La vie du Père Joseph (1577-1638), surnommé par ses détracteurs « l'éminence grise du cardinal de Richelieu » dont il était ministre, est un saisissant paradoxe.
Le jour, ce chef de redoutables services spéciaux dirige les opérations sur le champ de bataille. Son exercice impitoyable du pouvoir réussit à prolonger les horreurs de la guerre de Trente Ans.
La nuit, ce fondateur d'un ordre de religieuses contemplatives prie ou compose des poèmes.
Pourquoi Aldous Huxley, le romancier de Contrepoint et du Meilleur des Mondes, s'est-il fait le biographe de ce prodigieux méconnu, mélange de Talleyrand et de saint Jean de la Croix ?
Parce que, dit-il, « la création d'un tel homme dépasserait le génie de n'importe quel artiste littéraire ». Certainement aussi parce que le Père Joseph, politicien mystique, s'est vu, le jour comme la nuit, en bâtisseur d'un monde meilleur...
Suivre « pas à pas » et « avec franchise » toute la série de ses études : c'est précisément ce que Vico (1668-1744) se proposait de faire dans son autobiographie Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, parue en 1728.
Mais, parce que placée dans la perspective de la polémique contre la diffusion du cartésianisme à Naples, cette reconstruction a posteriori eut pour effet de léguer une image du penseur toute orientée vers un but : la conception de la Science nouvelle.
Rompant avec cette artificielle perspective, Raffaele Ruggiero raconte une autre histoire de Vico. Il rend leur pleine autonomie à toutes les expériences intellectuelles du savant penseur : sa formation, ses études juridiques, son engagement littéraire, son invention d'une nouvelle rhétorique de la science. Il révèle la multiplicité des inspirations culturelles qui ont façonné sa physionomie unique de philosophe et d'écrivain, et l'articulation complexe de ses intérêts scientifiques destinés à remodeler l'encyclopédie des savoirs à l'aube de la modernité.
Convoquant toutes ses oeuvres, le replaçant dans son contexte, celui d'un protagoniste de la République des Lettres à l'époque des Lumières, Raffaele Ruggiero expose le rapport ambigu et passionnant de Vico à ses sources et à ses fantômes polémiques.
Ce livre raconte plusieurs histoires en une. D'une part, celle d'une des académies les plus originales et les plus productives de la fin de la Renaissance florentine, l'académie des Alterati (1569-ca. 1630). D'autre part, celle d'un groupe social restreint, constitué de quelques dizaines de jeunes patriciens florentins que le pouvoir médicéen ne voyait pas d'un bon oeil parce que leurs ancêtres avaient lutté pour maintenir la République oligarchique. Ces jeunes nobles firent de leur académie un lieu où occuper leurs loisirs et partager leurs plaisirs - artistiques et autres -, mais aussi un collectif où travailler ensemble à leur intégration dans la société de cour médicéenne.
En troisième lieu, ce livre raconte l'histoire d'un corpus de documents, aujourd'hui dispersé, mais qui constituait jadis le fondement de toutes les activités des « Altérés ». Ces milliers de folios de documents, pour l'essentiel restés à jamais manuscrits - et très largement inexplorés - contiennent des discours académiques, des lettres, des registres d'activité, des dialogues, des poèmes collectivement corrigés, etc. Leur analyse permet de suivre au jour le jour les activités des Alterati pendant près de six décennies, et d'examiner, à travers la forme matérielle que prirent leurs travaux, comment émergèrent en leur sein, au fil de leurs débats, des horizons intellectuels collectifs.
Par l'entrelacement constant de ces trois histoires, ce livre en raconte enfin une quatrième : celle des actions, activités et discours qui, au sein de l'académie des Alterati, ont participé à la constitution de l'esthétique en savoir (et en savoir-faire) d'un type nouveau. À travers le cas des Alterati, ce livre pose ainsi la question de la formalisation des savoirs et pratiques esthétiques qui sont aujourd'hui les nôtres - et celle des liens entre leur émergence et la montée en puissance de l'autoritarisme politique moderne, au sein des aristocraties européennes de la première modernité.
Nos aventuriers sont les humanistes. Leur quête : retrouver la culture antique perdue. En restaurant sa mémoire, ils fondèrent - souvent au péril de leur vie - une civilisation de la libre pensée, la nôtre. Ils s'engagèrent dans tous les domaines de la vie sociale, depuis la peinture jusqu'aux droits des colonisés, en passant par le théâtre, l'astronomie et la religion. Nous avons beaucoup à apprendre d'eux, en un temps où la liberté d'expression est à nouveau menacée. Jean-Christophe Saladin raconte les aventures de ces hommes et de ces femmes de la Renaissance qui surent puiser dans les immenses richesses occultées du passé pour construire leur avenir.
