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UNES
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échos du grand âge ; comme un oiseau puissant aux ailes libres
Walt Whitman
- Unes
- 16 Août 2024
- 9782877042833
Ce volume rassemble les poèmes considérés par Whitman comme « le sillage » de ses mythiques Feuilles d'herbe, une poursuite de ses « explorations » poétiques. Il s'ouvre avec Comme un oiseau puissant aux ailes libres, dont la rédaction commence en 1872. Whitman a alors 53 ans, quelques années ont passé depuis la guerre de Sécession, et l'heure est au futur et au renouvellement de la nation pour le poète. Cet oiseau libre, c'est l'Amérique, des plaines, des forêts et des fleuves, c'est le vaste pays sauvage que l'on parcourt porté par le vent. C'est le soleil radieux, le grand ciel vide, les eaux du Potomac et l'éclosion des roses rouges, les prairies verdoyantes et « le matin pourpre des collines ». L'Amérique est pour Whitman la destination finale du navire humain, aboutissement du temps, des nations et des époques, une terre où bâtir un futur démocratique et apaisé : un « Nouveau Monde » encore à définir, dont la dimension dépasse le présent et que seul le « futur » est à même accueillir. Viennent ensuite les Échos du grand âge, derniers poèmes de Whitman, écrits entre 1873 et sa mort en 1892, et publiés à titre posthume 1897. Poèmes en forme de dernière envolée panoramique d'un poète qui réunit les derniers éclats magnétiques d'un vol d'abeilles sauvages, d'une brise, de la lumière du jour et du silence de la nuit, de l'aller-retour des marées. Un dernier regard paisible sur la nature, dans l'attente non moins paisible de la mort. Après les souvenirs des échos de la guerre, les naufrages, les spectres, des hommes déchirés, Whitman « crée un décor, un chant » plein de lumière, plein d'une foi confiante en l'avènement d'un monde moderne et réconcilié. Ces poèmes qui alternent l'ampleur du souffle narratif et la sensualité lumineuse d'évocations aériennes témoigne d'une époque où la poésie était une vision de la destinée de l'homme et de la femme, un chant de progrès, d'émancipation et de paix. D'amour aussi, qui est « le pouls de tout », et un désir d'atteindre à la Joie, dans une célébration musicale de l'existence, de l'ordinaire beauté de vivre et de respirer, ainsi que le résume Whitman avec la simplicité remarquable des grands poètes : « être tout simplement - quoi de mieux ? »
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Ce Passage des heures, inédit dans la version que nous publions ici, a été écrit par Fernando Pessoa entre 1915 et 1916, avant d'être repris en 1923. Signé Alvaro de Campos, l'hétéronyme de l'Ode Maritime et de Bureau de tabac, le texte se présente comme une suite de poèmes plutôt que comme une ode d'un seul souffle dont l'auteur est coutumier à cette époque, mais elle en partage le caractère grandiose, et cette capacité de lier le sentiment universel à la singularité de chacun. Ce poème en grande chevauchée par-delà les paysages, les hommes et les concepts souhaite embrasser l'humanité tout entière. « Mon coeur rendez-vous de toute l'humanité » dit-il, et ce sont autant de femmes, enfants, vagabonds et assassins, amants et bouffons, policiers et vieilles marraines qui traversent ces pages. Pessoa passe, multiple et fluide, comme un ouragan sur Singapour, Macao et Zanzibar en passant par Madagascar, avec l'énergie déferlante de celui qui trouve la vie trop petite, et qui a du mal dans son emportement à tenir les rênes tant l'univers le submerge, tant il est submergé par lui-même. Le poète est plus que jamais sous la plume d'Alvaro de Campos cet ingénieur à la fois suprême et dérisoire attelé à la « grande machine univers » qui a été « éduqué par l'Imagination ». Il tient l'ouverture maximale aux êtres, aux sensations, aux idées, dans un poème placé sous le signe de la sincérité et de la contradiction chère à Baudelaire dont on perçoit les échos, jusque dans ces bourrasques de mélancolie et de nuits tombantes qui finissent par poindre, où celui qui écrit avec le désir de tout contenir, tout retenir, tout restituer, d'être et d'être de toutes les façons possibles, d'être à la fois littéral et métaphorique, nous révèle qu'il est « celui qui a toujours voulu partir, et qui reste toujours ». Mélancolie et pesanteur humaine qui refuse de choisir une humanité au détriment de l'autre, qui tient même l'humanité pour une dans sa multiplicité même, qui célèbre le labyrinthe d'idées, d'élans et d'émotions qui nous compose, acceptant avec lucidité de briser l'idéal, de s'égarer, de se retrouver, de n'être plus soi-même, d'être tous les versants de soi-même ; de la sympathie à la tendresse à l'amour, jusqu'aux ombres, jusqu'au mensonge, jusqu'au crime, et jusque dans la transposition du genre, jusque dans le vacarme effervescent de la multitude du début du XXe siècle et ses paysages pleins de trolleys, de transatlantiques, d'usines et de moteurs diesels - car pour Pessoa la machinerie même céleste passe toujours par la machinerie humaine. Passage des heures est un poème bouleversant qui voudrait rendre tangible la métaphysique, qui voudrait tout être, tenir tout le possible et toute l'altérité sur une ligne, car « il n'y a qu'un seul chemin pour la vie, c'est la vie... ».
