En 1967, Tiziano Terzani obtient une bourse pour étudier les affaires internationales et le chinois à l'université Columbia. C'est la première fois qu'il se rend en Amérique et, à trente ans, Terzani écrit chaque semaine pour le magazine L'Astrolabio sur les États-Unis, révélant pour la première fois son extraordinaire instinct de grand-reporter.
Ce recueil des articles écrits durant ce séjour américain retrace non seulement les premiers pas d'un reporter de légende, mais témoigne de cette période dense, riche et tumultueuse de la fin des années 1960 aux États-Unis, vue à travers le regard d'un jeune idéaliste. Terzani expose en profondeur les interrogations sociétales, politiques et intellectuelles qui traversent les États-Unis d'alors, dans des textes d'une étonnante actualité.
En plein mouvement pour les droits civiques et tandis que la guerre du Vietnam suscite une opposition croissante, Terzani est aux premières loges pour décrire les failles qui lézardent la politique américaine, dont certaines sont toujours aussi vives. Il faut dire que l'époque est riche en convulsions, avec les assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, les manifestations pour la Paix, l'émergence du mouvement du Black Power...
Terzani sent qu'une crise de valeurs s'est déclarée à la mort de John F. Kennedy, lourde de conséquences sur la politique et l'équilibre des pouvoirs. Les passages sur la manipulation de l'opinion publique, le poids du complexe militaro-industriel et les motivations financières des guerres notamment, qui ne sont pas sans rappeler les conflits ultérieurs d'Irak ou d'Afghanistan, sont d'une d'une lucidité et d'une précision stupéfiantes. Alors qu'on célèbre les 60 ans de la « marche pour les droits civiques », ce livre est une analyse sur le vif d'une époque de bouillonnement intellectuel et politique dont les turbulences sont à la racine des remous d'aujourd'hui.
Depuis #MeToo, un certain féminisme voit en la femme non plus un sujet libre de son désir mais un être fragile soumis aux injonctions du patriarcat que l'on rend responsable de sa condition. Est-ce là un progrès ? Loin des mobilisations pour le droit de vote, pour la liberté et pour l'égalité sexuelles, qui faisaient le cÅ?ur du féminisme d'émancipation, ce nouveau féminisme méconnaît également la complexité, pour tous, de la relation sexe/genre, et donc celle du trajet de sexuation, toujours marqué par d'énigmatiques...
Chronique d'une voyageuse solitaire, Carnets perdus du Japon rassemble les fragments de deux carnets de voayge de l'auteur, écrits à dix ans d'intervalle, agrémentés de notes récentes. L'auteur y explore les géographies intérieures et extrérieures en interrogeant l'écriture comme mémoire du passé.
L'originalité de cette narration pleine d'images est de s'élaborer à partir de la notion de perte : celle des carnets que l'écrivain a perdus pendant son voyage, celle des êtres trop tôt disparus et celle, aussi, d'un pays qui n'est peut-être déjà plus.
Patricia Almarcegui nous invite à plonger dans un bain de cyprès, à déambuler sur la Promenade des philosophes à Kyoto, ou établir des listes à la manière des Notes de chevet de Sei Shônagon. A mi-chemin entre l'essai, le journal intime et le carnet de voyage, Patricia Almarcegui esquisse ici, à la manière d'un haïku savant et ludique, sa vision d'un Japon longtemps contemplé et arpenté, qu'elle nous livre avec délicatesse et nuances.
À l'heure des fake news et du fact-checking de mauvaise foi, de l'information en continu et des sciences alternatives, on pourrait facilement croire que tout est relatif. Mais si l'on veut ne pas céder au cynisme ou au nihilisme, on peut se tourner vers les recherches récentes associant sciences humaines et sociales, qui ont fait progresser l'analyse des mécanismes à l'oeuvre dans les manipulations des négateurs de la science.L'heure n'est plus à la déploration. Pour lutter contre cette nouvelle idée-force, cet essai voudrait suggérer d'autres armes : prendre conscience de nos biais cognitifs et des sources variées d'enfumage et d'entourloupe, cultiver nos vertus épistémiques et tenir l'évidence des faits pour une exigence première, mais aussi nuancer l'opposition entre faits et valeurs, cesser d'occulter les aspects positifs des émotions comme de réduire la rationalité à une peau de chagrin en en faisant un épouvantail positiviste, ne pas confondre déni de la science et aveuglement scientiste, comprendre que travailler dans un « esprit scientifique » implique de refuser toute compromission avec la société, la moralité et la pratique.De façon plus urgente encore, cet essai de philosophie engagée suggère d'éviter des malentendus élémentaires sur les concepts de vérité, de connaissance, ou de réalité, trop souvent déformés par l'idée-même de post-vérité. De nous méfier de nos préjugés métaphysiques les plus ancrés et d'oeuvrer à une authentique connaissance métaphysique ; enfin, de nous installer dans un espace académique et démocratique des raisons, seul à même de garantir la liberté de conscience, en démontrant que les idéaux de vérité et de connaissance constituent moins un rempart ou un déni de la vie qu'ils ne sont les meilleurs alliés de nos idéaux de solidarité et de justice sociale.
