En 1967, Tiziano Terzani obtient une bourse pour étudier les affaires internationales et le chinois à l'université Columbia. C'est la première fois qu'il se rend en Amérique et, à trente ans, Terzani écrit chaque semaine pour le magazine L'Astrolabio sur les États-Unis, révélant pour la première fois son extraordinaire instinct de grand-reporter.
Ce recueil des articles écrits durant ce séjour américain retrace non seulement les premiers pas d'un reporter de légende, mais témoigne de cette période dense, riche et tumultueuse de la fin des années 1960 aux États-Unis, vue à travers le regard d'un jeune idéaliste. Terzani expose en profondeur les interrogations sociétales, politiques et intellectuelles qui traversent les États-Unis d'alors, dans des textes d'une étonnante actualité.
En plein mouvement pour les droits civiques et tandis que la guerre du Vietnam suscite une opposition croissante, Terzani est aux premières loges pour décrire les failles qui lézardent la politique américaine, dont certaines sont toujours aussi vives. Il faut dire que l'époque est riche en convulsions, avec les assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, les manifestations pour la Paix, l'émergence du mouvement du Black Power...
Terzani sent qu'une crise de valeurs s'est déclarée à la mort de John F. Kennedy, lourde de conséquences sur la politique et l'équilibre des pouvoirs. Les passages sur la manipulation de l'opinion publique, le poids du complexe militaro-industriel et les motivations financières des guerres notamment, qui ne sont pas sans rappeler les conflits ultérieurs d'Irak ou d'Afghanistan, sont d'une d'une lucidité et d'une précision stupéfiantes. Alors qu'on célèbre les 60 ans de la « marche pour les droits civiques », ce livre est une analyse sur le vif d'une époque de bouillonnement intellectuel et politique dont les turbulences sont à la racine des remous d'aujourd'hui.
Es Doux traite d'une des périodes les plus traumatiques de l'histoire récente de la Bulgarie : le coup d'État du 9 septembre 1944 et les répressions politiques qui s'ensuivirent. Il analyse la transformation pathologique d'une personne située à l'épicentre de la terreur et devenue son instrument.
À partir de sources historiques, Igov a construit le roman d'un « petit homme » dont l'heure est venue : le personnage d'Emil Strezov, un jeune poète marginal et prolétaire de province qui, dans une dynamique époustouflante, devient d'abord un suiveur, puis un « cadre » et accusateur hâtif au service du nouveau régime et de sa terreur. Cette histoire faite de culpabilité et d'expiation est brillamment présentée du point de vue de gens ordinaires. Comme un choeur antique, ils racontent et commentent ce qui se passe « au nom du peuple ». Et notamment comment, sous couvert d'idéologie, on laisse libre cours à des complexes, des phobies et des ambitions malsaines qui font basculer de nombreuses destinées humaines.
Composé d'habitants d'un quartier de Sofia insensibles à la démagogie et dubitatifs face aux promesses d'un avenir radieux, ce choeur souligne la duplicité du nouveau régime à ses débuts.
Les Doux est un roman passionnant, éclairant et universel sur la mécanique révolutionnaire.
Le 8 mars 1421, la plus grande flotte que le monde avait jamais vu quitta les côtes chinoises.
Ces immenses vaisseaux étaient commandés par les fidèles amiraux eunuques de l'empereur zhu di. ils avaient ordre de naviguer jusqu'aux confins de la terre. ces voyages allaient durer deux ans. avant le retour de la flotte, la chine allait entrer dans un grand isolement appelé à durer plusieurs siècles. de ce fait, personne ne célébra ces exploits. on laissa dépérir les vaisseaux et détruire les archives de ces extraordinaires expéditions.
On oublia ainsi que les chinois avaient fait le tour du monde un siècle avant magellan, découvert l'amérique 70 ans avant colomb et l'australie 350 ans avant cook. les révélations de gavin menzies tout au long de 1421 sont à couper le souffle. pas à pas, il reconstitue l'histoire des cartes maritimes, des planisphères et de la navigation dans une enquête au long cours qui l'amène à des conclusions absolument édifiantes : contrairement à des idées reçues vieilles de plus d'un demi-millénaire, les grands " découvreurs " n'ont sans doute rien découvert du tout !
