Une petite vie nous invite à un voyage hors des sentiers battus et des représentations que l'on peut avoir de la littérature afghane.
L'auteur y met en scène un monde, en l'occurrence un café, dans lequel la réalité et l'imagination se mêlent. Un monde dans lequel le lecteur est invité à prendre un taxi imaginaire et à entamer un voyage vers une destination énigmatique. Dans ce café-monde, on peut croiser une musique triste, une musique joyeuse, voir une aventure advenir en un rien de temps, et le silence soudain s'installer. Comme un tableau où l'on pourrait pénétrer sans trop se demander où se trouvent les frontières entre le rêve et la réalité.
Et si la réalité n'était que le fruit de notre imagination ?
Ces trois textes font partie d'un cycle de nouvelles dont le personnage récurrent est un chien.
Le chien, le maître ainsi que ses parents proches débute par une transgression lorsque Köntho met à la porte sa mère afin d'accueillir sa jeune épouse. Scandalisés, les anciens s'offusquent et le traitent de « chien ». Köntho rétorque qu'il est en effet la réincarnation d'une « chienne rouge ». Chacun se souvient alors d'événements traumatisants survenus une vingtaine d'année plus tôt : un cas de rage avait conduit les autorités à tuer tous les chiens. Un aller-retour entre les excès sanguinaires de la Révolution culturelle et ces minuscules péripéties constituent le fil du récit.
Journal de l'adoption d'un hapa tend vers le fantastique grotesque en mettant en scène un narrateur, petit fonctionnaire, et un pékinois doué de parole, le hapa. Ayant délaissé son précédent maître, ce chien est adopté par le narrateur qui l'emploie dans son service. Il manigance alors pour grimper dans la hiérarchie. La très fine description d'une société où les luttes de pouvoir, l'hypocrisie et la flagornerie sont omniprésentes donne toute sa saveur à ce récit.
Dans Le vieux chien s'est soûlé, le narrateur est un enfant dont la famille vit de l'élevage de moutons. Fils unique, il devra succéder au père, ce qui rend dispensable sa présence sur les bancs de l'école. Si l'intrigue est ténue (l'enfant veut sauver son chien), le texte oppose habilement les manipulations des adultes à la fraîcheur un peu rouée de l'enfant qui pointe les contradictions des grandes personnes et les travers d'une société où cupidité et impératif de « développement économique » n'épargnent rien ni personne.
On pourrait voir en Tagbumgyal un écrivain réaliste s'autorisant quelques touches de fantastique. Mais dans son univers, parler des chiens, c'est parler des hommes. De fait, il a un sens aigu de l'observation.
La narration est imagée, portée par une écriture cinématographique, des détails où perce son humour. Ni héros ni épopée ici, mais des sentiments étriqués, des situations ridicules, de petites lâchetés ou des trahisons ordinaires pour révéler les rouages néfastes d'une société où seuls l'exercice du pouvoir et les intérêts particuliers prévalent. Ces faits et gestes peuvent se mêler au cours de l'histoire, comme dans Le chien, le maître ainsi que ses parents proches, mais c'est pour mieux en souligner le caractère dérisoire. Car Tagbumgyal est avant tout un écrivain, non un idéologue. Sa subjectivité ne laisse dans l'ombre rien de la nature humaine ; sa critique de la religion est indulgente, son observation de la société malicieuse, et l'histoire tragique de son pays n'est évoquée qu'au moyen d'une distance ironique. C'est par cet art de l'ambiguïté que Tagbumgyal laisse toute liberté d'interprétation au lecteur.
Tout commence par une histoire d'amour vouée à l'échec avant même ses prémices. La relation passionnelle que partagent un peintre ukrainien et la narratrice constitue une métaphore de l'Ukraine du XXIe siècle. L'héroïne d'Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous raconte la chute de l'URSS et du modèle soviétique qui a donné naissance à l'Ukraine indépendante, mais qui a également laissé dans ce pays une fracture et un traumatisme encore béants. A travers ses tentatives d'émancipation, la narratrice cherche à comprendre la force d'une identité et l'importance de se détacher du passé. Ce travail de deuil ne renvoie pas seulement au fait d'être ukrainien, mais au fait de se retrouver à genoux sous le poids d'une culture allogène. Oksana Zaboujko, dans cette fiction partiellement autobiographique, fait vivre cette langue et cette culture qui flotte dans la « non-existence ».
