'un fidéisme sceptique.
On interprète généralement la philosophie morale de Kant à partir d'un certain nombre de thèses devenues classiques et qui demeurent souvent ininterrogées. Il est ainsi entendu que la morale chez Kant ne se fonde pas sur la religion et qu'elle ne présuppose pas l'existence de Dieu, que la liberté constitue la clé de voûte du système et que l'autonomie du sujet moral en est le coeur. Mais ces thèses, qui sont exactes, ne peuvent être pleinement comprises qu'en rapport avec la question de Dieu. La liberté de l'homme et l'absolu même de la loi morale renvoient au mystère insondable de l'existence de Dieu et de la présence du divin en l'homme. Dieu, et non sa seule idée, est même reconnu dans les derniers écrits comme le principe suprême de la philosophie. Il est alors possible d'interpréter la pensée kantienne tout entière comme un chemin vers Dieu et même, à un certain point de vue, comme une phénoménologie du divin.
Maître Eckhart (1260 - 1328), théologien et philosophe allemand des XIIIe-XIVe siècles, fut à son époque un maître universitaire illustre, un penseur réputé pour son extrême érudition en théologie et en philosophie. Mais il fut aussi un véritable « maître de vie », un prédicateur en langue vulgaire qui employait sa langue maternelle, le moyen haut-allemand, de manière créative. Ses écrits allemands, notamment ses sermons pastoraux, contiennent de nombreuses expressions imagées, sensibles et poétiques. Les sermons en allemand s'adressaient aux gens ordinaires, au peuple des fidèles, aux moines, moniales ou béguines. Sous l'érudition académique, se profile la figure d'un véritable poète théologien, qui a consacré sa vie et sa mission pastorale à célébrer la Parole poétique vivante.