Filtrer
Support
Éditeurs
Pierre-Guillaume De Roux
-
«Vous voyez la montagne, ces collines pareilles à des vagues ; vous voyez des bois et des vergers, le grain mûr des champs, les prairies qui dévalent jusqu'à la rivière. Vous me voyez debout à côté de vous ; vous entendez ma voix. Mais je vous dis, moi, que toutes ces choses - oui, depuis l'étoile qui vient de s'allumer au ciel, jusqu'au sol que nous éprouvons du pied -, je vous dis que tout cela n'est que du rêve et des ombres, les ombres mêmes qui nous voilent le monde réel.
Il y a un monde réel ; mais il est sous cet éclat et sous ces visions, [...] derrière tout cela comme si un voile nous le cachait. Je ne sais si jamais un être humain a soulevé ce voile ; mais je sais que cette nuit, et devant vous et moi, Clarke, il le sera pour d'autres yeux. Peut-être trouverez-vous tout ceci étrange, insensé même : étrange, soit, mais réel ; et les anciens savaient ce que c'est que "lever le voile".
Ils appelaient cela voir le dieu Pan.» Pour que le voile se déchire devant le «grand Pan», le Dr Raymond va user du scalpel et rien moins qu'inciser le cerveau de Mary, sa protégée. Cette opération chirurgicale renvoie-t-elle seulement à l'une de ces spectaculaires expériences dont raffola le XIXe siècle, à la fois scientiste et spirite ? Ou bien s'agit-il de convoquer quelque chose de plus archaïque et autrement plus redoutable - de questionner notre capacité à soutenir le regard de la divinité ? C'est de toute façon l'effroi qui est au rendez-vous : au drame de la jeune Mary va succéder une longue série d'événements aussi troublants que terribles.
-
Entre mai et septembre 1920, l'écrivain russe suivit la campagne de Pologne en tant que correspondant de guerre pour le journal "Le cavalier rouge". Initialement publiées dans des revues, ces nouvelles, inspirées des événements, décrivent les actions des cosaques de la première armée de cavalerie.
-
Anthologie classique définie par Confucius
Ezra Pound
- Pierre-Guillaume De Roux
- 5 Décembre 2019
- 9782363713193
L'Anthologie classique (le Shijing) rassemble les 305 poe`mes - chansons populaires, odes pour les ce´re´monies de cour, odes religieuses -, se´lectionne´s et ordonne´s, selon la tradition, par Confucius (551-479 av. J.-C.), dont la doctrine politique et sociale fut e´rige´e en religion d'E´tat et marqua profonde´ment la civilisation chinoise. Ezra Pound voyait dans le confucianisme un ve´ritable « code de la vie » et une possibilite´ de renou- vellement pour l'Occident. Apre`s Les Entretiens de Confucius (ou Analectes), le poe`te ame´ricain traduit donc les odes confuce´ennes au temps de sa de´tention a` l'ho^pital St. Elizabeth's. Sa connaissance du chinois peut sembler rudimentaire : il suit l'enseignement de son mai^tre Fenollosa, et ses solutions ne sont pas exemptes de fantaisie. Toutefois, Pound accorde une importance particulie`re au travail de traduction et voit dans la concordance des langues un crite`re majeur de civilisation. Il pre´fe`re par conse´quent toujours la restitution d'une inflexion vivante au strict respect de la syntaxe. Une approche non conventionnelle mais efficace, qu'avait remarque´e Simon Leys : « Pound ne savait gue`re le chinois ; ses interpre´tations sont quelquefois loufoques... mais Pound a fait preuve d'une infaillible intuition des rythmes de l'original... son oreille ne se trompe jamais, et dans ce domaine il nous administre une lec¸on exemplaire. »
-
Ce récit autobiographique retrace les années d'enfance à Bruxelles du "Petit Arménien" , écrivain belge né en 1942, de parents arméniens. L'originalité de ce texte tient à la double résonance que revêt ici l'étranger. Car c'est d'abord l'enfant qui, en véritable petit étranger, s'éveille au monde et fait son éducation tant bien que mal. La passion du football propre à bien des garçons de son âge ne lui suffit plus bientôt : la musique l'attire, les sonorités des noms célèbres le déroutent, les livres peu à peu le guident vers de plus fines découvertes, les cours d'histoire ou de religion n'ont pas toujours sur lui l'effet qu'en escomptaient ses maîtres.
Ce cheminement est avant tout prétexte à des portraits qu'on dirait tout droit sortis d'une bande dessinée : la mère qui ne manque pas de faire le récit de ses rêves quelque peu terrifiants chaque matin, le père qui se livre à des numéros d'imitation irrésistibles, la voisine qui se montre intarissable sur les primitifs flamands sans compter les professeurs, les pères jésuites, etc. Hautement expressifs, ces portraits forment de véritables hommages aux personnages qu'ils animent de passions encore lointaines mais ô combien prometteuses pour le Petit Arménien.
Fragile de santé, indiscipliné mais sensible, il cherche sa voie et ne cesse de voyager de moments ingrats en ravissements inespérés. Où la délivrance surgit presque toujours à la dernière minute comme dans les rêves de sa mère.