"Le récit des Petites fées de New York démarre avec Morag et Heather, deux petites fées hautes de cinquante centimètres, portant épéé, kilt vert et cheveux mal teints, qui volettent par la fenêtre du pire violoniste de New-York, un type antisocial et obèse nommé Dinnie, et vomissent sur sa moquette. Qui sont-elles et comment sont-elles arrivées à New-York, et en quoi tout cela concerne-t-il l'adorable Kerry, qui vit dans l'immeuble d'en face, est atteinte de la maladie de Crohn et confectionne un alphabet des fleurs, et en quoi tout cela concerne-t-il les autres fées (de toutes nationalités) de New-York, sans oublier les pauvres fées opprimées de Grande-Bretagne, voilà le sujet du livre. Il contient une guerre, ainsi qu'une mise en scène fort inhabituelle du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, et des solos de guitare de Johnny Thunders des New York Dolls. Que peut-on demander de plus à un livre ?" (Neil Gaiman)
Depuis dix ans, les Athéniens et les Spartiates sont en guerre. La déesse Athéna, lasse de voir son peuple se battre, décide d'envoyer à Athènes Brémusa, redoutable amazone peu encline au dialogue, et Métris, nymphe dont le seul pouvoir est de faire apparaître où bon lui semble des marguerites et des boutons d'or. C'est donc ce duo improbable qui se voit chargé d'une mission capitale : faire en sorte que la conférence de paix qui doit se tenir à Athènes aboutisse à un succès.
La Paix, c'est justement la pièce que monte au même moment Aristophane, et il se pourrait bien qu'elle joue un rôle décisif dans l'accomplissement de la mission de Brémusa et Métris. Mais encore faudrait-il pour cela qu'il parvienne à la monter, car entre ses rivaux dramaturges qui monopolisent toute l'attention des citoyens, l'aspirant poète qui lui colle aux basques, l'incapacité de ses acteurs à retenir ne serait-ce qu'une réplique, et son propre mécène qui semble avoir été piqué par la mouche de la radinerie, Aristophane ne s'en sort pas.
D'autant que chez les généraux des deux camps, la paix semble loin de faire l'unanimité... Mêlant les mouvements d'humeur de dieux tatillons, les débats politiques qui rappellent furieusement ceux du xxie siècle et les coups bas dans les coulisses d'un théâtre, Martin Millar compose une farce spirituelle et fort à-propos sur une Grèce antique aux prises avec des maux qui sont aussi ceux de notre temps.
Ai Weiwei est un artiste contemporain polyvalent : sculpture, installation, photographie, performance et architecture sont quelquesuns de ses moyens d'expression. Il est également l'un des artistes les plus influents au monde et un réalisateur de documentaires engagé.
Son oeuvre toute entière alerte sur les attaques contre la démocratie et la liberté d'expression, les violations des droits de l'Homme et les déplacements de personnes.
Ce recueil de citations illustre l'éventail et la profondeur des réflexions d'Ai Weiwei sur notre humanité et sur les migrations de masse, questions qui l'occupent depuis des décennies. Les mots d'Ai Weiwei témoignent d'une urgence profonde. Ils témoignent aussi d'un rôle impérieux que peut avoir l'art pour donner une voix aux sans-voix.
En août 1991, Tiziano Terzani navigue sur le fl euve Amour en Sibérie lorsqu'il apprend la nouvelle du coup d'État qui vient de renverser Gorbatchev à Moscou. Il se lance aussitôt dans un long périple qui le mène pendant plus de deux mois à travers la Sibérie, l'Asie centrale et le Caucase jusqu'à Moscou, la capitale de ce qui est en train de devenir la nouvelle Russie. Conçu à l'origine comme une exploration des confi ns orientaux de l'empire soviétique, ce voyage se transforme peu à peu en un voyage vers la fi n du monde et de l'époque soviétiques.
Cet ouvrage, constitue, 30 ans après la chute de l'URSS, un témoignage de première main sur l'une des transformations les plus radicales qu'ait connue cette partie du monde. Via une galerie de portraits hauts en couleur, la redécouverte de peuples oubliés et de minorités isolées ou un panorama de villes de légende où les vestiges du passé sont parfois balayés en quelques jours, Terzani compose l'oraison funèbre du communisme soviétique et un des grands récits de voyage à la Bruce Chatwin, Nicolas Bouvier ou Ryszard Kapuscinski.