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Ce volume regroupe trois ensembles tardifs de Charles Reznikoff, figure de proue du mouvement de la poésie objectiviste américaine. Les Juifs en Babylonie, écrit en 1969, évoque avec une simplicité remarquable l'existence antique fait d'agriculture, d'artisanat et de culte. En une suite de tableaux esquissés avec sa concision coutumière, Reznikoff donne vie à ces hommes et femmes qui coupent le bois, taillent les pierres, tannent les peaux, gardent les troupeaux, où la trinité de « laboure, sème, moissonne » agit comme le leitmotiv d'une époque où humains, bêtes, oiseaux, vers, dans la limite des mondes connus, étaient tous égaux devant dieu. Suivent ses Derniers poèmes, écrits entre 1973 et 1975, qui illustrent le double penchant qu'a Reznikoff pour la trame historique et pour l'observation minutieuse de la vie citadine. Dans Le bon vieux temps, il s'appuie comme à son habitude sur un certain nombre d'archives, de journaux, d'histoires et d'épisodes historiques, fidèle à son travail « d'archéologue » poétique, pour nous plonger dans une succession de scènes aussi sèches que brutales, à la tonalité neutre et implacable, sans autre morale que l'absolue dureté de vivre et mourir. Qu'il s'agisse d'une servante violée et assassinée en 1637 en Nouvelle-Angleterre, d'un pasteur et de sa famille enlevés par les Indiens en 1703, de cavaliers sombrant dans les sables mouvants au Nouveau-Mexique en 1835, ou d'une glaçante vente d'esclaves à la Nouvelle-Orléans en 1853 où une femme implore qu'on ne la sépare pas de ses enfants, partout surgit l'inéluctabilité du tragique de la condition humaine. Viennent ensuite des séries de poèmes brefs, En marchant dans New York, Juste avant le coucher du soleil, où Reznikoff saisit avec une grâce incomparable les instants de la rue américaine : un aveugle qui traverse la rue, les sirènes de police, les feuilles qui ondulent dans le vent, la dispersion insoumise des pissenlits dans l'herbe, avec un regard attentif aux sans-abris, aux vagabonds, jusqu'aux oiseaux exilés sous les toits. Ces deux ensembles qui montrent une fois de plus l'ensemble des focales du poète, qui mêle le détail et la sensation du présent, le regard factuel sur l'histoire et l'évocation revivifiée de la vie antique, sont complétés par Obiter Dicta, bref essai essentiel datant de 1968 et retrouvé à sa mort, véritable art poétique qui analyse et éclaire son rapport à l'écriture et à sa dimension objectiviste.
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Poèmes d'amour : L'amour, les femmes et la vie, une anthologie personnelle
Mario Benedetti
- Unes
- 5 Novembre 2024
- 9782877042871
En 1995, Mario Benedetti, le poète uruguayen le plus important de son temps, décide de rassembler en un livre ses plus beaux poèmes d'amour. Cette anthologie traverse ainsi 50 ans de poésie, marquée par la présence à ses côtés de « la demoiselle », celle qui est le grand amour de sa vie et qu'il a épousée en 1946 : Luz Lopez Alegre -notamment dans un poème bouleversant qui raconte trente ans de vie amoureuse sur plusieurs pages, célébrant les « petits riens de la vie quotidienne » qui font la grande traversée de l'existence à deux. Cette permanence, cette présence et ce dialogue sont pour le poète les preuves mêmes et la justification de la vie. À 75 ans, Benedetti se retourne ainsi sur sa vie amoureuse, et rassemble la grâce, la lumière, la spontanéité d'une jeunesse qui ne s'est jamais dissoute, en une série de poèmes turbulents et directs, si simples, si simplement donnés. Car le génie de Benedetti tient à cette simplicité, presque une candeur, presque des chansons, à ce sentiment que l'écart est nul entre le regard et les mots, avec une écriture qui ne doit rien à personne, et ne s'embarrasse ni de convenances ni d'ornementations, une écriture qui vient de la rugosité de la rue, de l'oralité populaire, et qui y puise son lexique. La beauté de Benedetti tient à sa facilité à dire aussi bien l'amour que la solitude, car c'est paradoxalement un livre hanté par la solitude qui est le corollaire de l'amour, dont on ne peut jamais complètement fuir l'ombre. Pas un livre de pur éblouissement donc, mais un livre conscient de la perte et du temps qui passe, qui cherche à revivre ce qui a été perdu - et que reste-t-il de l'amour quand le sentiment d'éternité se dissipe ? Cette traversée n'est pas qu'intime, c'est aussi le regard sur le demi-siècle traversé par l'Amérique latine, avec ses coups d'État et ses révolutions, ses exils et ses rafles, la caste dominante et l'amour pour les peuples qui font corps avec la trajectoire de l'auteur. Si la poésie de Benedetti est exaltée, elle est toujours consciente, terrestre, politique, corporelle et joueuse, tour à tour sublime et vulgaire, littérale et profonde, banale comme la vie, merveilleuse comme la vie.
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Troisième volet de la « quadrilogie des éléments » de la poétesse danoise Pia Tafdrup, La Boussole des oiseaux migrateurs est une mappemonde qui défile sous nos yeux. Dans Les Chevaux de Tarkovski, livre de la terre, Tafdrup évoquait la fuite des souvenirs et accompagnait son père au bout de la maladie ; dans Le Soleil de la salamandre, livre du feu, elle remontait les cinquante premières années de sa vie à raison d'un poème pour chaque année. La Boussole des oiseaux migrateurs est le livre de l'air, un voyage à rebours qui commence avec le premier désir d'envol de l'enfance, dans la ferme parentale isolée au milieu des champs. Un livre d'envol oui, au bout des pieds de son père qui la soulève de terre en lui tenant les mains, découvrant les avions qui décollent sans elle lorsqu'elle accompagne son grand-père pour la première fois à l'aéroport, envol à l'arrière d'une moto à l'adolescence, filant dans la nuit les mains enroulées autour de la poitrine d'un jeune homme, et plus tard dans le ballet incessant d'une poétesse que les lectures de poèmes envoient tout autour du monde. Pia Tafdrup évoque avec une grâce sans pareille la part d'errance et de cap, d'erreur et de découverte qui nous guident en chemin, et avec une acceptation absolue de l'existence dans ses heurts et ses travers, ses joies et ses questions, car il n'y a qu'un seul chemin, le nôtre. On ne peut pas faire demi-tour, et on marche non « pour s'approcher du but, mais pour observer ce qui s'approche ». Si les poèmes d'ouverture nous plongent dans « les sons d'autrefois », entre le tracteur, la vieille citerne, la terre humide et les chevaux, au milieu de ces vies rurales qui naissent et disparaissent discrètement, la suite est étourdissante et nous projette dans un tour des impressions du monde comme on fait tourner un globe terrestre du bout des doigts. Pia Tafdrup fait la liste des objets qu'elle emporte en voyage, puis la liste des choses rapportées de voyage, puis la liste des choses oubliées ou perdues en voyage avec cette question de savoir ce qu'est un voyage. Un « aller-retour » répond-elle, qui doit se terminer sans quoi il ne mènerait nulle part, ne serait que « fuite, exil, bannissement ». Dans cette réflexion sur les racines qui a pour moteur la rêverie, Tafdrup chante aussi bien l'aller (issus des rêves d'une jeune fille de la campagne) que le retour (ce qui la ramène chez elle, et la force des souvenirs), et toujours se fie à cette « aiguille de la boussole qui fait vibrer les jours », et qui permet de traverser ce monde étranger et extérieur alors que nous sommes faits d'intime. Les oiseaux migrateurs qui guident Tafdrup, ce sont les mots qui sont sa seule patrie, sa langue maternelle, son viatique où qu'elle soit sur la terre. « Jamais je n'ai désiré plus qu'une seule vie » nous dit-elle dans ce livre où, sûre d'où elle vient, elle cherche où elle est allée, avec en elle le poids des désirs contrariés des femmes de son enfance, de sa mère et de sa grand-mère, dont elle accomplit en voyageant le destin auquel elles n'ont pas eu droit.