-
Fondateur de l'école de psychologie analytique souvent confondue avec la psychanalyse freudienne, Carl Gustav Jung (1875-1961) a commencé à s'intéresser aux gnostiques dans les années 1910-1915 durant lesquelles il rompit avec Freud (1913) et vécut une « confrontation à l'inconscient » dont il fit le récit dans le fameux Livre Rouge, et qui donna une signification nouvelle à la seconde partie de son existence et de son oeuvre. Considérées comme des hérésies par les premiers auteurs chrétiens, les gnoses dont l'origine est incertaine (Iran, Égypte, Judée, Syrie) proposaient une vision du salut plus proche des Mystères antiques que du christianisme, même si certaines d'entre elles se disaient chrétiennes. Passionné par cette littérature décriée et mal connue, Jung pensa trouver chez les gnostiques les premiers explorateurs de l'inconscient confrontés sans le savoir au monde des archétypes qui leur aurait inspiré leurs visions et leurs mythes. Comme les alchimistes plus tard, les gnostiques ont ainsi accompagné Jung dans l'élaboration de sa psychologie qui emprunte à la gnose l'idée qu'une connaissance révélée et salvatrice puisse restituer une plénitude et un sens à la vie désorientée de l'homme contemporain.
-
« Lorsque, quelques semaines plus tard, le scénario fut enfin achevé, je n'avais toujours pas revu Betty. J'avais tenu bon, m'étant forcé à partager la destinée de mon personnage. Cependant, à la différence de celui-ci, je savais où la retrouver, mon inconnue d'une nuit. Par ailleurs, à bien y réfléchir, je n'étais pas sûr que nous ayons vécu tout à fait la même chose, lui et moi. La jeune fille brune et lui avaient connu une sorte de communion totale, un accord parfait, indépassable des corps et des émotions. De la tendresse pour toute une vie. Betty et moi, qu'avions-nous cherché, sinon à apaiser notre faim ? Ce qui pouvait expliquer pourquoi mon obsession, à l'inverse de celle du personnage, avait connu tant de hauts et de bas, des relâchements. » Un réalisateur travaille sur l'adaptation de La Jeune fille brune, roman du grand écrivain yougoslave Alexandre Tisma (1924-2003). L'histoire est simple : un homme revient sans cesse dans une petite bourgade sans prétention où il a connu autrefois une nuit d'amour mémorable. Le projet, cependant, piétine. Outre les problèmes de budget qu'il soulève, il suscite de nombreuses réticences imprévues chez les membres de l'équipe. Complices artistiques depuis trente ans, ils ont, en effet, essuyé bien des désillusions tant personnelles que professionnelles et, comme le héros de Tisma, gardent en eux une part de nostalgie et de rêve inassouvi.
Quand il ne recherche pas un ciel « vraisemblable », en accord réel avec sa vision, le réalisateur se rend compte qu'il est en train de vivre exactement la même histoire d'amour inconsolable que le personnage de La Jeune fille brune.
Une seconde chance, voilà ce qu'il voudrait...
Une aventure avec une jeune inconnue nommée Betty va rouvrir la boite de Pandore de la nostalgie blessée et créera le drame.
Cette splendide dérive entre rêve et tentative désespérée de retrouver le paradis perdu de la toute première fois avant qu'il ne soit trop tard s'accomplit sur fond de grisaille quotidienne et de lutte de tous les instants. Déployant la subtile tension de la fêlure, Michel Lambert nous entraîne tour à tour dans l'extase et la chute au gré d'un réveil brutal. Magistral.
-
Vel'd'hiv' 16 juillet 1942 ; où était la France ?
François Broche
- Pierre-Guillaume De Roux
- 18 Janvier 2018
- 9782363712295
La Grande rafle du Vél'd'Hiv' (16 juillet 1942) a entraîné la déportation au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau de plus de 13.000 Juifs, dont plus de 4000 enfants. Elle symbolise tragiquement la participation du régime de Vichy - dit « Etat français » - à la politique de persécution et d'extermination des Juifs d'Europe mise en oeuvre par l'Allemagne nazie. Les faits sont établis de manière incontestable : l'arrestation des Juifs de Paris, exigée par l'Allemagne, ordonnée par le gouvernement de Vichy, a été exécutée par la police française. La responsabilité de ces trois acteurs de la tragédie est engagée. Celle de la France, en revanche, affirmée par Jacques Chirac dans son discours du 16 juillet 1995 et réaffirmée par ses successeurs est beaucoup plus discutable.
L'Etat français représentait-il la France ? La France se trouvait-elle à Vichy ? L'auteur revient sur cette polémique toujours actuelle en historien soucieux de s'en tenir à la simple vérité.
-
Ce bref essai part d'une constatation biographique : Isabelle Huppert est née le 16 mars 1953, soit 15 jours avant Richard Millet. Autant dire qu'elle représente une sorte de miroir dans lequel l'écrivain scrute sa propre figure autant que celle d'une actrice dont la filmographie a quelque chose de très français en même temps que d'universel.
