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La Republique Des Lettres
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La confession d'un enfant du siecle
Alfred de Musset
- La Republique Des Lettres
- 3 Février 2025
- 9782824912325
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En 1947, l'éditeur suisse Mermod proposa à Colette de lui envoyer régulièrement un bouquet de fleurs à chaque fois différentes. Colette, en contrepartie, ferait le portrait de l'une ou l'autre de ces fleurs. Le résultat fut un petit recueil de 22 textes qui sont autant d'évocations de fleurs (le lys, la rose, l'anémone, le muguet, la jacinthe, le pavot, etc.) qui parut sous le titre de "Pour un herbier", dans la collection "Le Bouquet". Extrait: «À part le grand aconit, une scille, un lupin, une nigelle, la véronique petit-chêne, le lobélia, et le convolvulus qui triomphe de tous les bleus, le Créateur de toutes choses s'est montré un peu regardant quand il a distribué chez nous les fleurs bleues. On sait que je ne triche pas avec le bleu, mais je ne veux pas qu'il m'abuse. Le muscari n'est pas plus bleu que n'est bleue la prune de Monsieur... Le myosotis ? Il ne se gêne pas pour incliner, à mesure qu'il fleurit, vers le rose. L'iris ? Peuh... Son bleu ne se hausse guère qu'à un très joli mauve, et je ne parle pas de celui qu'on nomme «flamme», dont le violet liturgique et le profane parfum envahissent au printemps les montagnettes, autour de La Garde-Freinet. L'iris des jardins s'habitue docilement à tous les sols, se baigne les pieds dans les petits canaux de Bagatelle, se mêle à ses cousins les tigridias, embrasés et éphémères. Il a six pétales, trois langues nettes, étroites, et trois larges un peu chargées de jaune - le foie, sans doute - et il passe pour bleu, grâce à l'unanimité d'une foule de personnes qui n'entendent rien à la couleur bleue.» - Colette
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Dans "Les Vrilles de la vigne", premier des vingt-trois contes et nouvelles du recueil, un jeune rossignol se retrouve empêtré dans les vrilles d'une vigne. Il réussit à s'en libérer mais doit ensuite se tenir éveillé et chanter toutes les nuits pour préserver sa liberté reconquise. Le sens qui se dégage de ce conte est intimement lié à la vie même de Colette, qui à l'époque vient de rompre le lien d'emprise de Willy et Georgie Raoul-Duval. Après cette libération, il s'agit désormais pour elle de conquérir son autonomie dans et par l'écriture. Ce qui suit de sa vie sentimentale, érotique et / ou professionnelle avec des personnages réels - Willy (Henry Gauthier-Villars), Missie (Mathilde de Morny), Valentine (Valentine de Saint-Point) - et de ses réflexions sur l'amour, les bêtes ou encore le music-hall (elle devient mime, danseuse, actrice) - se retrouve sous plusieurs autres métaphores et motifs littéraires s'entrelaçant tout au long du livre, chaque texte étant lui-même une variation dans un jeu infini de kaléidoscope entre la vie et l'écriture.
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Deux adolescents de 15 et 16 ans, Vinca et Phil, amis depuis toujours, s'éveillent à l'amour et à la sexualité durant leurs vacances d'été sur la côte bretonne. Phil est séduit, initié puis abandonné par une femme beaucoup plus âgée que lui. Vinca, qui devine tout, tente de le reconquérir. Elle l'épie, le suit, l'attend, puis se donne à lui. Sur fond d'aquarelle maritime où la mer, le ciel, le soleil, les vagues fluctuent au gré des passions adolescentes, les deux jeunes gens s'aiment, se désirent, s'exaspèrent, se trahissent et se querellent. Le paradis de l'enfance a laissé place aux tourments de l'amour et les vacances s'achèvent sur un adieu amer et nostalgique à l'insouciance. À travers ces deux beaux portraits d'adolescents et sa prose poétique aussi délicate qu'imagée, l'auteur de "Claudine à l'école", qui s'est inspirée en partie de sa liaison avec son propre beau-fils, excelle ici à évoquer le douloureux passage de l'enfance à l'âge adulte. Lors de sa sortie en 1923, et encore plus tard en 1954 lors de la sortie du flm réalisé par Claude Autant-Lara, "Le Blé en herbe" ne manqua pas de scandaliser le public bien-pensant en raison de son audace subversive.