Bonne nuit, Monsieur Lénine analyse non seulement les contradictions du communisme, mais aussi celles du capitalisme sauvage qui le remplace. De Samarcande à Boukhara, d'un souk poussiéreux à un kibboutz sibérien, Tiziano Terzani possède cette capacité unique de décrire la réalité pour ce qu'elle est, sans idéologie ni parti-pris. Avec lui on se passionne pour le sort des Ouzbeks, des Turkmènes, des Kirghizes, des Tadjiks ou des Arméniens. Avant beaucoup d'analystes, Terzani observe le réveil des nationalismes et de l'islamisme sur les cendres encore chaudes du colonialisme soviétique. Une immersion fascinante pour comprendre le passé et peut-être surtout entrevoir l'avenir géopolitique du territoire qu'on appelait autrefois l'URSS.
Une petite vie nous invite à un voyage hors des sentiers battus et des représentations que l'on peut avoir de la littérature afghane.
L'auteur y met en scène un monde, en l'occurrence un café, dans lequel la réalité et l'imagination se mêlent. Un monde dans lequel le lecteur est invité à prendre un taxi imaginaire et à entamer un voyage vers une destination énigmatique. Dans ce café-monde, on peut croiser une musique triste, une musique joyeuse, voir une aventure advenir en un rien de temps, et le silence soudain s'installer. Comme un tableau où l'on pourrait pénétrer sans trop se demander où se trouvent les frontières entre le rêve et la réalité.
Et si la réalité n'était que le fruit de notre imagination ?
Ces trois textes font partie d'un cycle de nouvelles dont le personnage récurrent est un chien.
Le chien, le maître ainsi que ses parents proches débute par une transgression lorsque Köntho met à la porte sa mère afin d'accueillir sa jeune épouse. Scandalisés, les anciens s'offusquent et le traitent de « chien ». Köntho rétorque qu'il est en effet la réincarnation d'une « chienne rouge ». Chacun se souvient alors d'événements traumatisants survenus une vingtaine d'année plus tôt : un cas de rage avait conduit les autorités à tuer tous les chiens. Un aller-retour entre les excès sanguinaires de la Révolution culturelle et ces minuscules péripéties constituent le fil du récit.
Journal de l'adoption d'un hapa tend vers le fantastique grotesque en mettant en scène un narrateur, petit fonctionnaire, et un pékinois doué de parole, le hapa. Ayant délaissé son précédent maître, ce chien est adopté par le narrateur qui l'emploie dans son service. Il manigance alors pour grimper dans la hiérarchie. La très fine description d'une société où les luttes de pouvoir, l'hypocrisie et la flagornerie sont omniprésentes donne toute sa saveur à ce récit.
Dans Le vieux chien s'est soûlé, le narrateur est un enfant dont la famille vit de l'élevage de moutons. Fils unique, il devra succéder au père, ce qui rend dispensable sa présence sur les bancs de l'école. Si l'intrigue est ténue (l'enfant veut sauver son chien), le texte oppose habilement les manipulations des adultes à la fraîcheur un peu rouée de l'enfant qui pointe les contradictions des grandes personnes et les travers d'une société où cupidité et impératif de « développement économique » n'épargnent rien ni personne.
On pourrait voir en Tagbumgyal un écrivain réaliste s'autorisant quelques touches de fantastique. Mais dans son univers, parler des chiens, c'est parler des hommes. De fait, il a un sens aigu de l'observation.
La narration est imagée, portée par une écriture cinématographique, des détails où perce son humour. Ni héros ni épopée ici, mais des sentiments étriqués, des situations ridicules, de petites lâchetés ou des trahisons ordinaires pour révéler les rouages néfastes d'une société où seuls l'exercice du pouvoir et les intérêts particuliers prévalent. Ces faits et gestes peuvent se mêler au cours de l'histoire, comme dans Le chien, le maître ainsi que ses parents proches, mais c'est pour mieux en souligner le caractère dérisoire. Car Tagbumgyal est avant tout un écrivain, non un idéologue. Sa subjectivité ne laisse dans l'ombre rien de la nature humaine ; sa critique de la religion est indulgente, son observation de la société malicieuse, et l'histoire tragique de son pays n'est évoquée qu'au moyen d'une distance ironique. C'est par cet art de l'ambiguïté que Tagbumgyal laisse toute liberté d'interprétation au lecteur.