Ainsi les films majeurs dans lesquels elle a tourné, Des Valseuses à Elle, en passant par Chabrol, Cimino, Losey, Godard, Haneke, Téchiné, Trier, sont-ils aussi des moments importants de la vie de l'écrivain, l'actrice et l'écrivain s'inscrivant chacun à façon dans leur époque. On verra ici pourquoi, loin de toute fascination mais non sans une certaine ambiguïté, puisqu'il s'agit d'une femme.
Avec Huppert et moi, Millet clôt une trilogie constituée par Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) et Pour Bernard Menez (Léo Scheer, 2017).
-
Cela peut arriver n'importe où.
Dans le froid et la pluie d'hiver. Par une chaude après-midi d'été. En pleine ville. Au bord de la mer. Tout près d'un casino ou encore un jour de carnaval où tous déambulent, parfaitement méconnaissables... Soudain quelqu'un vous bouscule et vous voilà nez à nez avec l'être qui a détruit votre existence : le rival qui vous a pris votre fiancée, le père qui ne vous a pas aimé, la maîtresse que vous avez rejetée.
Vous brûlez d'en venir aux mains. Mais non, vous pressentez que tout se jouera autrement. Au-delà de la haine, de l'angoisse et du remords. Autour de vous, la vie continue à suivre son cours : des musiques s'échappent des bars, des voitures accélèrent, des rires résonnent. Et vous pressez l'allure, histoire d'échapper au fantôme du passé qui s'attache à vos pas. Une course-poursuite qui durera toute la nuit.
Jusqu'à échanger enfin un regard, une parole de compassion au point du jour. Neuf nouvelles en forme de déambulations sur le thème des retrouvailles.
-
Remplir le vaste gouffre où flottaient, à mi-hauteur des collines, des bancs de brumes bleues. De loin en loin, un coup de canon éclatait mais il ne faisait plus partie de la bataille, on avait l'impression que l'obus s'était coincé dans la culasse, soit mauvaise qualité de la poudre, soit que les délicats organes de la bombarde fussent rouillés, et qu'un soldat un peu ahuri avait secoué l'engin pour le mettre à feu - à moins que le coup n'ait été tiré longtemps avant, au cours d'une autre guerre, pourquoi pas, que le bruit n'en ait été retardé indûment.
On voyait s'élever dans la vallée assombrie de grosses boules blanches, vaporeuses, qui montaient tout droit avec des grâces de montgolfières. Dans la plaine, quelques feux s'allumèrent à l'abri des étables et des métairies.
Les soldats, gros comme des insectes, se promenaient dans ces espèces de lampions. Ils avaient fini leur journée. Ils rentraient chez eux pour manger un morceau, et pour préparer leurs outils, réviser leurs escopettes et leurs Winchesters qui avaient si ardemment fonctionné toute la journée." Sur cet étrange théâtre d'opérations, deux soldats recherchent inlassablement leur unité perdue.
Tout un symbole... La guerre qui les a emportés comme deux fétus de paille est elle-même semblable à un brouillard informe, sans commencement ni fin. De quelle guerre s'agit-il d'ailleurs? Les repères temporels semblent s'être, eux aussi, complètement effacés... Réédition d'une rareté de Gilles Lapouge, avec une préface de Christophe Mercier.
-
Valère Novarina ; les mots éclaireurs
Philippe Barthelet
- Pierre-Guillaume De Roux
- 2 Octobre 2014
- 9782363711052
Philippe Barthelet nous conduit vers la scène où se joue le "drame" de Valère Novarina, un des auteurs les plus profonds de ce temps. Le drame de la langue française, le drame de la "présence réelle" ou de l'action du verbe dont on cesse trop souvent de contempler les merveilles... Car ce sont les mots qui nous précèdent et nous éclairent... Au fil de cette joyeuse réinvention de l'esprit novarinien, d'autres présences se nomment et se joignent au jeu : Wittgenstein, Orwell, Joseph de Maistre, Cingria et tant d'autres.
Etymologie, chant sacré et célébration... c'est, de nouveau, en poète, souffleur de feu et de fluides, que Philippe Barthelet honore et dialogue avec l'homme dont le théâtre est d'abord langage.
-
« Une thèse justifie-t-elle la souffrance ? Il ne m'autorise pas à la lire, je ne sais rien de lui, de son projet existentiel. Tout ce qu'il veut, c'est me dominer, coucher, me mettre en scène. Il appelle ça Philip Roth et moi.
(...) - Tu dois être heureuse. Un bébé, un mec brillant et sympa, prof à la Sorbonne.
- Brillant ? Tu parles !
L'ombre de Roth planait sur la discussion, on sentait sa présence. Assis ensemble sur le canapé-lit, Hervé et moi échangions nos dernières découvertes concernant l'auteur.
"Je suis dans la thèse, Hervé, " a dit Marie. " Au début, je n'y croyais pas, il m'a menti. Tu te rends compte ? À la soutenance tout le monde saura combien je pèse, comment je fais l'amour, au lit. Des chapitres gênants, inutiles, intitulés Marie au lit, Marie se réveille, Marie fait pipi. " (...) Le médecin ne comprenait rien, il n'aurait pas pu s'imaginer Roth traité sous un tel angle, transformé en histoire de cul. Quand je l'ai accompagné à la porte vers deux heures du matin, il avait le visage blême. Il m'a proposé de garder La leçon.