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Cette édition regroupe un choix parmi les poèmes écrits par Emily Dickinson en 1860 et 1861, juste avant la période la plus intense de sa production poétique. Celle qui se retirera progressivement dans la solitude de sa chambre, fabriquant ainsi malgré elle sa légende, se trouve encore, à cette époque, « du côté des mortels ».
Dickinson n'écrit pas activement depuis très longtemps, la pratique régulière de l'écriture lui vient en 1858, à 28 ans, et les poèmes de cette première période bruissent encore des échos d'Amherst, sa ville natale, dont elle arpente les rues avec son fidèle chien Carlo. La nature est omniprésente, tout un herbier composé de fleurs multiples et colorées habite ses poèmes qui bruissent de chants d'oiseaux. Mais déjà, par-delà l'existence quotidienne et les paysages familiers, Emily Dickinson semble s'adresser à l'autre monde derrière les collines ;
Non pas cette Amérique qu'elle ne connaît que par les livres, mais bien l'éternité et les fantômes qui la peuplent.
La jeune femme dresse déjà au milieu de son jardin une échelle vers le Paradis dont elle butine les échos comme une abeille, peut-être pour échapper au passage de l'enfance à l'âge adulte, question qui agite nombre des poèmes de ce volume. Il est trop tôt pour être une femme, dit-elle, et plus précisément une épouse, avec sa vie réglée et ses devoirs. À la veille de se retirer presque définitivement dans le monde intérieur de la demeure familiale, Emily Dickinson ouvre grand les fenêtres sur le monde, faisant le pari de tout faire tenir en un seul geste, la vie et la littérature, l'instant présent et l'éternité, la mystique et la liberté.
Avec Du côté des mortels, nous continuons d'éditer la poésie d'Emily Dickinson en proposant un choix par années, qui permet de montrer les grandes lignes de force et les évolutions de son écriture poétique. Nous ne jouons pas sur les tombes se concentrait sur les poèmes de 1863 qui fut son année la plus prolifique, Un ciel étranger (cité dans les 100 livres de l'année 2019 du magazine Lire) portait sur l'année 1864, et Ses oiseaux perdus sur les dernières années de sa vie, de 1882 à 1886 et Je cherche l'obscurité sur les années qui ont suivi la Guerre de Sécession, 1866 à 1871.
Chaque volume est accompagné en postface d'une évocation d'Emily Dickinson par une poétesse d'aujourd'hui :
Flora Bonfanti, Raluca Maria Hanea, Maxime Hortense Pascal, Caroline Sagot Duvauroux, et pour la présente édition Claude Ber -
« Nous sommes partis du chaos et nous avons déchu », c'est par ce vers unique sur la page que cette Hélice commence son forage, qui va prendre corps vers après vers, page après page, tourner sur elle-même en s'élargissant, creuser sa pensée avant de se rétracter sous l'effet de la rotation pour finir comme elle avait commencé, en une succession de paroles brèves et acérées. Partir du chaos, prendre son essor, déchoir, trois mouvements du poème, trois mouvements de la vie humaine que le poète et dramaturge espagnol Fernando Renjifo entrelace - « faufile » comme on le dit joliment en couture - dans ce livre dont la beauté doit beaucoup à la force retenue, méditative, à un mélange de fables minimalistes et de fulgurances secrètes. Cette communication entre l'intime et le monde qui n'oublie jamais sa part de contradiction, cette tension constante entre réel et abstraction, entre mentalité et sentiment, entre « dette » et « espérance », irrigue le texte d'une mélancolie moins inquiète de la disparition personnelle que de la chute collective. L'espèce est en voie de disparition, à chaque échelle, intime depuis toujours, collective depuis peu. Une disparition qui au gré de visions puissantes coïncide avec le linge étendu qui disparaît à nos fenêtres ou aux chaises vides sur la lande, et médite sur l'effacement des noms, des objets, des animaux. Une disparition petite et quotidienne comme celle des soleils, presque heureuse de son insignifiance. Un regard archaïque se pose sur ces pages pleines d'absence, au fil d'une pensée qui s'articule de façon hélicoïdale, cherche à remonter à la source, à notre première matière selon une boucle ADN - nous sommes « matière et mouvement », faits « de hasard et de vide » dit Renjifo -, à la « cause première » de l'humanité, de sa divagation et de son détournement. L'espèce se trouve expulsée, au milieu d'un monde en décomposition, après avoir tourné le dos au chaos, à la confusion, au règne animal pour se retrouver entre les mains de l'ordre, des nombres et de la loi. Il reste malgré tout le désir, le désir humain qui persiste en ces « temps de jachère », et qui se laisse soulever par la « rage de la mer » et une certaine « odeur du monde ». Désir du centaure qui a aimé un humain, qui a touché la terre, désir des corps qui se sont baignés dans l'eau. Ou douceur de voir les enfants jouer sur le balcon, douceur encore de reposer la tête dans un rire. Accompagnant la rotation de l'hélice, il s'agit de retenir à soi désir et douceur même quand « le monde va au délire » et que « les animaux ont fui ».