Es Doux traite d'une des périodes les plus traumatiques de l'histoire récente de la Bulgarie : le coup d'État du 9 septembre 1944 et les répressions politiques qui s'ensuivirent. Il analyse la transformation pathologique d'une personne située à l'épicentre de la terreur et devenue son instrument.
À partir de sources historiques, Igov a construit le roman d'un « petit homme » dont l'heure est venue : le personnage d'Emil Strezov, un jeune poète marginal et prolétaire de province qui, dans une dynamique époustouflante, devient d'abord un suiveur, puis un « cadre » et accusateur hâtif au service du nouveau régime et de sa terreur. Cette histoire faite de culpabilité et d'expiation est brillamment présentée du point de vue de gens ordinaires. Comme un choeur antique, ils racontent et commentent ce qui se passe « au nom du peuple ». Et notamment comment, sous couvert d'idéologie, on laisse libre cours à des complexes, des phobies et des ambitions malsaines qui font basculer de nombreuses destinées humaines.
Composé d'habitants d'un quartier de Sofia insensibles à la démagogie et dubitatifs face aux promesses d'un avenir radieux, ce choeur souligne la duplicité du nouveau régime à ses débuts.
Les Doux est un roman passionnant, éclairant et universel sur la mécanique révolutionnaire.
1421 suit les traces de Zheng He, l'amiral chinois du XVe siècle qui, à la tête de sa flotte, aurait découvert l'Amérique 70 ans avant Christophe Colomb, l'Australie 350 ans avant Cook, et réussi le tour du globe un siècle avant Magellan. Gavin Menzies déroule l'histoire à la manière d'un roman policier, où l'on suit les balbutiements de la navigation astrale dans l'hémisphère sud et l'avancement incroyable de la technique maritime orientale juste avant le grand isolement chinois. 1421 est une enquête au long cours qui finit par nous apprendre une vérité commodément oubliée depuis plus de 500 ans : les grands navigateurs européens n'étaient sans doute que des nains juchés sur les épaules des géants asiatiques qui les avaient précédés.
Bulgarie, milieu des années 1980. La jeune Alba est hospitalisée pour une paralysie galopante à la jambe. Là, elle rencontre Guéo, cinquante-cinq ans, membre du Politburo.
L'homme est absorbé par l'écriture d'un rapport qui doit permettre à la Bulgarie de faire sa mue démocratique avant que le communisme ne s'effondre.
Peu à peu, Guéo dévoile à la pétillante Alba son passé, ses faiblesses, sa culture et son amour du français.
De Sofia à Varna, la jeune fille et l'apparatchik vont se découvrir... Mais la grande histoire les rattrape tandis que les paranoïas, les rêves étouffés, les velléités de liberté déferlent sur le pays. L'étau se resserrant à mesure que le régime vacille, Alba et Guéo vont se donner rendez-vous à Paris.
Alors que l'idéologie du genre a trouvé partout des relais institutionnels, ce petit livre trouve son point de départ dans un double étonnement. Comment l'idée que l'on puisse naître dans un « mauvais corps » s'est-elle répandue ? Pourquoi la transsexualité fait-elle l'objet d'une fascination croissante ?
Ces questions seraient anecdotiques si elles n'avaient pas dépassé depuis longtemps les associations militantes et n'inspiraient pas diverses politiques nationales et internationales.
Insignifiante en regard des urgences politiques, économiques et écologiques mondiales, l'idéologie du genre conserve un grand pouvoir de diversion. Elle entretient la confusion par des débats que l'on n'ose dire stériles sur les « hommes enceints », mais condense aussi la dialectique « déconstructive » et l'idéologie intersectionnelle.