- Se reverra-t-on? m'a-t-il demandé.
- Pas dans Philip Roth et moi. » Jessie, Américain de 40 ans, vit sa « passion » pour Philip Roth au sens quasi biblique du terme. S'il peine à accoucher de la thèse qu'il consacre à sa célèbre Leçon d'anatomie, c'est qu'il en subit directement les effets dans la vie. Ainsi rend-t-il le romancier seul responsable de la mystérieuse grossesse dont Marie, sa compagne de 22 ans, porte les signes soudains au lendemain d'une intrusion nocturne dans leur appartement parisien.
Quand c'est au tour d'Elizabeth, amie de Marie, d'être sur le point d'enfanter, les doutes ne sont plus permis :
L'érotisme rothien tourne à plein régime ! Tous les efforts désespérés de Jessie pour le contrer n'y changeront rien : il n'existe aucun moyen d'échapper à l'emprise de ce « corps » intermédiaire. Ni la religion ni la philosophie ni la morale ni la psychanalyse ne lui seront du moindre secours. Ce roman obsessionnel et drolatique à souhaits brille par un comique de situation toujours plus croustillant, des dialogues au quart de tour, des échanges de textos au bord de la crise de nerfs et... quelques lettres éplorées à Philip Roth.
-
En 2047, le monde s'est profondément transformé grâce aux progrès scientifiques prodigieux qui ont apporté paix et prospérité. L'Intelligence Artificielle impose sa loi de toutes parts, mais la nature humaine demeure la même, souvent plus soucieuse de conquête matérielle que spirituelle. L'avoir et le paraître dominent l'être.
Claire et Paul, un couple heureux, en pleine réussite financière, sociale, professionnelle s'inscrivent dans cette logique. L'arrivée inattendue de Tim, orphelin de 15 ans, dans leur foyer va bouleverser leur vie bien établie et permettre à Paul de renouer avec son enfance et ses racines. À travers le regard, les questions de cet adolescent sur les évolutions du monde, Claire et Paul vont comprendre que l'essentiel n'est pas ce qu'ils croient et leur choix de vie en sera radicalement modifié.
Dans ce livre, l'intrigue romanesque sert de trame à la description de ce que pourrait être notre monde dans 30 ans. Urbanisme, technologie, économie, enseignement, institutions, droit de la famille, droit du travail, construction européenne, l'auteur a travaillé avec les meilleurs experts de chaque secteur, pour écrire cette prospective. Roman d'anticipation aux personnages attachants, «?Le Monde de Tim?» tranche, par sa foi et sa fougue, avec les angoisses déclinistes qui traversent notre société.
Ce message d'espérance voudrait inspirer tous ceux qui, quels que soient leur rôle et leurs responsabilités; ont à écrire notre avenir. Ce livre est une leçon d'humanisme qui rappelle qu'au-delà des apparences, seules comptent les véritables valeurs d'amour et de partage.
-
Hospitalisée dans une clinique psychiatrique de Zürich, Sabina Spielrein devient la patiente de Carl G. Jung. Très vite, leur relation prend un tour amical puis amoureux. Mais l'analyste est marié. Rejetée, la jeune femme se tourne alors vers Freud. Une correspondance à trois s'engage, déterminante pour l'avenir de la psychanalyse.
-
Mon père était né dans les semaines qui suivirent leur retour du Maroc. C'est à partir de ce moment-là que s'établit vraiment le long silence entre mes grands-parents. Augustin quitta l'Armée en 1936, avec une petite retraite. Peu de temps après, à Tours où ils étaient revenus s'installer, il trouva un poste de chef de personnel chez Grossman, une usine de confi serie. On y fabriquait des friandises pour les enfants, des guimauves, des boules de coco, des fi gurines en chocolat, des pochettes surprise. Un ancien militaire était-il à sa place dans une fabrique de rêves pour enfants ? » « Mon père se souvenait d'un voyage qu'ils fi rent ensemble, peut-être en 1947 ou 1948, sur les lieux où Augustin avait combattu pendant la Grande Guerre. La Seconde venait de s'achever. Le pays en portait encore des stigmates, comme d'un refl ux sanglant - des blessures qui étaient surtout gra- vées dans les esprits, orgueil bafoué et rancoeurs, puisqu'on s'était si peu battu, qu'on avait été occupé, que beaucoup avaient collaboré. On se remet plus facilement d'une guerre - on la gagne, on la perd, on se prépare pour la suivante - que d'une occupa- tion humiliante, qui installe pour longtemps des rancoeurs insidieuses, des haines recuites, qui pourrit les consciences. Et la honte aussi, la honte de s'être laissé traiter ainsi pendant quatre années, sous le joug et la botte, et d'avoir permis que se perpètrent les crimes les plus abominables que l'humanité ait connus. Mon père se rappelait le long trajet jusqu'à Verdun, dans la voiture cahotante d'Augustin.
Pourquoi mon grand-père avait-il voulu revoir ces lieux, où il avait souff ert comme un damné pendant quatre ans ? (...) Ils prirent la route du Chemin des Dames, s'arrê- tant à chaque virage. Augustin descendait de la voi- ture, contemplait un moment le morne paysage où se dessinaient encore les cratères laissés par les obus.