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Cette collection de Choix de poèmes donne à lire au format poche une traversée personnelle de l'oeuvre d'une voix poétique importante d'aujourd'hui. Fidèle à notre histoire et à notre désir de découvrir des poésies françaises comme étrangères, la collection accueillera aussi bien des textes francophones que des oeuvres traduites en édition bilingue. Dans les traces de ce qu'avait réalisé Henri Michaux en 1976, il s'agit de proposer à un ou une poète de composer en toute liberté sa propre anthologie. Les textes sont présentés chronologiquement, et composent un ensemble en forme d'autoportrait qui permet au lecteur d'entrer pleinement dans la richesse, la continuité et les bifurcations d'une oeuvre. Si le format poche implique un prix accessible, nous avons toujours eu à coeur aux Editions Unes de faire coïncider la beauté du texte à celle de l'ouvrage, c'est pourquoi vous retrouverez dans ce livre le même soin d'édition et de fabrication que nous apportons à nos ouvrages habituels, aussi bien dans la qualité des papiers que dans le choix de proposer un livre cousu. Attachés aux liens et croisements entre poésie et peinture, nous avons demandé peintre et poète Pierre Mabille, dont l'oeuvre est marquée par la couleur, de dessiner les couvertures de cette nouvelle collection, et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à lire ce livre que nous en avons eu à l'éditer
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Paru en 1917, Ultimatum est le dernier poème que Fernando Pessoa écrit sous le nom d'Alvaro de Campos avant de plonger son hétéronyme dans un long silence qui prendra fin avec notamment la parution du célèbre Bureau de tabac en 1928. Dans ce réquisitoire féroce, Alvaro de Campos livre une charge violente contre son époque plongée dans la dégénérescence de la politique, de la religion et de l'art. « Époque de laquais » dit-il, ravagée par la guerre qui déchire l'Europe, sur laquelle règne la médiocrité et la bassesse dans un « maëlstrom de thé tiède ». Dans un même élan, sont jetés à la poubelle de l'histoire aussi bien d'Annunzio que Bergson, Maeterlinck, Kipling, Yeats, Rostand, Shaw, Wells... mais aussi les révolutionnaires prolétaires, les eugénistes, les végétariens et plus généralement tout l'occident à qui est adressé cet Ultimatum sonore et salvateur contre une Europe en mal de vision, de poésie et de grandeur. « L'Europe en a assez de n'être que le faubourg d'elle-même » écrit Alvaro de Campos, qui réclame un Homère pour cette ère des machines qui le fascine, lui l'ingénieur mécanique et naval et qui en appelle à une ambition de civilisation nouvelle, certes « imparfaite » mais magnifique, une aspiration à la « taille exacte du possible ». Que l'homme soit à la hauteur de son époque qui ouvre sur des possibles infinis. C'est que l'humain n'a pas su adapter sa sensibilité à cette nouvelle ère de progrès et d'invention, et l'avatar de Pessoa d'en appeler à une adaptation artificielle, par un acte de « chirurgie sociologique », visant à éliminer les acquis du christianisme : dogme de l'individualité et de l'objectivisme personnel. Dans un mouvement surprenant, Pessoa semble faire ici en creux l'éloge des hétéronymes - exhortant les poètes à passer de « je suis moi » à « je suis tous les autres » - tout autant qu'il en appelle à une esthétique nouvelle à l'opposé même des aspirations lyriques d'Alvaro de Campos à l'oeuvre dans ses Odes. Renverser les démocraties épuisées, désavouer la vérité philosophique, les convictions intimes, la liberté d'expression, au profit de l'expression d'une moyenne entre tous les hommes, prônant l'avènement fiévreux d'une « monarchie scientifique », et d'une « humanité mathématique et parfaite ». Le regard tourné vers l'Atlantique, Alvaro de Campos adresse aux hommes et aux nations dans cet Ultimatum qui est son « chant du cygne » comme le souligne Pierre Hourcade dans sa préface, un « merde » tonitruant, provocateur, et profondément salvateur.
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La loi et l'ordre racial : Le droit comme instrument d'oppression des Noirs aux Etats-Unis
David Diallo
- Unes
- Unes Idees
- 19 Avril 2024
- 9782877042765
Le 24 novembre 2021, à Brunswick, une ville côtière de l'État de Géorgie (Etats-Unis), un jury condamne trois hommes blancs pour meurtre après que ces derniers ont, en plein jour, poursuivi et abattu Ahmaud Arbery, un jeune homme noir de vingt-cinq ans qu'ils soupçonnaient d'être l'auteur de cambriolages dans le quartier. La vidéo de cette chasse à l'homme par trois hommes armés poursuivant dans leur pick-up un jeune homme qui faisait un simple footing et l'abattant à bout portant a fait le tour du monde, suscitant une émotion comparable à celle montrant la mort de George Floyd. Avec la condamnation pour meurtre de l'officier de police Derek Chauvin suite au procès qui suivit la mort de George Floyd, le jugement de ces trois hommes vint s'ajouter à la longue liste d'événements médiatisés qui, depuis 2014 et la mort de Mike Brown et les manifestations de Ferguson, ont donné un nouvel élan au mouvement de contestation pour une plus grande justice raciale aux États-Unis. Il permit également, comme l'affaire Trayvon Martin en 2012 et les discussions qui l'entourèrent au sujet des lois de légitime défense, de mettre en lumière des doctrines juridiques contestées. La loi et l'ordre racial : le droit comme instrument d'oppression des Noirs aux États-Unis révèle comment les idées de hiérarchie raciale, de suprématie blanche - des doctrines inscrites durablement dans les textes fondateurs du pays et dans ses institutions - continuent de trouver appui dans des pratiques juridiques qui viennent les soutenir. En prenant comme point de départ puis comme fil rouge le procès des meurtriers d'Ahmaud Arbery, David Diallo examine avec clarté, précision et en se référant aux archives historiques, dans quelle mesure la confluence d'un vaste processus de criminalisation des corps noirs avec des lois permissives, certaines remontant à la période d'esclavage, fait peser sur la population noire du pays une menace permanente.