Dans le brouillard d'une guerre des sexes, elle les combine avec des thèmes porteurs comme la post-vérité et le transhumanisme.
Non seulement le féminisme s'en trouve progressivement discrédité, mais la promotion des « transitions » médicalisées, notamment chez les mineurs, pose un problème de santé publique et présage un scandale sanitaire.
En éclairant les liens de l'idéologie du genre avec les superstitions anciennes sur l'androgynie divine comme avec le tantrisme revisité par la théosophie et le New Age, cette étude cerne les contours d'une mystique menaçante qui anime un activisme croissant.
Le Liban des années 1970 est le théâtre d'une guerre aux ramifications multiples. C'est aussi celui d'une passion débordante entre un jeune peintre français en quête d'exotisme et une Libanaise maronite nourrie de culture française et d'idéalisme. Séparé par la géopolitique et par des traditions que tout oppose, le couple franchit une première série d'obstacles pour tenter de vivre cet amour au grand jour, d'abord au Liban puis en France.
Mais la terre d'accueil ne semble pas à la hauteur des clichés romantiques qu'elle véhicule. Et surtout, l'exil ne saurait être un exutoire à certains conflits, qu'ils soient intimes ou politiques. Bien au contraire.
Un amour sous la guerre est un roman saisissant qui tisse des résonances subtiles entre les déchirements intimes et les brisures de l'histoire.
Il ne faut pas confondre la langue et le sexe. Le genre des mots et le sexe des gens. Or, avec une déconcertante régularité, les débats de société mélangent volontiers le mot et la chose. Dernier avatar de ce manichéisme militant, l'écriture dite « inclusive » fait partie de ces outils idéologiques masqués par une apparente posture humaniste. Dans une novlangue à la philanthropie toute bureaucratique, de beaux idéologues spécialistes de marketing prennent prétexte de la « défense des femmes » pour contribuer à « changer les mentalités » en tordant le cou à la grammaire. C'est beau, c'est grand, c'est généreux, mais ce n'est qu'une pose qui déplace sur le terrain de la grammaire des questions sociales, politiques et culturelles. Or il y a des phénomènes linguistiques et des phénomènes sociaux. Quand on postule une relation de causalité rendant la langue responsable d'un état de la société, il faudrait au moins ne pas se tromper sur ce qu'est la langue, sur ce qu'est la société et sur la relation entre les deux. Faut-il rappeler que les signes de la langue ne sont pas des humains ? Et que le sort des humains ne dépend pas des signes qui les désignent parfois ? En réponse à ces beaux esprits, il est temps de se souvenir, avec Emile Benveniste, que « Penser, c'est manier les signes de la langue », et non pas les tordre dans le sens de ses envies, de ses élans militants ou de ses préjugés.
Tandis que l'Europe commémorait les 30 ans de la Chute du Mur, avec des amies originaires d'ex pays de l'Est, nous avons eu l'idée de créer ensemble une série de textes courts proposant un panorama de nos jeunesses de l'autre côté du Mur. L'imaginaire occidental sur ce qu'a été ce monde disparu est très empreint de ce qu'ont donné à entendre les dissidents des années 1950, 1960, 1970 : l'absence de liberté, l'empêchementâ€- Sans nier les pans sombres de cette histoire, il y a aussi, peut-être, une autre histoire à mettre en lumière: celle de l'égalité inscrite dans la loi et souvent dans les faits, celle de l'égalité salariale et d'accès à l'emploi, celle de l'accès à l'avortement plusieurs décennies avant beaucoup de pays de l'Ouest, celle des mythologies communistes construites sur des figures de femmes combattantes... qui ont inspiré nos parcours et nos engagements dans les pays où nous avons choisi de vivre.
Belgrade, années 1970. Milena, une jeune scénariste, entame une relation épistolaire avec Sam, l'un des deux Américains qu'elle a rencontrés lors d'un séjour à Paris. Berlin, années 1930. Clara, fille unique d'un couple d'avocats juifs et Lily, sÅ?ur aînée d'une famille ouvrière, se rencontrent et tentent de s'aimer. France, 2020. En plein confinement, une romancière parisienne endeuillée reçoit une cantine remplie des lettres de Milena. Sonia RistiÄ?, par son talent de conteuse, noue pour le lecteur les liens translucides qui traversent les siècles. Liens d'amour, liens de folie, liens de liberté farouche, liens d'écriture ou de création. Elle recrée ce que la mémoire et le temps ont effacé. Dans cette Chambre à soi moderne, elle tisse un fil entre ces femmes mues par leur indépendance, leur créativité et leur fière détermination à vivre un amour qui soit à la hauteur de leur liberté.