Ils visitèrent l'ossuaire de Douaumont, où reposent les restes disloqués de milliers de jeunes hommes à qui on n'avait pas laissé le temps de vivre. Je n'ai su que très tard la réalité de ce voyage, que mon père me raconta après la mort d'Augustin. Je sentais que pendant ces journées, il s'était passé entre eux quelque chose d'in- défi nissable, peut-être d'intransmissible. » Les blessures qu'Augustin a reçues pendant la Grande Guerre ont à jamais compromis ses chances de devenir père. Louise, l'épouse qu'il admire tant, lui donnera pourtant un fi ls, André. S'agit-il d'un miracle ? Le grand silence qui a pesé pendant plus de soixante ans sur le couple semble désigner une toute autre vérité. Le narrateur, naguère très proche d'Augustin, va se mettre en quête de l'histoire secrète de ses grands-parents. Leur séjour au Maroc entre décembre 1929 et juillet 1931, révélé par les Archives militaires, concorde précisément avec celui du Capitaine de Tournon-Brochard, homme du monde, élégant et léger, mais qui, déjà, ne se comporte plus qu'en « survivant ».
Comme une blessure de guerre Bernard Fauconnier extrait littéralement la balle au coeur d'Augustin - l'homme du devoir, le « résis- tant », quoiqu'il arrive, au drame d'une famille fauchée par l'Histoire -, par ce retour pudique et incessant des réminiscences qui se transforment peu à peu en secrets véritables, en aveux tragiques et bouleversants - silences, trahisons, occasions manquées, portraits des êtres, emmurés vivants ; dans une existence subie.
Un silence, c'est la blessure intime racontée comme une vraie blessure de guerre avec en toile de fond les orages d'acier de 14-18 et c'est aussi ce silence, aveugle et informe, de l'après-guerre résonnant dans toute sa violence.
-
« Et puis vient le moment de jeter une poignée de terre sur le cercueil. Cette terre dans laquelle le corps paternel va se décomposer, très lentement certes, mais sûrement, cette même terre dans laquelle pousse la vigne, avec laquelle se fabrique l'eau de vie si bien nommée. Dans cette terre déjà sont ensevelis sa mère, et trois frères et soeurs, comme si elle s'enrichissait de leurs cellules éteintes. James lance la poignée. Et c'est sur son ancienne vie qu'il la jette. Il est devenu quelqu'un d'autre. A son étonnement il n'éprouve aucun regret pour le passé et l'homme qu'il était. » Cette saga familiale qui se poursuit sur huit générations depuis le XVIIIème siècle jusqu'à l'ère contemporaine raconte l'aventure du cognac de la célèbre marque Hennessy (littéralement Shaughnessy). Les débuts sont éprouvants. Quand Charles Shaughnessy, le froid et rude Irlandais, rescapé d'un naufrage, s'établit à Cognac, en Charente, il n'a pour seuls atouts que son audace et sa ténacité hormis, bien sûr, la dot de sa femme, Nelly. Négociant le jour, il passe toutes ses nuits dans la cabane qui lui sert de laboratoire au fond de son jardin à tenter de nouvelles expériences alchimiques pour améliorer la qualité de l'eau de vie. S'il connaît le succès, malgré l'instabilité des temps révolutionnaires, c'est, toutefois, au prix du bonheur familial. Avec Whitehouse, le marin à l'oreille coupée qui lui a sauvé la vie lors du naufrage, il lance le rite des dégustations à huis clos. La fabrication du cognac s'entoure ainsi d'un parfum de mystère qui nourrit les pires rumeurs de superstition sur son compte. Charles Shaughnessy mourra, dit-on, empoisonné... L'exemple est donné pour les générations à venir : on fait bloc autour de la cause familiale, on sacrifie tout aux intérêts de l'entreprise. En cas de faux pas, en cas de malheur, inutile de préciser qu'on étouffera le scandale par tous les moyens possibles. Et des drames, il y en aura... Quand ce n'est pas le fléau du phylloxera qui détruit la vigne, c'est l'addiction à l'opium rapportée de Chine par Douglas Shaughnessy qui fait planer l'ombre de la ruine. Les nombreux secrets, sans compter un mystère inexpliqué, qui sous-tendent l'histoire du cognac Shaughnessy sont ainsi l'occasion pour Yolaine Destremau de dresser, en filigrane, un portrait de famille aussi flamboyant qu'émouvant avec ses initiés, ses esprits novateurs, ses figures héroïques mais aussi ses rebelles, ses maillons faibles, ses brebis galeuses et quelques sacrifiés...
-
Alep, la guerre et la diplomatie
Maria Khodynskaya-golenishcheva
- Pierre-Guillaume De Roux
- 27 Octobre 2017
- 9782363712196
Regards de Moscou sur la crise syrienne ! Ce livre expose très précisément la « lecture russe » de la crise syrienne. On y comprend les raisons et les motivations des engagements militaires et diplomatiques de Moscou dans la guerre civilo-globale de Syrie. Globale, car elle fait interagir quatre dynamiques de conflictualité : 1) Washington contre Moscou ; 2) Riyad contre Téhéran ; 3) Ankara contre les Kurdes ; 4) enfin, les jihadistes « globaux » (Al-Qaïda) contre les jihadistes « locaux » (Organisation Etat islamique - Dae'ch).