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Choix de poèmes de Jean-Louis Giovannoni
Jean-Louis Giovannoni
- Unes
- Poche
- 15 Mars 2024
- 9782877042741
Cette collection de Choix de poèmes donne à lire au format poche une traversée personnelle de l'oeuvre d'une voix poétique importante d'aujourd'hui. Fidèle à notre histoire et à notre désir de découvrir des poésies françaises comme étrangères, la collection accueillera aussi bien des textes francophones que des oeuvres traduites en édition bilingue. Dans les traces de ce qu'avait réalisé Henri Michaux en 1976, il s'agit de proposer à un ou une poète de composer en toute liberté sa propre anthologie. Les textes sont présentés chronologiquement, et composent un ensemble en forme d'autoportrait qui permet au lecteur d'entrer pleinement dans la richesse, la continuité et les bifurcations d'une oeuvre. Si le format poche implique un prix accessible, nous avons toujours eu à coeur aux Editions Unes de faire coïncider la beauté du texte à celle de l'ouvrage, c'est pourquoi vous retrouverez dans ce livre le même soin d'édition et de fabrication que nous apportons à nos ouvrages habituels, aussi bien dans la qualité des papiers que dans le choix de proposer un livre cousu. Attachés aux liens et croisements entre poésie et peinture, nous avons demandé peintre et poète Pierre Mabille, dont l'oeuvre est marquée par la couleur, de dessiner les couvertures de cette nouvelle collection, et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à lire ce livre que nous en avons eu à l'éditer.
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Premier livre de Cummings, ces Tulipes & Cheminées (1924) ont connu un destin contrarié. L'audace du livre ayant effrayé les éditeurs de l'époque, Cummings se vit contrait de saborder son projet et de le publier en volumes distincts et tronqués. Tulipes & Cheminées participe pleinement de cette extraordinaire et féconde naissance de la poésie américaine moderne au tout début des années 1920. Comme l'a écrit Richard S. Kennedy, Tulipes & Cheminées est « un paysage de transition dans l'évolution de l'expression en vers du vingtième siècle. » Le livre s'ouvre sur de longs poèmes dont l'hypnose amoureuse doit beaucoup à leur forme classique. Poésie vouée aux « plus grands amants du monde », de Sémiramis à Hélène en passant par Yseult et Cléopâtre, elle confirme combien Cummings est un poète de l'amour, qui puise dans la source conventionnelle de la romance une matière qui renouvelle brusquement la tradition poétique héritée du XIXe siècle. Tulipes & Cheminées est un laboratoire, une déconstruction « en direct » des héritages poétiques, une danse de chaque instant faite d'étirements et d'accélérations prodigieuses, de suspens merveilleux qui poussent la plasticité du langage à l'extrémité du sens. Une explosion qui dans un geste épique avant-gardiste plonge le poème dans le monde, le trempe à même les rues, l'imprègne de l'atmosphère des bars de New York, des discussions au comptoir, des métros, de la frénésie citadine, de la vie souterraine, des prostituées, des gangs, du jazz. Cummings ne stratifie pas la langue, il en adopte toute la trivialité, dans un geste qui se veut à la fois vulgaire et sublime, érudit et joyeux, la nuit et le jour, la vie et la mort, la débauche et la courtoisie, et invente une poésie amoureuse de l'amour même, pleine de jouissance éperdue.
Donner à lire enfin au lecteur français Tulipes & Cheminées, dans une traduction inédite, - et non plus ses versions tronquées, que sont Tulipes et Cheminées, XLI Poèmes et & - c'est non seulement respecter la volonté de Cummings, mais c'est accéder ainsi au jaillissement, à l'inépuisable jeunesse et à la créativité d'une voix poétique unique, dont la syntaxe, le vocabulaire, la typographie aussi désarmantes qu'enthousiasmantes portent le témoignage. Cummings n'a de cesse de capturer l'essence des choses qu'il décrit pour offrir une réponse à la vie :
« toujours la belle réponse qui pose une plus belle question ». -
Qui est Joseph Ceravolo ? La question monte doucement à la lecture des poèmes du Printemps dans ce monde de pauvres cabots, paru en 1968, et qui ne cesse de surprendre le lecteur avec une douceur fraternelle. La question monte et se résout d'elle-même au fil de ces textes d'avant crépuscule, qui collectent les environnements quotidiens, la vie naturelle à la lisière de l'urbain, les jours d'été sur la plage, les frelons et les oiseaux, les canards et les faons, en une suite d'adresses discrètes aux amis, aux enfants, aux être aimés. Quand Ceravolo ouvre la fenêtre, ce n'est pas tant pour regarder dehors que pour faire entrer le monde, « Je voudrais être parmi toutes ces choses qui éclosent » dit-il, son écriture d'un lyrisme direct et paisible se tient sur une ligne de clarté, et parvient à l'éclosion par une réduction du poème en une solution de ciel, de lumière et de mer qui produit une essence du bonheur, une joie de paradis. Le chant est bien un « éclat chimique », et l'on sent un attachement à l'invisible, une sensibilité au zen, une amitié aux peuples premiers, aux saisons, une façon de toucher à la spiritualité grâce à une métaphysique du moment. Ceravolo déploie dans le chant des grillons, le passage des voitures sur la route, les balançoires dans le parc, les chiens qui disparaissent au loin et les paysages du New Jersey une forme d'éternité d'être là tout en laissant passer le temps. Rivières, animaux, éléments et saisons, tous réunis par un lien qui tient dans le mystère et la simplicité du regard, qui serait soi et ailleurs que soi. La focale poétique est ici grande ouverte, et la langue nous paraît dans un même mouvement novatrice et familière, pleine de surprises syntaxiques, de détournements, d'élisions et de juxtapositions lumineuses où le jour apparaît « comme verre éclaboussé ». Qui est Joseph Ceravolo ? Un poète qui a conscience d'être une « partie de cette route de la matière » de l'existence, qui sait que « nous sommes mortels, nous faisons un tour de manège », et qui, tel un enfant trouvant de nouveaux jouets chaque matin, résout avec une grâce discrète et éblouie la question du glissement des corps et de la migration de l'âme.