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Roman de la jalousie tout en subtiles nuances et fines observations, "La Chatte" de Colette relate la passion amoureuse d'un jeune marié pour son animal de compagnie, une fascinante chatte des Chartreux. Son épouse délaissée nourrit bientôt une haine viscérale pour cette redoutable rivale installée au coeur du foyer conjugal. «Rarement Mme Colette a été mieux inspirée que dans "La Chatte". Il faut, en effet, pour faire un beau livre, non seulement un grand talent, mais l'union de ce talent avec un sujet qui lui permette l'épanouissement de ses meilleures qualités... Quand cette union est naturelle, intime, et qu'elle obéit à une sorte de fatalité inéluctable, le chef-d'oeuvre est bien près de naître: c'est le cas de "La Chatte"» (Edmond Jaloux).
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Dans ce triptype autobiographique, Colette évoque avant tout la figure qui traverse toute son oeuvre, celle de sa mère, Sidonie Landoy, dite «Sido». S'efforçant de comprendre la personnalité et le secret de cette mère, mi-bourgeoise mi-paysanne toute occupée par les travaux domestiques, elle relate avec nostalgie et d'infinies nuances ses souvenirs d'enfance, invoquant tour à tour les autres membres de la famille: «Le capitaine» (son père) et «Les sauvages» (ses frères et soeurs). Le jardin de la maison familiale de Saint-Sauveur-en-Puisaye, riche des mystères de la nature et de ses premières émotions érotiques, est le décor central de cette plongée dans l'enfance de l'auteure.
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En août 1827, Stendhal arrive pour la sixième fois à Rome. Il y séjourne jusqu'en avril 1829, rédigeant au fur et à mesure de sa découverte de la cité éternelle un journal, à la fois guide artistique et carnet de voyages émaillé d'anecdotes et de digressions diverses et variées. Histoire, architecture, peinture, sculpture, musique, toute la sensibilité esthétique, la sagesse épicurienne et le talent littéraire de l'auteur du "Rouge et le Noir" sont ici mobilisés pour faire découvrir au lecteur les innombrables chefs-d'oeuvre romains, sans oublier ses commentaires toujours intéressants sur la politique, la religion et les moeurs de la société romaine de l'époque. Subtil, raffiné, érudit, dédié aux «happy few» amateurs d'art et de beauté d'une époque où le tourisme de masse n'existait pas encore, ces stendhaliennes "Promenades dans Rome" compléteront agréablement tout autre guide touristique contemporain. Pour Lampedusa, ce livre est sans nul doute «le plus grand hommage qui ait jamais été rendu à Rome, comprise comme une créature vivante et pas seulement comme un réservoir de souvenirs». (Édition intégrale des trois volumes originaux avec les annexes).
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Fondé en 1844 par le psychiatre Jacques Joseph Moreau de Tours, qui a découvert les effets du cannabis lors de ses voyages en Orient et publié un traité, "Du hachisch et de l'aliénation mentale", le Club des hachichins se réunissait chaque mois chez le peintre Fernand Boissard, à l'Hôtel de Lauzun, quai d'Anjou à Paris, pour expérimenter diverses drogues hallucinogènes, haschich et opium entre autres. Parmi ses membres, outre des scientifiques, de nombreux artistes et écrivains: Eugène Delacroix, Honoré Daumier, Gérard de Nerval, Honoré de Balzac, Alphonse Karr, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Théophile Gautier ou encore Charles Baudelaire (futur auteur des "Paradis artificiels" et traducteur des "Confessions d'un mangeur d'opium" de Thomas de Quincey, occupant par ailleurs l'étage au-dessus du club). C'est l'une de ces séances, appelées «fantasias» par les membres du groupe, que relate ici Théophile Gautier. Non sans ironie, et avec un sens certain du romanesque, l'auteur du "Capitaine Fracasse" se penche d'abord sur l'ancienne secte des Haschischins et l'origine du mot haschich, «d'où vient hachichin, mangeur de hachich, racine du mot assassin», puis décrit en détail les effets psychotropes que la drogue - en réalité du dawamesk, une sorte de confiture verdâtre composée de résine de marijuana, de miel et d'épices - exerce sur son esprit et son corps: sensations amplifiées, métamorphoses, hallucinations, dilatation et mort du temps,... «C'est aujourd'hui qu'il faut mourir de rire !» décrète l'un des personnages.
