Virgile et Ovide, l'indétrônable classique de la littérature latine et son meilleur lecteur, génial et insoumis, forment un des « couples » les plus féconds parmi ceux qui font fonction de véritables catégories de la réception au sein de l'histoire de la culture - Homère et Hésiode, Platon et Aristote, Léonard de Vinci et Michel Ange... Parmi ces auteurs, philosophes ou artistes dont la confrontation, sur le mode de la complémentarité ou du contraste, informe et inspire profondément cette histoire, Virgile et Ovide semblent avoir joué un rôle majeur. Contrairement à une doxa critique qui a longtemps prévalu, Virgile et Ovide n'ont pas toujours été considérés comme des « frères ennemis » que tout opposerait. La vision que l'on eut d'eux, et de leur relation, n'a cessé d'évoluer selon les genres, les pays, les époques et les goûts - au point qu'il leur arriva aussi d'être confondus. C'est à l'exploration de telles variations (et des constantes associées) et à une forme d'archéologie du modèle interprétatif constitué par les deux grands poètes que se livre cet ouvrage. Réunissant vingt contributions de spécialistes de littérature et d'histoire de l'art, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, il propose un parcours qui ne se veut pas exhaustif, mais entend faire apprécier autrement le rayonnement d'un « couple » d'auteurs dont la confrontation a toujours été un puissant stimulus de la création littéraire et artistique, comme des débats critiques.
Le texte philosophique est un objet à part entière du vaste projet humaniste de restauration de la culture antique qui s'épanouit à partir du xve siècle en Italie et dans toute l'Europe. On ne saurait philosopher sans commenter. Si les trois grandes pratiques philologiques - éditer, traduire, commenter -, fondements de la démarche humaniste, restent les héritières des écoles anciennes et de l'université scolastique, le geste humaniste les renouvelle en apportant une rigueur méthodologique et une ouverture nouvelles. De l'institution universitaire aux nouveaux centres du savoir, la frontière est poreuse et le commentaire philosophique se révèle le lieu privilégié de la rencontre de courants divers. C'est de la dialectique qui s'établit entre différentes approches que témoigne le commentaire philosophique à la Renaissance plutôt que d'une pratique radicalement différente et opposée. Le commentaire traditionnel n'en est pas moins infléchi, et s'élabore une nouvelle façon de philosopher : l'élargissement du corpus, les apports de la philologie et d'autres disciplines, l'ouverture à de nouveaux courants insufflent à la pratique du commentaire philosophique une remarquable plasticité. Les études réunies dans le présent volume se proposent d'analyser la refondation humaniste de la philosophie antique par l'activité du commentaire tout au long des xve et xvie siècles.
Dans les tragédies grecques, le savoir est souvent dangereux. L'universalité de leurs héros et la richesse des réécritures qu'ils ont inspirées tiennent en partie à leur capacité à incarner l'ambivalence d'une connaissance vitale et destructrice. La tragédie grecque est par nature un lieu privilégié de mise en oeuvre des conflits intérieurs et extérieurs suscités par le savoir : nombre de ses héros sont confrontés aux risques de leur propre connaissance, susceptible d'apporter à son détenteur, mais aussi aux siens, à la cité, à l'humanité, voire à l'univers entier, la prospérité, la puissance, la renommée, mais aussi la destruction, le malheur, l'opprobre. Le plus souvent, c'est l'usage du savoir qui est en jeu, quand il est détourné, voire perverti, ou quand, paradoxalement, aucun usage n'est fait d'une connaissance dont la révélation suscite incrédulité et violence. Mais parfois, c'est aussi le fait même de savoir qui est en soi dangereux, soit qu'accède à la connaissance quelqu'un qui ne devrait pas y accéder, soit que cette connaissance soit inacceptable pour les dieux. Ce livre vise à définir la spécificité de l'écriture tragique dans l'articulation entre savoir et danger. Cette réflexion, enracinée dans les textes d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, s'ouvre aussi aux remodelages littéraires qui, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, ont infléchi, métamorphosé, décalé, voire inversé les configurations symboliques et narratives héritées du ve siècle avant J.-C.
Le traité de Plutarque Sur le visage qui apparaît dans le disque de la lune (communément désigné par son titre latin en abrégé : De facie) comprend deux parties, une discussion sur la nature du visage que donne à voir la lune et un mythe final. La première partie est d'un intérêt considérable pour l'histoire de l'astronomie, de la cosmologie, de la géographie et de la catoptrique. Le fait que Képler a traduit et annoté ce traité atteste de la haute valeur scientifique de ce dernier. Quant au mythe final il constitue un document important pour notre connaissance de la démonologie et des théories de l'âme dans la tradition platonicienne.