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Thierry, c'est son prénom, traverse une épreuve. Cette épreuve, c'est l'existence. Le fils perdu. Les petits boulots qui empêchent d'écrire, qui éreintent. L'alcool. La colère contre soi, contre ceux qui l'aiment le plus.
Il sent qu'il perd pied et se rend à deux reprises dans un hôpital psychiatrique à Cadillac, en Gironde. Il n'est pas fou. Pas plus que vous, pas plus que moi. Il se trouve que Thierry est maçon. Il se trouve que Thierry est poète. Il est arrivé par un bus à l'hôpital avec ses mains calleuses et un cahier. Au début, il croit que le chantier est à l'intérieur, mais dès qu'il trace des mots, dedans et dehors volent en éclats. Un homme cherche à se reconstruire un visage en décrivant ceux des autres humains égarés là. Au pavillon Charcot, des solitudes se croisent et frissonnent de leur profondeur vertigineuse : Aurélie, René, Mady, Denis, Bernard, Mickey, Patricia, Rainer... Tous ces écorchés vifs qui n'en reviennent toujours pas d'être au monde lui ressemblent.
Ces silhouettes allant cahin-caha entre les allées de marronniers, ces mots vrillés par une colère sourde, c'est lui. Il marche en pleine nuit dans un couloir sans aller nulle part, il pose des questions en boucle à ceux qui passent à sa portée, il porte une blessure qui rend le présent inhabitable. Il n'y a que le perpétuel effondrement de l'ici et les mots écrits sur le cahier vibrent de cet effort immense de ne pas céder à la chute tout en évitant de l'interrompre.
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Pressoir : le dernier chant de Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature
Gabriela Mistral
- Unes
- 8 Septembre 2023
- 9782877042659
Seize années séparent la publication d'Essart (Unes, 2021) de celle de Pressoir. Seize ans marqués pour Gabriela Mistral par des déchirements collectifs - la seconde guerre mondiale - et intimes - le suicide de son fils adoptif Miguel à l'âge de 17 ans. C'est pourquoi Pressoir, paru en 1954, dernier livre que publiera Mistral avant sa mort trois ans plus tard, est à ce point marqué par la séparation et l'arrivée, la construction et la défaite. La langue et l'espace se sont resserrés, les vers raccourcis, les poèmes acérés, leur souffle se fait plus bref. Mistral convoque toute la force du deuil, du souvenir et de l'amour, convoque au fil de poèmes bouleversants les visages chers, les dernières promesses de pitaya et de menthe, de pain et de sel. Et même si les « fruits sont sans lumière », même si « la lumière est malade » et que les regards perdus sont « de pure absence et d'exil », la poète chilienne fait là sa dernière ronde avant minuit, son ultime vagabondage dans sa terre désolée. Réduction à l'essentiel d'une parole rare dont Gabriela Mistral, danseuse qui danse « la danse de la perte », préserve et transporte la lumière pour transmettre son dernier message terrestre avant la nuit.
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Les douanes sont ces lieux qui n'en sont pas, dans les ports et les aéroports, où l'on contrôle la légalité de ce que l'on emporte avec soi au moment de passer la frontière. Ce sont des lieux où l'on vous demande d'où vous venez, qui vous êtes, ce que vous faites. Ou ce que vous venez faire ici. Solmaz Sharif semble écrire à partir de l'impossibilité de répondre à ces questions. Elle semble écrire à partir de la difficulté de ce passage des frontières, d'un territoire à un autre, de la mémoire au présent, d'une identité à l'exil. Dans « Mire », son extraordinaire premier livre, Sharif se servait des termes du dictionnaire militaire américain pour évoquer la violence de l'état, la violation de l'intimité et les guerres impérialistes. Plus de dictionnaire ici, mais la difficulté d'un apprentissage solitaire, un « gribouillis » d'alphabet, des rayures sur des ardoises d'école, ou le décryptage phonétique du persan. Plus de « mire » précise, létale, face aux agents de sécurité, face au pays hostile, mais un « regard oblique », louche, déformé qui guette l'arrivée d'une mère dans le miroir convexe des couloirs de l'aéroport. Seule face à ses origines perdues, irrattrapables, passagère en sursis dans la grande caravane de l'occident, Sharif interroge ses racines iraniennes, qui ne sont que des racines inconnues, des souvenirs inventés, un passé recomposé. Elle est « d'ailleurs », que ce soit à Shiraz, la ville de ses parents, ou en Californie, où elle vit. Un ailleurs qu'elle a malgré elle « appris à être ». Solmaz Sharif revendique une poésie politique - ne dit-elle pas dans un poème que « toute nation déteste ses enfants » ? - et une position de femme considérée comme une barbare dans un pays de colons. Passer une frontière, est acquis pour les uns, impossible ou douloureux pour les autres, confinés derrière les barrières. « Visa » vient de « voir » nous dit-elle, et c'est ce regard qu'elle démultiplie tout au long de ces « douanes » : l'oeil noir des caméras de surveillance, le regard d'un amant sur son corps nu ou celui des policiers quand elle se déshabille, les souvenirs dans le rétroviseur, les prisonniers politiques à la télévision, tout ce que notre origine sociale ou ethnique nous autorise à voir, ou nous oblige à imaginer. À rebours de cette Amérique de synthèse droguée aux produits dévitalisés, à la richesse monétaire et au voyeurisme, Sharif retrace les rites anciens de ses ancêtres, et opère, à l'image des anciens tanneurs chassés en périphérie des villes à cause de la puanteur et qui décharnaient les peaux des bêtes pour produire du cuir, une forme de desquamation du poème, qui détache la chair émotionnelle de l'os de son identité. Comme ses ancêtres elle fabrique avec des mots des seaux de cuir qu'elle plonge dans le puits du passé pour en faire remonter un « reflet » de soi-même. Elle retourne chercher tout ce qu'elle avait soustrait d'elle faute de pouvoir « supporter de le regarder. » L'exil peut-il prendre fin, lui qui vous touche jusque dans votre intimité, dans votre refus d'être touché, tant il vous habitue à « perdre même la perte », tant tout retour est impossible quand on vient de « nulle part » ?