La notion d'extrémisme est une notion confuse. Censée permettre une classification, elle est surtout une diabolisation de l'adversaire. Mais ce terme polémique oublie souvent de décrire ce qu'il considère comme le Mal absolu. Il faut donc s'efforcer de dissocier, dans le discours politique, les réactions passionnelles et les réflexes idéologiques des menaces objectives, ce qui n'est guère facile. Les incarnations de la condamnation pour extrémisme sont nombreuses - « radical », « ultra- », « fasciste », « populiste » - et permettent souvent à peu de frais de s'exonérer de la description politique elle-même.Pour reconstruire la catégorie d'extrémisme et la rendre opératoire dans l'analyse des attitudes et des comportements politiques contemporains, il faut supposer l'existence d'une connexion entre trois composantes :
1° la légitimation de la violence comme méthode de résolution des problèmes politiques ;
2° l'intolérance et le sectarisme ;
3° le fanatisme, impliquant l'intransigeantisme, le manichéisme et le jusqu'au-boutisme, qui supposent de placer la défense de la Cause au-dessus de tout.
Alors peut-être pourra-t-on redéfinir un horizon politique désirable par-delà les extrémismes en tout genre qui brident nos libertés. Car on devrait pouvoir concevoir des limites légitimes et respectables en sortant du cercle des extrémismes.
Que désigne-t-on par l'anglicisme « cancel culture » ? S'agit-il seulement d'une « culture de l'effacement », selon la francisation recommandée par l'Académie française ? L'histoire de la cancel culture depuis son émergence dans les mouvements progressistes américains de défense des minorités, mise en perspective dans une histoire plus large de la censure des opinions et des oeuvres, permet de comprendre les dangers qui menacent aujourd'hui, en France, le débat d'idées et l'art. L'expression « cancel culture » peut bien avoir un usage polémique, elle n'en décrit pas moins une réalité : celle d'une culture de la censure qui est en train de s'instaurer sous nos yeux au nom des meilleures intentions.
Un ancien légionnaire est hanté par le souvenir de son camarade M, tombé au combat. Reclus et marginal, traumatisé par la guerre, il exprime désormais sa colère à travers une peinture apocalyptique. Son ami disparu, grand humaniste victime de la folie des hommes, est devenu sa muse. Nous sommes au seuil des années 2020 et, tandis que le marché de l'art bat des records, l'explosion des data-centres, l'émergence des fonds indiciels et l'hypertrophie des réseaux sociaux bousculent les grands équilibres financiers. La rencontre avec un mystérieux et puissant mécène ouvre bientôt à l'artiste les voies d'un succès phénoménal. Contraint à sortir de sa retraite mais révolté par la marche du monde, il pourrait utiliser sa colère, son influence et la folie des algorithmes au service d'un idéal. Au prix de quel cataclysme ? La Colère selon M est un thriller singulier qui entremêle habilement des enjeux contemporains éthiques, artistiques et financiers.
Qu'est-ce qu'une idéologie ?
Entre savoir et croyance, les idées qui constituent notre environnement mental ont une pertinence politique.
Le cadre de pensée qui surgit aujourd'hui semble remettre radicalement en cause « le monde d'avant ». Déconstruction du réel, post-humain, nouvelles identités dites « de genre », « décolonialisme » sont quelques-uns des thèmes où l'on voit à l'oeuvre des ambitions utopiques d'inspiration marxiste transposées dans les moeurs. La volonté de créer un « homme nouveau », la déconstruction de la nation et de la citoyenneté remettent en cause une démocratie qui dépend soudain de sa validation par les médias et les réseaux sociaux. Sous le manteau d'un anti-pouvoir, ce sont bien de nouveaux pouvoirs totalitaires qui émergent de manière incontrôlée. Avec la précision méthodologique du sociologue, Shmuel Trigano analyse comment ces différentes configurations idéologiques s'articulent en un tout cohérent et reflètent les intérêts d'une base sociale. L'enjeu : cartographier le postmodernisme comme forme de pensée qui échappe à notre conscience.