Cet ouvrage collectif est le fruit d'un colloque sur les philosophies du plaisir qui a réuni philologues et philosophes, spécialistes de l'Antiquité et de la Renaissance, en juin 2004, à l'Université de Lille 3. Les études proposées analysent d'abord la formation des pensées du plaisir dans le monde antique et les débats qu'elles suscitèrent entre les différentes écoles, des grands théoriciens de l'Antiquité grecque jusqu'au début de l'ère chrétienne. Elles mettent aussi en évidence les réajustements et les discussions qui eurent lieu parfois au sein même des grandes familles philosophiques, chez les Cyrénaïques et les Épicuriens, mais aussi chez les Néoplatoniciens. On mesure alors combien l'Antiquité reste attachée à une pensée hédoniste dont la poésie latine s'est faite l'écho. En explorant ensuite le champ de la réception humaniste, ces travaux permettent d'évaluer la dette des philosophes de la Renaissance à l'égard de leurs prédécesseurs grecs et romains, mais aussi, dans un cadre politique, religieux et moral différent, de mieux cerner les enjeux d'une pensée du plaisir au sein de nouvelles configurations philosophiques, qu'il s'agisse de l'épicurisme chrétien d'un Lorenzo Valla ou de l'alliance d'épicurisme et de néoplatonisme chez Marsile Ficin. De glissements en réappropriations, un vaste corpus se dessine, en particulier de langue latine, assez délaissé jusqu'à présent et que ce recueil propose d'explorer.
Figure critique majeure des études de philologie classique en Italie, Diego Lanza a renouvelé en profondeur l'approche des oeuvres de la littérature grecque ancienne. Ses travaux conjuguent un intérêt, partiellement hérité de la philologie historique, pour l'histoire de la tradition, avec une analyse, inspirée notamment de Marx et de Gramsci, de la fonction des textes anciens comme instruments de médiation idéologique, interrogeant ainsi conjointement le passé et le présent des appropriations culturelles. Les problématiques de l'anthropologie occupent une place privilégiée dans sa lecture de l'Antiquité, mais leur espace de référence n'est pas celui de l'anthropologie structurale, de la psychologie historique ou de la critique symbolique de l'école française. C'est plutôt l'étude du folklore, où l'analyse de la culture populaire est orientée par un intérêt spécifique pour les antagonismes qui la structurent. Les essais réunis dans ce volume reviennent sur les objets auxquels Diego Lanza s'est intéressé - poésie archaïque (Homère), théâtre classique (Euripide, Aristophane), philosophie « présocratique » et classique (Anaxagore, Aristote), histoire de la philologie - et dans la diversité de leurs points de vue, esquissent un bilan des aspects les plus significatifs d'une oeuvre scientifique originale et stimulante.
Loin de réduire le Décaméron à un projet de régénération linguistique et sociale qui accorde la priorité au plaisir, notamment au plaisir de raconter, cet essai en souligne la nature morale et philosophique. Car Boccace reprend à nouveaux frais la réflexion de Cicéron et de Sénèque sur la possibilité d'intégrer les biens secondaires, « préférables » (la renommée, le pouvoir, la richesse, l'amitié ou l'amour) dans la recherche de la sagesse et de la félicité mondaine, répondant aux exigences spirituelles des milieux courtisans. Les nouvelles montrent les conséquences extrêmes ainsi que l'échec de cette tentative, quand les biens préférables deviennent les biens « désirables », visant toujours un surcroît. Au-delà d'une fresque de la « société marchande médiévale », le Décaméron s'interroge sur la logique dévastatrice de l'intérêt propre. Rien ne dit que la peste soit finalement passée. Les personnages des dernières nouvelles, tous des exemples des « grandes âmes », magnanimes et surtout magnifiques, ne sont ni l'expression d'un itinéraire chrétien, ni la transformation de la « patience » stoïcienne. Il s'agit plutôt d'opposer à l'économie des passions, marquée par l'amour-propre, la force morale du désintéressement et de la désappropriation de soi, qui sont les valeurs inédites de la « grande âme ». Elles se soustraient souverainement à toute logique de l'échange ainsi qu'au désir d'être toujours le meilleur.