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Écrivain, bibliophile, critique d'art et ami de Baudelaire, Charles Asselineau retrace dans cette biographie de référence - la première consacrée à l'auteur des Fleurs du Mal - le parcours du poète dans son siècle. Décrivant l'homme qu'il a connu, du jeune dandy au mourant en passant par le traducteur d'Edgar Poe, relatant sa vie au milieu de ses contemporains, écrivains, artistes, éditeurs (Théodore de Banville, Théophile Gautier, Henry Murger, Champfleury, Nadar, Eugène Delacroix, Auguste Poulet-Malassis, Michel Lévy, etc.), analysant mieux que tout autre critique l'oeuvre - notamment "Les Fleurs du Mal", dont il établira l'édition définitive après le célèbre procès pour outrage à la morale publique -, il nous montre ici un Baudelaire vivant et profondément humain.
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"Capitale de la douleur", publié en 1926, contient deux groupes de poèmes déjà publiés sous les titres de "Répétitions" (1922) et "Mourir de ne pas mourir" (1924). Il se termine sur des poèmes plus récents: "Les Petits Justes" et "Nouveaux poèmes". Dans "Répétitions", les domaines du rêve et de la réalité se confondent et se mêlent étroitement. Les mots, les membres de phrases se heurtent, se contredisent et parviennent à faire fleurir d'énigmatiques images. La matière se refuse à toute espèce de définition rationnelle, cohérente, elle n'obéit qu'aux lois mystérieuses de l'inconscient et irradie d'admirables éclairs poétiques. Dans "Mourir de ne pas mourir", les textes expriment la solitude, notamment celle du rêve et du rêveur. Le poète est clos dans son univers onirique, les êtres qui le hantent ne sauraient se dissocier de sa personne, atteindre la réalité objective. Le monde extérieur est inaccueillant, plein de chausse-trapes. Le poème est souvent, aussi, constat d'un malheur immuable, absolu, dans lequel l'homme est muré en tous temps et lieux. Les "Nouveaux poèmes" poursuivent la transcription des aventures intérieures du poète. Paul Éluard sort de sa « saison en enfer », le désespoir qui nourrit "Mourir de ne pas mourir" semble, pour un moment, conjuré. Nous assistons à un défilé d'images superbes et insolites, les textes baignent dans une atmosphère chaude et lumineuse, ont la pureté et l'allégresse d'une «invention du monde». Les derniers poèmes achèvent cette évolution et nous en donnent la clé. Ce sont des poèmes d'amour dans lesquels la femme aimée et exaltée est une médiatrice qui permet au poète de sortir de sa prison intérieure et lui rend la possession du monde.
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«J'entends par individualisme la doctrine morale qui, ne s'appuyant sur aucun dogme, sur aucune tradition, sur aucune volonté extérieure, ne fait appel qu'à la conscience individuelle. [...] On a souvent donné le nom d'individualisme à des apparences de doctrines destinées à couvrir d'un masque philosophique l'égoïsme lâche ou l'égoïsme conquérant et agressif. [...] Quelques vrais individualistes: Socrate, Épicure, Jésus, Épictète.» - Han Ryner.