Le Ballet des retardataires est le témoignage unique d'une des rares Européennes à avoir pénétré le monde ultra fermé et traditionnel du taïko au Japon, et la première à avoir séjourné dans l'école la plus secrète et la plus fermée du Japon.
Jeune Française n'ayant jamais voyagé, elle arrive pleine de naïveté dans un monde aux règles incompréhensibles, à la discipline quasi militaire et où personne ne parle anglais. Aux entraînements, succèdent incompréhension chronique, fatigue extrême, typhons, tremblements de terre et fantômes. L'héroïne distingue de plus en plus mal la réalité du fantasme et emmène le lecteur vers cette frontière flottante où la réalité et le rêve se chevauchent.
Roman initiatique sur les transformations intérieures que peut provoquer le choc des cultures, l'héroïne s'y révèle à elle-même tandis qu'elle fait découvrir au lecteur une facette méconnue du Japon. Le Ballet des retardataires est en effet un témoignage unique sur l'art du tambour japonais traditionnel.
Le récit progresse au rythme des journées sans fin de l'apprentie, teinté d'une étrange poésie et d'un humour truculent. Le livre devient alors une sorte de partition, hommage au taïko, si méconnu en Europe.
Le Ballet des retardataires ne se lit pas, il se déguste comme un bonbon, succulent, coloré et piquant.
Ai Weiwei est un artiste contemporain polyvalent : sculpture, installation, photographie, performance et architecture sont quelquesuns de ses moyens d'expression. Il est également l'un des artistes les plus influents au monde et un réalisateur de documentaires engagé.
Son oeuvre toute entière alerte sur les attaques contre la démocratie et la liberté d'expression, les violations des droits de l'Homme et les déplacements de personnes.
Ce recueil de citations illustre l'éventail et la profondeur des réflexions d'Ai Weiwei sur notre humanité et sur les migrations de masse, questions qui l'occupent depuis des décennies. Les mots d'Ai Weiwei témoignent d'une urgence profonde. Ils témoignent aussi d'un rôle impérieux que peut avoir l'art pour donner une voix aux sans-voix.
En 1976, à Hong Kong, Tiziano Terzani rencontre un devin qui le met en garde : « Ne prends surtout pas l'avion en 1993 ! » Seize années plus tard, le 31 décembre 1992, il décide de respecter la prophétie.
Pendant un an, il voyage en train, en bateau, en bus ou à dos d'éléphant, et redécouvre une Asie que le voyageur pressé ne connaît plus.
Cette année sans prendre les airs est le prétexte pour brosser l'un des tableaux les plus riches et les plus vivants jamais peints de l'Asie, de sa culture propre, de sa spiritualité et de ses peuples.
Avec lui, on suit la chasse aux esprits dans les ruelles de Bangkok, l'hystérie géomancienne des généraux birmans, les pelotons d'exécution des khmers rouges au Cambodge, et l'on découvre un continent aux prises avec ses propres démons.
Écartelée entre une modernisation à travers laquelle se dessinent les prémices de la mondialisation et des cultures ancestrales souvent garantes du lien social, c'est une zone du monde en pleine mutation où nous entraîne l'auteur.
Dans chaque pays visité, Terzani va aussi à la rencontre de nouveaux devins, une façon de jouer avec le prétexte même de son périple et de confronter la prédiction initiale aux dires de nouveaux prophètes, pas toujours très inspirés, mais c'est surtout une façon d'approcher comme personne avant lui la spiritualité propre à ce continent si fascinant.
Souvent comparé à Kapuscinski, à Bruce Chatwin ou à Nicolas Bouvier, Terzani signe ici un très grand livre.
Une petite vie nous invite à un voyage hors des sentiers battus et des représentations que l'on peut avoir de la littérature afghane.
L'auteur y met en scène un monde, en l'occurrence un café, dans lequel la réalité et l'imagination se mêlent. Un monde dans lequel le lecteur est invité à prendre un taxi imaginaire et à entamer un voyage vers une destination énigmatique. Dans ce café-monde, on peut croiser une musique triste, une musique joyeuse, voir une aventure advenir en un rien de temps, et le silence soudain s'installer. Comme un tableau où l'on pourrait pénétrer sans trop se demander où se trouvent les frontières entre le rêve et la réalité.