La bataille d'Alep (été 2016 - décembre 2016) et ses conséquences cristallisent le point culminant de ce grand jeu de conflits régionaux et internationaux. La bataille pour la reconquête de cette ville (la deuxième du pays, mais en réalité la capitale économique) par les autorités syriennes s'est effectuée dans la cadre d'un accord russo-turc. Plusieurs tentatives et consultations russo-américaines afin de résoudre le « problème d'Alep » avaient échoué. L'auteur met en lumière les blocages du « groupe restreint » des États engagés - Russie, États- Unis, Iran, Qatar, Arabie Saoudite, Turquie -, montrant ainsi les enjeux et les dynamiques d'un nouvel ordre proche et moyen-oriental en train d'émerger.
L'auteur instruit une critique raisonnée et argumentée des initiatives de l'ONU pour « sauver » Alep. Sous prétexte de défendre les « droits de l'homme » et pour des considérations « humanitaires », les Nations unies ont cherché à endiguer les opérations antiterroristes menées par l'armée syrienne et les forces progouvernementales avec le soutien de l'armée russe. Pourquoi et comment l'ONU a-t-elle ainsi cherché à sauver les rebelles qui occupaient la partie orientale de la ville ? Quel furent alors les objectifs et l'agenda en creux, sinon caché de l'ONU ?
Enfin, place à la diplomatie ! La libération d'Alep est examinée aussi du point de vue des mécanismes de coopération internationale entre les acteurs régionaux et internationaux. C'est la partie prospective de l'ouvrage, indiquant - dans le domaine de la résolution des conflits - les perspectives susceptibles de ramener paix et stabilité dans cette région stratégique.
A l'issue de ce processus, le système actuel des relations internationales ne sera plus le même. Le Yalta régional qui résulte - d'ores et déjà - de la bataille d'Alep et de ses conséquences géopolitiques inaugure un nouvel ordre international, de nouvelles donnes rebattant les cartes, non seulement aux Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Méditerranée, en Asie centrale et en Afrique !
-
« L'étendue de Champagne pouilleuse où s'étiole le plateau de Rethel précède un terroir à la géographie et l'histoire théâtrales. A proximité des méandres de la Meuse, des mystères de la Thiérache, des gorges de l'Argonne, il guette dans les lotissements pavillonnaires une ferme rescapée des invasions susceptible d'abriter un membre de sa tribu.
Deux siècles après que Talleyrand a offert à la Nation les biens religieux, la somme des alliés doit, à raison de six enfants par reproducteur et par génération, atteindre le millier. Si la plupart ont émigré, il en reste assez pour qu'une main serrée au hasard soit celle d'un lointain cousin. Le mascaret de sang et de larmes de la politique et de l'histoire noie les souvenirs dans les tombes ; à la façon dont les proches se cabraient sous des questions jugées impertinentes, il a mesuré la difficulté d'une quête des origines dans un pays de taiseux.
Son enfance fut dorée, de l'alliage à neuf carats que l'humour africain dit or fétiche. L'or des péquenauds, éternel défi des hystériques de la croissance, le snob, lui, s'épate des particules d'un temps où le bourgeois la jouait noble en articulant sa roture sur le toponyme d'un lieu-dit, puits, bois, pont, cul de basse-fosse, pour relever son allure d'une touche ci-devant exonérée de guillotine. Pivot des ombres qui défilent à l'arrière-plan, Dache chevauche les générations à l'éclairage romanesque d'une contrée médiévale qui a prolongé le XIXème siècle au mitan du XXe.
L'enfermement où végétait son clan datait du crétacé, désormais le paysan et sa vache sont le trompe-l'oeil de l'Europe. Les chanteurs de la Star'Ac hurleraient de rire aux paroles qu'il fredonnait, de l'église au fond du hameau qui se mire dans l'eau pure d'une rivière ne subsistent qu'un village dépeuplé, un désert sans curé, un clocher chauve, un ruisseau vaseux. » Ce récit de voyage aux origines remonte plusieurs cours : l'enfance passée dans une vieille chartreuse au Mont-Dieu en Ardenne, l'atmosphère quotidienne parfois loufoque sou les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, les très longs séjours en Afrique à l'âge adulte, le temps de la chasse et de la ruralité, le rapport au père, hobereau « pascalien » plein de courage et de persévérance, le mystère d'une région méconnue et cependant détentrice de merveilleux trésors chrétiens, littéraires (Rimbaud, Dhôtel, Daumal, etc.), théâtre d'invasions permanentes au long de l'Histoire.