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Comme Socrate, Épictète n'écrivit rien. Ce fut son disciple Flavius Arrien qui, ayant suivi sous Trajan les leçons d'Épictète à Nicopolis, rédigea les notes qu'il avait prises en écoutant son maître. De là sortirent les "Entretiens" d'Épictète en huit livres, dont il ne nous reste plus que quatre. De tous ces entretiens, Arrien lui-même en tira ce qui lui parut essentiel, pour le condenser en un petit livre qu'on pût toujours et avoir sous la main et porter avec soi: le "Manuel d'Épictète". Simplicius, qui enseignait à Athènes lorsque les écoles de philosophie païenne furent fermées, en 529, par Justinien, composa un commentaire très développé de ce Manuel. Ce petit livre, dit-il, «est une arme de combat qu'il faut toujours avoir à sa portée, et dont il faut que ceux qui veulent bien vivre soient toujours prêts à se servir». Admiré par les païens, ce Manuel le fut non moins par les chrétiens. Saint Nil, disciple de saint Jean Chrysostome, puis anachorète, l'adapta, avec d'insignifiantes modifications, à l'usage de la vie des ermites du mont Sinaï, et la règle de saint Benoît elle-même en fit passer plus d'un précepte dans le monachisme occidental. Traduit plusieurs fois en français dès le XVIe siècle, le "Manuel d'Épictète" eut la singulière fortune de faire l'impression la plus vive sur le génie de Blaise Pascal. C'est, en effet, un des livres les plus réconfortants que la pensée grecque nous ait laissés.
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Oeuvre sans nul doute la plus célèbre d'André Gide après avoir été longtemps ignorée, "Les Nourritures terrestres" est un texte de forme poétique et didactique, proche des textes orientaux sacrés, où l'auteur apprend au lecteur à se désinstruire et à se délivrer de certaines conduites morales et intellectuelles afin de mieux connaître le monde et lui-même. Prenant appui sur un jeune homme nommé bibliquement Nathanaël et sur un maître imaginaire: Ménalque, Gide s'est mis aussi lui-même tout entier en héros de son récit. L'émerveillement panthéiste qui y est exalté ne va pas sans un certain dépouillement, sans un abandon de tout confort matériel, moral ou intellectuel qui rappellent les préceptes du "Zarathoustra" de Nietzsche et certains textes bibliques comme le "Cantique des cantiques" ou "L'Écclésiaste". Le texte des "Nourritures terrestres", publié à l'origine en 1897, est suivi de celui des "Nouvelles Nourritures", publié lui en 1935. Ce dernier récit est celui d'un homme déjà entré dans la vieillesse, avec tout ce que cela comporte de nostalgie, et parfois d'ironie, à l'égard de son ancienne ferveur pour la liberté, la révolte et toute forme de vie spontanée. Livre de chevet de plusieurs générations d'adolescents, "Les Nourritures terrestres" ont exercé une forte influence morale et esthétique tout au long du XXe siècle, inspirant de nombreux écrivains tels, entre autres, Henry de Montherlant et Albert Camus.
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Brève histoire du tango argentin
Noel Blandin
- La Republique Des Lettres
- 1 Octobre 2024
- 9782824912479
Danse, musique et poésie, le tango argentin plonge ses racines sur les rives du Rio de la Plata où de nombreuses cultures du monde entier ont fusionné pendant le dernier tiers du XIXe siècle, mixant rythmes africains, mélodies européennes et chants criollos. Avant son universalisation et son inscription au patrimoine culturel immatériel de l'humanité, il a traversé plusieurs étapes de croissances, de transitions et de dépressions au gré des évolutions culturelles, des crises économiques et des convulsions politiques du monde. À travers ses moments-clés et ses figures les plus représentatives, ce petit livre déroule le fil de son histoire, depuis ses premiers pas dans les faubourgs de Buenos Aires (1870-1890) jusqu'à son renouveau international contemporain (1980-2020), en passant par sa phase d'essor (1890-1930), son âge d'or (1930-1950) et sa période de modernisation (1950-1980). Métaphore de la vie avec ses joies, ses peines et ses improvisations, conversation silencieuse entre deux partenaires de danse, reflet des passions les plus profondes de l'âme humaine, le tango argentin a su captiver des millions d'aficionados à travers le monde. Il a traversé chaque époque en se réinventant constamment, toujours plus riche de son passé et toujours plus vibrant de son présent.