Et si la réalité n'était que le fruit de notre imagination ?
Ton fils Huckleberry Finn est une odyssée fluviale de 24 heures à la recherche d'un père disparu. Un père qui a voulu bien faire en revenant d'Australie pour passer un peu de temps avec son fils sur la Save, ce fleuve mythique des Balkans. Mais où donc est-il passé ? S'est-il blessé en pêchant ? A-t-il pris la tangente une fois de plus ? A-t-il été victime des psychotropes que son fils lui fait ingérer pour alléger ses souffrances ? Commence alors une exploration hallucinée où l'on croise dans les méandres du fleuve un contrebandier slave au surnom anglais, un vidéaste japonais embarqué dans une croisière sans destination ou encore un grand amour perdu.
Déclaration d'amour d'un petit garçon qui ne veut pas grandir à une rivière autant fantasmée que réelle et à un pays disparu, récit expérimental d'un documentaire en train de se faire (et surtout de se défaire), réflexion sur l'exil et sur les malentendus intergénérationnels, Ton fils Huckleberry Finn embarque son lecteur dans un voyage à l'ironie douce-amère sur les rives d'un fleuve au cours tumultueux. Une sorte de Lost in la Sava facétieux et jubilatoire.
Tomas Fischer, docteur en psychologie et chauffeur-routier, part se réfugier dans une ville isolée et lointaine après la mort de sa femme et de ses deux enfants. Il s'installe à Lasciate où la vie semble à l'arrêt : on s'y ennuie beaucoup, les voitures roulent au ralenti et l'alcool y est en apparence interdit.
Tomas entame une nouvelle vie, clandestine, dans les marges de Lasciate, où son statut interlope lui permet de rendre bien des services. Mais Lasciate n'est pas une ville comme les autres, même si les politiques menées ressemblent à celles que l'on observe partout. Car un secret inouï distingue ses citoyens du commun des mortels.
Après une enfance albanaise durant laquelle les minijupes des animatrices de la télévision italienne résument à ses yeux la vie en Occident, Gazmend Kapllani franchit un jour la frontière grecque dans l'espoir d'une vie meilleure.
Mais la Terre Promise ne lui réserve pas l'accueil amical auquel il s'attendait : nulle speakerine légèrement vêtue en signe de bienvenue, et pas la moindre trace d'un sourire bienveillant sur les visages des autochtones. Parqué dans un centre de rétention pour immigrés, il commence à entrevoir la dure réalité de la condition qui sera désormais la sienne. Lui et ses camarades albanais bâtissent dans leurs rêves un futur en Grèce où le travail leur apporte succès et fortune, un futur qui restera à l'état de chimère pour la plupart d'entre eux.
L'absurdité de ces châteaux en Espagne comme celle de leur condition n'en rend leur quotidien que plus cruel. Avec autant de recul que d'engagement, d'humour que d'indignation, Kapllani entremêle le récit de son expérience à une méditation sur ce qu'il appelle " le syndrome des frontières ", pour composer un premier livre d'une acuité et d'une vigueur extraordinaires. Aussi lucide et drôle dans le récit de la vie ordinaire sous la dictature d'Enver Hodja en Albanie que dans celui de la condition des immigrés en Europe occidentale, Gazmend Kappllani livre ici un texte essentiel.
Tout commence par une histoire d'amour vouée à l'échec avant même ses prémices. La relation passionnelle que partagent un peintre ukrainien et la narratrice constitue une métaphore de l'Ukraine du XXIe siècle. L'héroïne d'Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous raconte la chute de l'URSS et du modèle soviétique qui a donné naissance à l'Ukraine indépendante, mais qui a également laissé dans ce pays une fracture et un traumatisme encore béants. A travers ses tentatives d'émancipation, la narratrice cherche à comprendre la force d'une identité et l'importance de se détacher du passé. Ce travail de deuil ne renvoie pas seulement au fait d'être ukrainien, mais au fait de se retrouver à genoux sous le poids d'une culture allogène. Oksana Zaboujko, dans cette fiction partiellement autobiographique, fait vivre cette langue et cette culture qui flotte dans la « non-existence ».
Le corps d'une femme devient ainsi la métaphore d'un pays, de sa culture et de ses racines. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous donne de précieuses clés pour comprendre ce que signifie être humain, dans toute sa poésie et sa conscience.