-
Voyage au bout des ruines libérales libertaires
Matthieu Baumier
- Pierre-Guillaume De Roux
- 17 Janvier 2019
- 9782363712783
« Ce qui caractérise le libéral-libertaire, selon Michéa, tient au lien entre ultra- libéralisme, c'est-à-dire recherche illimitée, dogmatique et sectaire du profit, hors de toute forme de règles et de limites (y compris libérales) - un truc, au sens du « truc » du magicien, venu en direct du Far West, quête individualiste en ce qu'elle massacre tout lien social-, mais aussi vision dogmatique, dite « libertaire », de courants politiques s'auto-situant à gauche (ou au centre-gauche/centre-droit) et fondant leurs idées sur des religions telles que celle du multiculturalisme, de l'antifascisme, de l'antiracisme, de la liberté sociétale sans frein et sans limites, ni Limite globale non plus. L'absence absolutisée de la Limite est au coeur d'un monde devenu ruines.
Je reviendrai sur ce point essentiel. On pourrait dire, mais Michéa ne le fait pas, qu'il existe une sorte d'alliance des liberticides. Qui le sont, liberticides, au nom de la « liberté ». C'est pourquoi tout paraît nous échapper, comme ce qui est liquide justement. Car tout est toujours faux dans le vrai tel qu'il apparaît. Quel meilleur symbole de ce que je viens de dire qu'un Emmanuel Macron président de la « république ». Michéa a raison d'écrire qu'il y a une alliance objective entre les partisans du no border et la partie ultra-libérale de l'oligarchie libérale-libertaire.
Entre libéralisme économique absolutisé, prétendue libération des moeurs, libéralisme politique, égalitarisme sociétal. Il n'y a donc, en effet, plus de droite ni de gauche. Mais attention, le fait est en réalité circonscrit : il n'y a plus ni droite ni gauche au sein du libéralisme libéral-libertaire.
C'est de cela dont Macron est le nom. »
-
Les incandescentes ; Simone Weil, Cristina Campo et Maria Zambrano
Elisabeth Bart
- Pierre-Guillaume De Roux
- 23 Mai 2019
- 9782363712875
Lire Simone Weil (1909-1943), Cristina Campo (1923-1977), Mar?a Zambrano (1904-1991), ces « flammes libres », c'est d'abord écouter leur voix, longtemps recouverte par l'obscurantisme de notre époque, celui qui refuse toute lumière autre que celle d'une raison sèche, désincarnée. Leurs oeuvres sont devant nous. Il a fallu du temps pour reconnaître le génie de Simone Weil et de Mar?a Zambrano, dont une oeuvre magistrale, L'Homme et le divin, publiée en 1955 au Mexique, fut refusée par Gallimard malgré le soutien d'Albert Camus, bien avant qu'elle reçoive le prix Cervantès à Madrid en 1988 pour l'ensemble de son oeuvre. Quant à Cristina Campo, on commence seulement à la lire en France, elle qui a si peu publié de son vivant et dont la plupart des écrits, enfouis dans des malles, ont disparu, dispersés par ses héritiers après sa mort en 1977. Ces trois voix ont brûlé, dans les ténèbres du XX e siècle - cette longue nuit de guerres, de totalitarismes, de barbarie où nous errons encore -, de leur désir de vérité et de cette volonté qui consiste à aimer inconditionnellement. Trois femmes, trois voix qui s'entrelacent sans le savoir en une seule flamme dans la nuit où le Verbe se fait silence, dans trois langues vivantes et soeurs, le français, l'italien, l'espagnol. Si différentes dans leur absolue singularité , elles se ressemblent, toutes trois de la lignée d' Antigone, éminente figure du sacrifice, de l'offrande sans concession, de l'amour sans conditions, du « moi » consumé pour accéder à l'être, sans lesquels il n'est pas de révolte authentique. Dans le temps de vie qui leur fut imparti, brève et fulgurante trajectoire de Simone Weil, morte à trente-quatre ans, longue vie de Mar?a Zambrano du début à la fin du siècle, parcours orienté dès la naissance par la maladie, pour Cristina Campo qui ne connut pas la vieillesse, elles ont eu cette capacité si rare de transformer leur vie en destin.
Toutes trois ont connu l'extrême souffrance, à travers l'épreuve de la maladie, pour Simone Weil et Cristina Campo, ou celle de l'exil pour Mar?a Zambrano, à travers les ruptures, les deuils, aussi. Toutes trois ont vécu dans le monde et hors du monde, hors des modes, hors de l'air du temps. Une parenté les li , de celles que Nietzsche nomme « amitiés stellaires » qui n'ont de lieu que dans l'espace de la pensée, de l'intelligence et de la vérité, perceptible dans leurs thèmes qui se font écho - une écholalie, comme l' écrit André Hirt à propos de Baudelaire, Wagner et Nietzsche - parenté dont Cristina Campo serait la jointure poétique, elle qui découvre La Pesanteur et la Grâce en 1950, oeuvre de Simone Weil qu'elle contribue à importer en Italie, et qui « reconnaît aussitôt dans la philosophe française une soeur. Plus intense, plus brûlante. » On Chacune se reconnaît chacune en l'autre dans une triangulation dont l'enjeu n'est autre que cette mystérieuse activité, « écrire », comme pratique rationnelle du logos et simultanément, expérience mystique.