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Note sur la suppression generale des partis politiques
Simone Weil
- La Republique Des Lettres
- Weil
- 1 Octobre 2024
- 9782824912516
Écrite en 1940, publiée à titre posthume en 1950, cette brève "Note sur la suppression générale des partis politiques" offre une analyse politique pénétrante de Simone Weil sur les partis politiques. Pour l'auteure de "La Condition ouvrière", les partis politiques sont d'abord des machines à fabriquer des passions collectives, ce qui ne répond pas au besoin de démocratie qui doit dépendre avant tout de la volonté humaine. Leur véritable objectif, mortifère pour le bien commun sous couvert d'une illusion démocratique, est de générer sans limite leur propre croissance en aliénant la raison de leurs membres. «La tendance des partis est totalitaire, non seulement relativement à une nation, mais relativement au globe terrestre», affirme-t-elle. Elle suggère la mise en place d'un autre système d'organisation, fondé sur des revues et des groupes d'écriture, sans candidats à présenter aux élections. Les mérites de ce point de vue radical ont été défendus entre autres par André Breton pour qui ce pamphlet relève d'une nécessaire «entreprise de désabusement collectif». Le texte est suivi d'une biographie de Simone Weil.
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Michel, jeune intellectuel élevé dans un milieu très puritain, est devenu le prisonnier d'innombrables contraintes morales. Gravement malade, il ne recouvre la santé qu'au cours d'un voyage en Afrique du Nord où il est pris d'un goût très vif pour la vie et les plaisirs qu'elle procure en contemplant de jeunes garçons pleins de santé. Revenant plus tard avec sa femme sur cette terre africaine qui stimule sa sensualité, il se libère de tout conformisme et éprouve un plaisir pervers à devenir l'ami et le protecteur d'un jeune arabe, Moktir. Constatant que Moktir est un petit voleur manquant de tout sens moral, il s'applique à développer chez lui ce qu'il considère comme sa force et son indépendance. S'apercevant aussi que le climat africain est pernicieux pour la santé de sa femme, il ne fait rien pour la sauver et la laisse mourir, se libérant ainsi de l'affection et de la fidélité. Certaines pages de "L'Immoraliste" sont parcourues par un véritable souffle lyrique, d'autres recomposent, avec plus de raffinement, la matière même des "Nourritures terrestres", tournant parfois à la satire, mais affirmant toujours la pureté classique du style d'André Gide.
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«La croix est un symbole qui, sous des formes diverses, se rencontre à peu près partout, et cela dès les époques les plus reculées. [...] Ce caractère symbolique, bien que commun à tous les faits historiques, doit être particulièrement net pour ceux qui relèvent de ce qu'on peut appeler plus proprement l'«histoire sacrée». Et c'est ainsi qu'on le trouve notamment, d'une façon très frappante, dans toutes les circonstances de la vie du Christ. [...] Si le Christ est mort sur la croix, c'est pouvons nous dire, en raison de la valeur symbolique que la croix possède en elle-même et qui lui a toujours été reconnue par toutes les traditions. C'est ainsi que, sans diminuer en rien sa signification historique, on peut la regarder comme n'étant que dérivée de cette valeur symbolique même. [...] Ce que nous avons essentiellement en vue dans ce livre, c'est le sens métaphysique de la croix, qui est d'ailleurs le premier et le plus important de tous, puisque c'est proprement le sens principiel. Tout le reste n'est qu'applications contingentes et plus ou moins secondaires. Et, s'il nous arrive d'envisager certaines de ces applications, ce sera toujours, au fond, pour les rattacher à l'ordre métaphysique, car c'est là ce qui, à nos yeux, les rend valables et légitimes, conformément à la conception, si complètement oubliée du monde moderne, qui est celle des sciences traditionnelles.» - René Guénon.