Le corps d'une femme devient ainsi la métaphore d'un pays, de sa culture et de ses racines. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous donne de précieuses clés pour comprendre ce que signifie être humain, dans toute sa poésie et sa conscience.
Le vieux jardinier d'un couvent du Sud de la France évoque sa jeunesse passée puis son départ pour Jérusalem au sein de la première croisade.
Le récit devient dès lors une chronique de cette expédition. Le héros apprend le maniement des armes et forme un groupe soudé avec quelques compagnons. Au cours d'un affrontement contre les Turcs, la mort de son seigneur, puis de celle de son mentor, le marquent profondément.
Tandis que la culpabilité et la honte commencent à le ronger, il reçoit tous les honneurs pour son apparente bravoure. Fait chevalier, il prend la tête de son groupe de compagnons et mène des opérations militaires audacieuses, tout en se rapprochant petit à petit de la veuve de son seigneur, Titre : Le Pèlerinage qu'il convoite depuis la première fois qu'il l'a aperçue.
Un roman naturel avait été salué par la critique internationale comme l'un des meilleurs romans postmodernes européens dont la structure ouverte et libre, l'écriture fragmentée et ludique se révélait être particulièrement propice à allier les contraires : imbrication de la mémoire collective (celle du socialisme) et de la mémoire individuelle (celle du monde de l'enfance) ; de la nostalgie et de la dérision par l'ironie, dans une quête du « moi » longtemps sacrifié au nom de l'édification collective d'un nouveau modèle de société mais qui se révèle n'avoir de sens qu'en tant que maillon d'une autre grande chaîne collective, celle qui le rattache à l'histoire d'un peuple et à l'histoire mondiale.
Physique de la mélancolie, roman-labyrinthe, apparaît comme un prolongement et un dépassement longuement et patiemment mûri de cette quête du moi qui englobe tous les autres « moi », et ce, dès le tout début du roman, dans son prologue qui déclare : « Je sommes nous. » Dans ce labyrinthe (celui des histoires, mais aussi celui du Minotaure, alter ego du narrateur) Guéorgui Gospodinov pousse plus loin cette démultiplication des « je ». Que de non-vécu, de manqué, de passé à côté, de laissé de côté dans une existence ! De multiples fils d'Ariane relient ce moi incomplet d'ici et maintenant aux autres « moi » d'autres lieux et d'autres époques, humains, animaux ou plantes le trans¬formant en un moi collectif, empathique, qui lui permet de traverser les âges et d'entrer tour à tour dans les histoires et les corps de son grand-père dans la Hongrie de 1945, du Minotaure, de Guéorgui Gospodinov dans la Bulgarie communiste et post-communiste de 1968 à 2011, d'une mouche à vin, d'un nuage de printemps, d'une perdrix, etc.
Avec l'enfance prend fin l'empathie. Le moi collectionne, « achète » alors les histoires d'autrui, encapsule le temps. Pour retarder la fin du monde. Pour ne pas oublier. Ce que l'on oublie habituellement, le périssable, l'éphémère, le quotidien, l'oublié par la « Grande Histoire », le Minotaure. Parce que le sublime est partout, même dans « l'architecture, la physique et la métaphysique de la bouse de buffle ». Parce que le passé est le seul futur possible. Car, si l'imbrication de l'Histoire et des histoires personnelles, la mélancolie suscitée par l'impossibilité de communiquer vraiment entre les êtres, traversent l'oeuvre de Gospodinov, elle est également « imbibée » du sentiment des apocalypses à venir.