-
Philippe, brillant conseiller politique, est de permanence, cette nuit-là, à l'Elysée. Le standardiste du Palais, un ancien du GIGN, se charge de filtrer les appels importuns. Détournement d'avion, panique boursière en Asie du Sud-Est, prise d'otages à la Mairie de Nanterre, frasques nocturnes de personnalités en perdition, etc. ... aucune situation de crise ne semble résister au savoir-faire de Philippe, modèle de sang froid et l'habileté légendaires. Gérer une liste improbable d'évènements sans avoir à réveiller le Président fait partie de sa routine. Mais quand le téléphone sonne à cette minute précise, il est loin de se douter que c'est son propre passé, hanté par la mort et les occasions manquées, qu'il va devoir affronter. Une femme en pleurs est à l'autre bout du fil. Elle est une amie proche du Président. Pas une maîtresse mais une amie. Elle lui doit tout : elle lui doit la vie et s'apprête à la lui rendre. Philippe, bouleversé, pris dans ses derniers retranchements, écoute cette inconnue, Marie, évoquer le suicide. La carapace de cet homme, rendu cynique et froid à force de servir le pouvoir, cède d'un coup au souvenir d'autres vies brisées, celles des fidèles amis qu'il n'a pas su dissuader de passer à l'acte. Décidé à sauver Marie, il cherche à la faire parler, à l'amener à raconter son histoire. A gagner du temps... Une longue et douloureuse « négociation » à haut risque commence.
-
Claude Sautet ; du film noir à l'oeuvre au blanc
Ludovic Maubreuil
- Pierre-Guillaume De Roux
- 23 Février 2021
- 9782363713537
Premier véritable essai consacré à Claude Sautet qui vient combler un manque par une lecture approfondie de l'oeuvre sous la plume passionnée et rigoureuse d'un cinéphile hors pair.
-
Ce « faux journal », composé d'après des faits exacts, retrace le voyage de Chopin et de George Sand de Majorque à Nohant, entre février et juin 1839. Rédigé par Chopin, il fait se superposer le récit des événements avec celui de l'écriture de son oeuvre majeure que constituent les 24 Préludes, conçus pour partie à Majorque et achevés, dans leur totalité, sur l'île. Il est donc aussi un journal de création.
-
L'écrivain Lester Godard fuit la scène de crime où gît le cadavre de sa femme, Françoise Hardy.
Tandis qu'il s'élance sur la route d'Arras au volant de sa Ford Mustang, les images d'une autre cavale affluent à sa mémoire : celles de son « parcours » d'auteur haché, précaire.... Y défile, par flashes, le film de rencontres capitales, de succès fulgurants, d'interviews bruyantes ou encore de séances de signature envahies de monde. Souvenirs à la précision quasi photographique qui font de lui un homme seul. Un fuyard. Jusqu'à ces quelques petites phrases, échangées en confidence avec un rare initié, figure littéraire complice, compagnon de route, qui surnagent, tout à coup chargées d'une résonance insolite.
La fiction va peu à peu se mêler à ces souvenirs du monde réel. Les oeuvres les plus marquantes de Lester Godard, généralement inspirées par la Seconde Guerre mondiale, créent des personnages semblables à lui-même : qui persistent à vivre leur vie secrète de pure fiction à l'intérieur des minutes les plus graves de l'Histoire. Tel ce pilote de la Luftwaffe ; Erwin Lockhart, qui initie au chamanisme son co-pilote Joseph Beuys et lit l'Anabase de Xénophon pendant la marche triomphale des armées hitlériennes en Russie. Plus le temps avance, plus Lester Godard apparaît comme un caméléon, un écrivain si éclectique que la critique n'arrive plus à le suivre, encore moins à le classer. « Mallarmé pop », « Pérec rock », la voix des plus déterminés et des mieux disposés à son égard s'essouffle. Surtout qu'il demeure « vague » du point de vue idéologique.
Plus il écrit, plus son univers subit la contagion de son imagination et le lecteur lui-même en perd ses repères, après avoir été littéralement embarqué :
Françoise Hardy, son épouse, n'est qu'un homonyme, Mademoiselle Chanel n'était qu'un chat. Pour le reste, en revanche, tout est vrai : un antique électrophone Teppaz et une vingtaine de vinyle 45 tours (Nat King Cole, Petula Clark, etc.), deux photos dédicacées (une de Diana Rigg, l'autre de Linda Thorson), une fausse collection de Cahiers du cinéma des années 1964 à 1967, les deux derniers numéros du magazine Rock& Folk, un album de bande dessinée de Guy Pellaert (Pravda la Surviveuse, l'édition Losfeld originale), quelques Marabout Flash dans un état de fraicheur sidérant, l'affiche Bob Dylan par Milton Glaser, un dessin de Roland Topor, etc.
Lester Godard a maintenant la police à ses trousses.
Le temps accélère comme dans Les Choses de la vie de Sautet. Il a un Beretta sur lui. On devine qu'il va s'en servir pour le meilleur et pour le pire.
Ce récit, séquencé comme un court-métrage, brille par une précision documentaire. Tandis que les flashes se succédant font triompher le rêve et à l'intérieur du rêve, toute la vérité sur la mort de Françoise Hardy ou le dernier mot de la dernière histoire. La dernière séquence de la dernière séance.