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Bernard Rosenthal est normalien. Il appartient à la haute bourgeoisie juive des beaux quartiers de Paris. Il pense autour de la rue d'Ulm et de la Sorbonne, un peu avec Spinoza, beaucoup pour Marx et Lénine. Entre 1920 et 1930, ce n'est pas si fréquent dans l'élite universitaire. Rosenthal veut échapper aux chiens de garde de la philosophie comme aux tranquilles conjurations de la famille. Pour faire avancer les choses, il entraîne ses camarades dans un acte révolutionnaire décisif. Pour de jeunes intellectuels bourgeois, qui se veulent subtilement cyniques mais gardent en eux une forte dose de naïveté, c'est plus qu'une aventure réussie et moins qu'une conspiration ratée. En même temps, Rosenthal fait son éducation sentimentale. Tout cela se terminera par une mort, une arrestation, une trahison. Quelques années auparavant, dans son premier livre, "Aden Arabie", Paul Nizan lançait un cri et un défi qui étaient ceux de Rosenthal et de ses camarades: «J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie.»
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"Antoine Bloyé" retrace l'ascension sociale d'un fils de simple cheminot. Le monde du travail dessine l'armature sociale d'Antoine Bloyé, qui s'élève dans la hiérarchie de la compagnie, au fil des mutations et des déménagements, habite des demeures plus cossues et entre dans une bourgeoisie qu'il adopte. Empruntant beaucoup à la vie réelle de son père, Paul Nizan poursuit ici sa dénonciation de la bourgeoisie. La trahison y occupe une position centrale: changer de classe, c'est non seulement rompre avec un lieu et avec une culture, mais aussi trahir les siens et se trahir, en franchissant la ligne qui sépare les oppresseurs des opprimés. L'importance des thèmes de l'héritage et de la lignée apparaît pleinement dans la pause que constitue la naissance de son fils, laps de temps pendant lequel la mécanique de la répétition, des gestes, des actions et des préoccupations est interrompue. Il délaisse l'usine et le travail pour envisager sa propre mort et considérer son passé: «Antoine pense souvent à sa propre mort, qui viendra, et il contemple ce fils qui n'est rien encore, qui le trahira, qui le détestera peut-être, ou qui mourra - comme la très grande puissance qui le délivrera lui-même, qui le sauvera de la mort.»
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En grande partie autobiographique, "Gilles" relate quelque vingt années de la vie d'un Français entre les deux guerres mondiales. Gilles Gambier, jeune bourgeois parisien, appartient à la génération qui, à peine sortie du lycée, se voit jeter dans la Guerre de 14-18. La guerre terminée, il est bien décidé à profiter du «pays des femmes». Il entre au ministère des Affaires étrangères mais, peu capable de se discipliner, il passe continuellement du courage à la veulerie, de l'intrigue au détachement, de l'érotisme débridé à l'abstinence sexuelle. Femmes et mondanités, scandales et intrigues. Il passe pour un dilettante jusqu'à ce qu'il adhère au groupe avant-gardiste «Révolte surréaliste» dont l'activité oscille entre littérature, politique et onirocritie. Après l'échec d'un projet d'attentat du groupe contre le président de la République et un procès retentissant, Gilles fonde le journal "L'Apocalypse" où il se déclare ouvertement fasciste et au service du «catholicisme mâle, celui du Moyen Âge». Pendant la Guerre civile espagnole, il prend position pour Franco et repart faire le coup de feu. À la veille de la seconde guerre mondiale, il retrouve ainsi ce goût de la mort qui le hantait dans ses jeunes années. Livre d'adieu de Pierre Drieu la Rochelle à sa jeunesse, "Gilles" est le roman d'une époque trouble où certains Français rêvaient d'une nouvelle Europe aristocratique avant de s'engager bientôt dans la politique de collaboration avec l'Allemagne nazie.