Le trois-mâts Bounty fait route vers l'Angleterre après avoir embarqué à Tahiti des plants d'arbres à pain quand, un matin d'avril 1789, le jeune officier Fletcher Christian - entraînant avec lui une partie de l'équipage - s'empare du commandement et abandonne dans une chaloupe au large des îles de la Société son capitaine William Bligh et dix-huit matelots avec cinq jours de vivres. Bligh navigue quarante-trois jours avant d'aborder dans l'île de Timor, se révélant un remarquable meneur d'hommes et un excellent navigateur. La justice entre alors en action, mais ne saisit à Tahiti qu'un certain nombre des mutins. Christian et neuf autres ont disparu avec le Bounty. L'énigme de leur sort ne se résout que par la découverte en 1808 de la communauté de l'île de Pitcairn. Les raisons de la rébellion, l'odyssée de Bligh (qui finira amiral et mourra en 1817 à soixante-trois ans), la tragique ou l'étonnante destinée des mutins, c'est ce que relate Sir John Barrow d'après les archives du procès et ses propres recherches dans ce récit publié en 1831, à la fois authentique et passionnant, d'une des plus célèbres mutineries de la marine anglaise.
Le nom de Sir John Barrow a été donné à une pointe, un cap et un détroit en hommage à ce grand voyageur et géographe anglais, né en 1764 près d'Ulverston dans le Lancashire. Comme secrétaire de Lord George MacArtney, il l'a accompagné dans des missions en Chine et en Afrique du Sud. Devenu en 1804 sous-secrétaire d'État à la Marine, poste qu'il conservera quarante ans, il organise des expéditions scientifiques et crée la Société royale de géographie en 1830. Il a laissé entre autres les relations de ses voyages en Chine (1804), en Afrique du Sud (1801-1804), d'expéditions dans les régions arctiques (1846), une autobiographie (1847), une Vie de Lord Macartney (1807) et de Lord Howe (1838), ainsi que le précieux documentaire sur Les Mutins du Bounty (1831). Sir John Barrow est mort à Londres en 1848.
Peu de livres ont eu une importance historique aussi grande, et une postérité aussi variée, que ces « Réflexions », présentées ici dans une traduction nouvelle. OEuvre de circonstance, elle est très vite au centre des polémiques de l'époque révolutionnaire et, au-delà, elle inspire toutes les grandes critiques de la philosophie du XVIIe siècle : du conservatisme anglais au romantisme allemand et au traditionalisme des contre-révolutionnaires français.
Libéral anglais, que tout semblait disposer à accueillir favorablement la Révolution, Burke, dès novembre 1790, prévoit, comme des conséquences inéluctables, la déposition du roi sinon son exécution, et la dictature militaire. La Terreur et la guerre ne feront que confirmer ses premières analyses, comme le montrent, avec une superbe éloquence, les textes qu'il consacra ensuite, jusqu'à sa mort en 1797, aux événements de France, et dont un choix abondant complète la présente édition.
Traduction de Pierre Andler ; présentation de Philippe Raynaud ; annotation d'Alfred Fierro et de Georges Liébert.
Edmund Burke (1729-1797), homme politique et philosophe anglais d'origine irlandaise, a longtemps été député à la Chambre des Communes comme membre du parti whig. Il est resté célèbre pour le soutien qu'il a apporté aux colonies d'Amérique du Nord lors de leur lutte pour l'indépendance, ainsi que pour sa ferme opposition à la Révolution française qui fit de lui l'un des chefs de file de la faction conservatrice au sein de son parti.
Traduite par Claude Laurens avec une courte préface de Pierre Laurens, la fable politique qu'on va lire dans cette nouvelle issue, remaniée pour adhérer à l'édition la plus récente du texte latin, est à ranger dans la bibliothèque aux côtés des chefs-d'oeuvre de Swift, de Voltaire et de George Orwell.
Momus, personnage de la mythologie, mis en scène par Lucien comme le dieu de la critique, devient, entre les mains d'Alberti, qui fait de lui par deux fois une victime injustement persécutée, le premier immoraliste de la littérature moderne. L'exil parmi les hommes aiguise son esprit caustique, le malheur lui enseigne à masquer son caractère, au point que le dieu du franc-parler devient, au rebours de sa nature, le virtuose, mieux : le théoricien de la simulation et de la dissimulation, tel un ingénieux Ulysse égaré dans les cours. Mais surtout, à travers les mésaventures qui le ballottent du ciel à la terre, de la société humaine au parlement de l'univers, il est à chaque instant et partout, comme plus tard le Neveu de Rameau, le génie de la provocation, le grain de levain qui démasque les faiblesses et les hypocrisies, bouscule les idées reçues, désacralise les puissances établies.
Mêlant systématiquement le rire au sérieux, irrigués continuellement par la veine imaginative, portés par une phrase d'une incroyable agilité, les épisodes se succèdent dans un rythme effréné, alternant paradoxes éblouissants, pages d'un comique bouffon et osé autant que profond et inventions poétiques. Un régal.