Dans cette quête de l'universel par le prisme du personnel, en dépassant le national, quoi de plus partagé, en ce début de XXIe siècle, que le sentiment de crise et la mélancolie qui en résulte ? Et pour conjurer la mélancolie, il faut la raconter. L'architecture du roman, labyrinthe dynamique, fragmenté, qui collectionne histoires, listes, catalogues, carnets et énumérations, nous place, comme le narrateur, à la veille d'une fin, d'une apocalypse, qui peut se révéler infinie. Physique de la mélancolie s'inscrit ainsi dans la poétique du divers et de la relation développée par Édouard Glissant : à la conception de « l'identité à racine unique et exclusive de l'autre » véhiculée dans de nombreux textes d'écrivains des Balkans porteurs d'une esthétique exotisante et foklklorisante, Glissant oppose une autre notion d'identité « comme rhi¬zome », c'est-à-dire « non plus comme racine unique mais comme racine allant à la rencontre d'autres racines. » Une identité-relation.
Belgrade, 1999, pendant les bombardements de l'OTAN.
Dans l'espoir d'émigrer aux États-Unis et de quitter leur condition d'Européens de l'Est, le narrateur et son épouse décident non seulement de participer à la loterie de l'immigration organisée par le gouvernement américain, mais également d'y inscrire leur chienne Milica. C'est cette dernière qui remporte le ticket gagnant, et elle se révèle soudain douée de parole. Mais d'autres phénomènes étranges font leur apparition : certains livres deviennent comestibles, les appareils ménagers sont capables de mener une révolte suicidaire, les animaux de compagnie ont des prétentions d'écrivains...
Mileta Prodanovic nous livre ici une vision originale et sans concession de la politique internationale de l'ex-Yougoslavie et de la société serbe contemporaine.
Avec un cynisme qui dénonce aussi subtilement la dictature que les bombardements, avec un humour féroce qui ne rate jamais sa cible, loin de la complainte et de l'autovictimisation, Mileta Prodanovic traite de l'histoire récente avec d'autant plus de brio que son ironie mordante n'épargne personne sur son passage.
Bienvenue dans le monde de Clou et Moaï. Ces deux adolescents sont les heureux exclus d'une bande dont le leader, Chisu, les persécute au quotidien. Mais à force de coups, ils ne sentent plus la peur ni même la douleur. Jusqu'au jour où ils découvrent une table de ping-pong perdue en plein milieu d'un champ, coincée entre une armoire et un vieux canapé en cuir. Ce lieu deviendra leur repère. Ils y rencontreront Secrétin, un Français qui leur apprend l'existence d'une planète ping-pong. Une révélation décisive. Clou et Moaï vont devoir faire un choix : jouer (ou non) une partie de ping-pong capitale. S'ils gagnent, ils pourront alors décider du sort de la planète.
Tante Rosa, éduquée par des religieuses strictes et nourrie par l'imaginaire des romans à l'eau de rose, arrive à l'âge adulte munie d'une naïveté désarmante, et semble prête à saisir toutes les opportunités qui s'offrent à elle. En cela, elle est comme une soeur de Bartleby en forme d'antithèse, prête à acquiescer de préférence à chaque occasion que le sort lui destine.
Après la disparition soudaine de son premier mari, elle passe d'un homme à un autre, d'un petit boulot à un autre, s'aventurant dans les entreprises les plus invraisemblables et entre les bras les plus torves. Un portrait de femme libre mais à qui rien ne réussit et à qui la société ne passe rien.
Avec un sens de l'ironie et de l'humour noir souvent grinçant, Sevgi Soysal dresse le portrait cubiste d'une femme libre qui n'aura rien fait comme personne. Un de ces personnages universel dont le destin, dans son extrême singularité, finit par gagner une dimension universelle.
Tante Rosa constitue un puissant témoignage de la prise de conscience féministe de l'auteur et s'inspire très librement des vies de la grand-mère et de la tante de Sevgi Soysal dans l'Allemagne d'après-guerre. « Tante Rosa ne raconte cependant pas leur histoire, c'est plutôt le fil conducteur déroulé depuis ma grand-mère jusqu'à moi », disait son auteur.