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« Jamais auparavant Alvaro de Campos n'avait poussé si loin cet acharnement contre soi-même, cette rage destructrice à laquelle rien ne résiste, pas même sa dignité d'homme souffrant. Cette histoire est la revanche du poète réel sur le vivant imaginaire, la suprême comédie si l'on veut du comédien, mais comédie jouée jusqu'au bout avec la plus grande virtuosité. Alvaro de Campos a sans doute raté sa vie, mais Pessoa, qui écrit sous son nom, n'a pas raté son oeuvre ». Pierre Hourcade
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Voilà un poème qui traverse le blanc. Les couloirs, les chambres, les murs blêmes de l'asile. Poème de craie, poème de neige, où même le soleil est blanc « comme un couteau », poème d'une femme qui cherche une voix dans la solitude et l'enfermement. On traverse la répétition des gestes et des jours, la toilette, les médicaments, le réfectoire, les consultations avec le docteur. L'impossibilité de dire que cette répétition même est un enfermement, que l'on se trouve ici dans le lieu de la disparition des couleurs et des ombres, que toute possibilité de parole disparaît dans l'uniformité blanche de la solitude. Le temps circule sous les draps, « on ne dort jamais vraiment », les nuits sont blanches, comme le fond des yeux dans ce lieu où « personne ne regarde personne ». Solitude, ou claustration, ou silence sont la même chose, il s'agit de la même disparition, mais sans la possibilité de disparaître. Des corps, il ne reste que les odeurs et la proximité, c'est-à-dire le seul poids d'être. Des voix, juste du silence ou des cris. Dans l'asile, « on meurt plusieurs fois », on perd sans savoir exactement ce que l'on perd, sans pouvoir le retenir, avec la crainte de rester seul. Seul avec soi dépossédé de soi. Autour de cette étrange trinité, « elle », « doc », « ici » qui sont les personnages de cette pièce des « solitudes », le poème opère lentement une recherche d'espace impossible, de sortie, une transfiguration du rêve en vagues, en oiseaux. Toujours la mer est un ailleurs dans les livres d'Erwann Rougé, non pas pour sauver ou se sauver - et se sauver de quoi, d'où et de qui ? - mais pour ouvrir, ouvrir cet « ici » qui petit à petit l'efface « elle », fermée à double-tour au fond d'elle-même. « Si seulement être c'était d'être vague et vague » dit-elle en rêvant la mer par la fenêtre, ou en elle, cherchant à s'oublier au point d'atteindre à la coïncidence de soi et de la marée, de l'emportement, de la houle. Même être une algue, une liane noire. Ou un croassement, une corneille, un chant noir dans le ciel, dehors. Être un oiseau noir comme seule façon d'être un ange et de pouvoir enfin « effleurer sans blesser », de pouvoir enfin sortir vers la mer et le ciel bleus.
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Ce premier volume des Poésies complètes d'Herman Melville regroupe toute l'oeuvre poétique de l'auteur de Moby Dick, à l'exception de Clarel qui, en raison de sa singularité et de sa dimension (l'un des plus longs poèmes de langue anglaise, plus long que Le Paradis perdu de Milton ou le Don Juan de Byron), fera l'objet d'une publication à part, dans un second tome. Figurent ici le recueil publié par Melville chez Harper Bros., Tableaux et aspects de la guerre (1866), ainsi que les deux plaquettes qu'il a éditées à compte d'auteur à vingt-cinq exemplaires chacune, John Marr et autres marins (1888) et Timoleon (1891). À ces trois recueils achevés et parus du vivant de l'auteur s'ajoutent trois ensembles : Herbes folles et sauvageons..., avec Une rose ou deux, le manuscrit que Melville avait laissé à sa mort, l'ensemble étant largement inédit en français ; Parthenope, constitué de deux longs poèmes attribués à deux personnages imaginaires ; et une quarantaine de poèmes épars. Très diverse dans la forme comme dans les thématiques, la poésie de Melville constitue, en quelque sorte, le troisième « acte » de son oeuvre, après la période des romans (1846-1857), et celles des nouvelles (1853-1856). On retrouve, en particulier dans Tableaux et aspects de la guerre qui est sans doute avec les Drum-Taps de Walt Whitman, le plus beau et poignant recueil poétique consacré à la guerre de Sécession, le souffle melvillien, qui ne s'apaise peut-être que dans les poèmes d'amour de la toute fin, ceux de Herbes folles et sauvageons..., dédiés à son épouse. Chacun de ces recueils ou ensembles tourne autour d'une même thématique, ce qui donne à chacun une tonalité différente, une force et une inspiration sans cesse renouvelée, surprenant souvent le lecteur par son audace et son originalité. Si Timoléon (seul recueil intégralement traduit en français à ce jour) est inspiré des lieux visités lors du séjour de Melville en Europe et au Proche-Orient, John Marr est comme l'adieu à la mer de celui qui fut sans doute l'un de ses plus grands chantres. Melville est un écrivain du souffle, son écriture est celle du long cours. La forme poétique l'obligeant à endiguer la force prodigieuse de son inspiration, elle en fait d'autant mieux ressortir la sensibilité. Pour le lecteur francophone, la poésie de Melville pourrait bien être son chef-d'oeuvre inconnu.
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Holocaust est un texte limite qui bouleverse le rapport au poème. Au-delà du poème, c'est également un texte qui fait percevoir comme peu d'autres l'insensé du massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale.