Architecte, peintre (et auteur des deux premiers traités modernes d'architecture et de peinture), ingénieur, humaniste, moraliste, écrivain, Alberti (1404-1472) fut, avant Léonard de Vinci, le premier exemple de l'homme « universel », génial et inclassable.
De ce pays si proche et en même temps si différent, les voyageurs français du XVIe au XVIIIe siècle ont laissé, à travers leurs récits et leur correspondance, de nombreux témoignages. Tous disent avec force la beauté et la magnificence des paysages, des villes et des oeuvres d'art.
Mais seuls quelques-uns parlent des habitants, ces Italiens des temps baroques tels qu'ils les ont vus, approchés, fréquentés ; c'est donc à eux que s'attache cet ouvrage. Parce que ce sont les hommes et les portraits qu'ils en brossent, qui rendent si colorés les textes de ces voyageurs. Au-delà des stéréotypes et des préjugés, au-delà des conventions propres à ces récits, une Italie extrêmement vivante naît ainsi sous nos yeux. Des femmes et des hommes à la fois lointains et étonnamment familiers dans leur façon d'être et de vivre, piquent la curiosité des auteurs, qui nous les rapportent dans des narrations où le pittoresque, le trait littéraire et l'humour ne sont jamais absents. La vision globale d'un peuple est restituée, dans ses aspects physiques et son habillement, ses croyances et ses superstitions, comme dans la place si particulière de la femme au sein de la société. Défilent devant nous autant leurs coutumes - parfois bien surprenantes - que leur cuisine et leur langue ou, tout bonnement, leur amour de la vie dans ce qu'elle a de plus intense et de plus léger. Ils sont là, ces Italiens, plus que jamais présents - plus que jamais attachants.
Docteur en Histoire de l'Art moderne (Paris IV Sorbonne) Laurent Bolard est spécialiste de la peinture italienne de la Renaissance et du XVIIe siècle. Auteur de nombreuses études sur l'Italie renaissante et baroque, il a publié un Caravage chez Fayard, et un Voyage des peintres en Italie au XVIIe siècle aux Belles Lettres.
À la différence des pensées antiques qui, invitant à se connaître soi-même, détachent l'âme du corps, la pensée chrétienne élabore une conception du corps étroitement solidaire de l'âme : celle-ci n'est tout à fait elle-même qu'unie au corps qu'elle anime. Or la médecine sait à quel point la vie intérieure du corps nous échappe. Si la Renaissance est ardemment attentive à l'anatomie, de grandes pensées expriment de fortes réserves sur la validité de ce savoir qui pourrait bien n'être qu'un trompe-l'oeil. Plus généralement comment définir le rapport de l'âme et du corps ? Les métaphores qui tentent de le décrire sont aussi nombreuses qu'imparfaites, comme est vif l'intérêt pour ces individus qui vivent ce rapport dans l'incertitude, l'instabilité ou l'inquiétude : le lycanthrope, qui, comme on dit alors, « se met en loup », l'ensorcelé, le fou. À défaut de pouvoir scruter l'intimité des corps, d'être en état d'en franchir la clôture, il faut mettre en place des procédures indirectes d'observation, édifier un complexe savoir conjectural qui sache repérer et croiser les signes. Nous n'avons pas complètement renoncé à ces représentations.
Parue en 1684, en conclusion de ce dernier grand monument d'érudition de la kabbale chrétienne qu'est la Kabbala denudata, l'Esquisse de la kabbale chrétienne, dont l'attribution reste encore discutée, fait dialoguer un philosophe chrétien et un kabbaliste. Reprenant et développant les principaux thèmes mis en avant par les kabbalistes chrétiens qui l'ont précédé, ce dialogue missionnaire se veut une démonstration, à l'aide des méthodes et thèses de la kabbale juive, de la vérité du christianisme, afin, non seulement, d'y amener les juifs, mais aussi de reconduire les chrétiens divisés à l'unité profonde et originaire de leur religion. Comme le montrent la présentation et les notes, il entend démontrer, dans la ligne qui fut celle, notamment, à la Renaissance, de Pic de la Mirandole et de Reuchlin, et puisant aussi bien dans la Bible et les grands textes du judaïsme et de l'Antiquité païenne, que chez les Pères de l'Église et des penseurs médiévaux ou modernes, que le coeur du judaïsme - la kabbale - est aussi celui du christianisme. Cet ouvrage connut un grand succès et fut apprécié notamment par John Locke et Henry More.
Jérôme Rousse-Lacordaire est producteur délégué à France Culture et rédacteur de plusieurs revues. Spécialiste des rapports entre ésotérisme et christianisme, il a publié de nombreux ouvrages et traductions de textes renaissants, dont Ésotérisme et Christianisme : histoire et enjeux théologiques d'une expatriation ; Une controverse sur la magie et la kabbale à la Renaissance et Une fraternité à l'honneur du Saint-Esprit : le Liber articulorum des prêtres de Lodève.