Reznikoff s'est appuyé sur les comptes-rendus des procès de Nuremberg et Eichman pour créer son poème. Il utilise le matériau brut des témoignages et presque sans ajouter de mot, il opère par montage, par découpe, sélection, retour à la ligne. Il utilise tout le panel de la construction poétique sans recourir au premier des outils à disposition du poète : l'invention du langage. C'est dans ce procédé que naît cet effet de narration saisissant propre à Holocaust : ce qu'on y lit est implacable, parce que c'est vrai. Vrai est un mot qui ne veut pas dire grand chose, ni en littérature ni encore moins dans la vie. Il y a toujours quelque chose de l'ordre du demi rêve dans la littérature, un espace où le monde et le fantasme se touchent. Pas dans Holocaust. André Markowicz par le choix de l'emploi du passé composé, rend au texte l'oralité de ses sources : les témoignages des centaines de personnes qui ont défilé pour nous transmettre la mémoire de ce moment qui est un trou noir dans le tissu de l'humanité. Quand le passé simple inscrit le poème dans le temps de la littérature, le passé composé vient suspendre la parole entre passé et présent, dans une action encore fraîche, à hauteur d'homme, à hauteur de chacun. Il n'y a pas d'emphase poétique dans ce poème, Reznikoff propose une simple succession de faits. Une répétition : on comprend qu'une grande partie de l'horreur tient à cette répétition insatiable, mécanique, des crimes. Le génie de Reznikoff est de faire naître le bouleversement par une rigueur absolue et dénuée d'affect. C'est soudain le réel insupportable qui nous est révélé, sans possibilité aucune de se détourner.
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Alvaro de Campos est l'enfant frondeur parmi les hétéronymes de Fernando Pessoa, le fils emporté, cosmopolite, voyageur - ou plus rêveur que voyageur. Il est le chantre de la modernité, des machines et de la grande matrice du XXe siècle, avant de céder, dans ses poèmes plus tardifs au désabusement, et au sentiment d'échec, des rêves mal reportés sur la réalité. « Opium à bord » est son acte de naissance, mais un acte falsifié : le texte est antidaté par Pessoa pour en faire officiellement la première apparition d'Alvaro de Campos sur la scène littéraire : le jeu des masques et de la théâtralité, toujours, dans lequel éclot la sincérité de Pessoa. Mais qui est Alvaro de Campos ? Un jeune homme captif d'un navire, d'une croisière qui mouille au large du Canal de Suez en mars 1914 ; un jeune homme surtout captif de lui-même, et de l'opium impuissant à guérir son âme malade comme il l'affirme d'emblée.
Tout est stable, plane comme la mer presque absente, le monde incolore et indolore - même les exotismes, les voyages en Inde n'y font rien - Alvaro de Campos est seul à se noyer, coulé par sa faiblesse, son sentiment profond d'insignifiance et son absence de talent dans ce bref poème enfiévré qui est celui d'un naufrage intérieur. À peine capable de révolte contre la vie mondaine, réglée et bien vêtue de ses compagnons de voyage, il fait tourner une mappemonde avec ennui au bout de ses doigts. Dans une divagation droguée contre le bastingage, malgré les ambitions et les délires créateurs, incapable de sauter par dessus bord, lui qui pressent l'inutilité de sa vie, Alvaro de Campos, capable seulement d'ouvrir des portes sur le vide, comprend qu'on n'est jamais « que le passager d'un navire quelconque ». Poème tendu et vertigineux, poème cloîtré qui tourne le dos au large et au voyage même qui devrait le porter, « Opium à bord » est tout autant un acte de naissance qu'un aveu de mort.
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Parue en 1915 dans le deuxième numéro de la revue Orpheu, l'Ode maritime est la plus importante d'Álvaro de Campos, l'hétéronyme « alter-ego » de Fernando Pessoa.
Texte sublime et furieux, texte de l'imagination flottante, emportée par la vision des bateaux qui entrent et sortent des ports, portée par la mélancolie de ceux qui restent à quai. Poème du rêve et des époques, entre le modernisme des machines et la nostalgie d'un temps où tout était plus grand car on allait plus lentement ; poème de l'âme emportée dans le large, au loin de sa vie, c'est à dire là où l'on ne peut imaginer sa vie. Texte qui gonfle comme une voile, s'enveloppe dans les cris, les cris sauvages et les fantasmes de matelots et d'histoires. Livre des images et d'une liberté régénérée dans l'imagination, dans les mythes des mers naviguées, cris désespérés de violence comme s'il fallait s'extraire de soi-même au couteau. Ode spasmodique et brutale qui nous rejette vers l'enfance, dans le calme soudain et la nostalgie de l'enfance, dans la petite maison de l'enfance, quand on était heureux pour toujours. Et s'éveillant du rêve après le délire, on se retrouve dans l'immédiate acceptation de son existence. Dans nos vies alignées comme des factures, nos vies assises et réglées, seuls sur le port à regarder les navires disparaître.
La traduction que nous donne Thomas Pesle de l'Ode maritime, si fluide de précision et de simplicité, revigore la lecture de ce poème mythique écrit il y a tout juste cent ans.
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Au cours d'une résidence de recherche et de création au Fonds Régional d'Art Contemporain durant l'année 2023, Pierre Mabille élabore un reportage autour de l'histoire du pastel dans l'art contemporain.
Un reportage à sa façon : libre, curieux et documenté, le livre mêle entretiens sous forme poétique avec de nombreux artistes contemporains (des figures de renommée internationale David Tremlett, Joan Mitchell ou Ettore Spalletti aux générations actuelles, comme Célia Muller, Guillaume Pinard ou Andréanne Godin), réflexion sur cet art du poudroiement et de la légèreté qu'est l'art du pastel, nous emmène au musée découvrir les portraits dessinés par Maurice-Quentin de La Tour, illustre précurseur de cette technique, et va même à la rencontre des fabricants de pastel, le tout illustré de nombreuses images et de digressions personnelles.
Pastel est un livre hybride, à la fois instructif et évocateur, cultivé et drôle, historique et actuel, montrant le goût de Pierre Mabille pour l'éclectique, l'infinie variation des formes et des couleurs, les listes inépuisables et stimulantes qui relient les choses et finissent par faire monde.
Avec par ordre d'apparition :
Ettore Spalletti, Dominique Labauvie, Andréanne Godin, Célia Muller, Maurice-Quentin de La Tour, Jean-Baptiste Perronneau, Louise Dumas, Isabelle Roché et Margaret Zayer, Michèle Antoine, Guillaume Pinard, David Tremlett, Dominique Liquois, Miloslav Moucha, le duo Hippolyte Hengten, Frédérique Lucien, et Joan Mitchell.