Ton fils Huckleberry Finn est une odyssée fluviale de 24 heures à la recherche d'un père disparu. Un père qui a voulu bien faire en revenant d'Australie pour passer un peu de temps avec son fils sur la Save, ce fleuve mythique des Balkans. Mais où donc est-il passé ? S'est-il blessé en pêchant ? A-t-il pris la tangente une fois de plus ? A-t-il été victime des psychotropes que son fils lui fait ingérer pour alléger ses souffrances ? Commence alors une exploration hallucinée où l'on croise dans les méandres du fleuve un contrebandier slave au surnom anglais, un vidéaste japonais embarqué dans une croisière sans destination ou encore un grand amour perdu.
Déclaration d'amour d'un petit garçon qui ne veut pas grandir à une rivière autant fantasmée que réelle et à un pays disparu, récit expérimental d'un documentaire en train de se faire (et surtout de se défaire), réflexion sur l'exil et sur les malentendus intergénérationnels, Ton fils Huckleberry Finn embarque son lecteur dans un voyage à l'ironie douce-amère sur les rives d'un fleuve au cours tumultueux. Une sorte de Lost in la Sava facétieux et jubilatoire.
Un roman naturel avait été salué par la critique internationale comme l'un des meilleurs romans postmodernes européens dont la structure ouverte et libre, l'écriture fragmentée et ludique se révélait être particulièrement propice à allier les contraires : imbrication de la mémoire collective (celle du socialisme) et de la mémoire individuelle (celle du monde de l'enfance) ; de la nostalgie et de la dérision par l'ironie, dans une quête du « moi » longtemps sacrifié au nom de l'édification collective d'un nouveau modèle de société mais qui se révèle n'avoir de sens qu'en tant que maillon d'une autre grande chaîne collective, celle qui le rattache à l'histoire d'un peuple et à l'histoire mondiale.
Physique de la mélancolie, roman-labyrinthe, apparaît comme un prolongement et un dépassement longuement et patiemment mûri de cette quête du moi qui englobe tous les autres « moi », et ce, dès le tout début du roman, dans son prologue qui déclare : « Je sommes nous. » Dans ce labyrinthe (celui des histoires, mais aussi celui du Minotaure, alter ego du narrateur) Guéorgui Gospodinov pousse plus loin cette démultiplication des « je ». Que de non-vécu, de manqué, de passé à côté, de laissé de côté dans une existence ! De multiples fils d'Ariane relient ce moi incomplet d'ici et maintenant aux autres « moi » d'autres lieux et d'autres époques, humains, animaux ou plantes le trans¬formant en un moi collectif, empathique, qui lui permet de traverser les âges et d'entrer tour à tour dans les histoires et les corps de son grand-père dans la Hongrie de 1945, du Minotaure, de Guéorgui Gospodinov dans la Bulgarie communiste et post-communiste de 1968 à 2011, d'une mouche à vin, d'un nuage de printemps, d'une perdrix, etc.
Avec l'enfance prend fin l'empathie. Le moi collectionne, « achète » alors les histoires d'autrui, encapsule le temps. Pour retarder la fin du monde. Pour ne pas oublier. Ce que l'on oublie habituellement, le périssable, l'éphémère, le quotidien, l'oublié par la « Grande Histoire », le Minotaure. Parce que le sublime est partout, même dans « l'architecture, la physique et la métaphysique de la bouse de buffle ». Parce que le passé est le seul futur possible. Car, si l'imbrication de l'Histoire et des histoires personnelles, la mélancolie suscitée par l'impossibilité de communiquer vraiment entre les êtres, traversent l'oeuvre de Gospodinov, elle est également « imbibée » du sentiment des apocalypses à venir.
Dans cette quête de l'universel par le prisme du personnel, en dépassant le national, quoi de plus partagé, en ce début de XXIe siècle, que le sentiment de crise et la mélancolie qui en résulte ? Et pour conjurer la mélancolie, il faut la raconter. L'architecture du roman, labyrinthe dynamique, fragmenté, qui collectionne histoires, listes, catalogues, carnets et énumérations, nous place, comme le narrateur, à la veille d'une fin, d'une apocalypse, qui peut se révéler infinie. Physique de la mélancolie s'inscrit ainsi dans la poétique du divers et de la relation développée par Édouard Glissant : à la conception de « l'identité à racine unique et exclusive de l'autre » véhiculée dans de nombreux textes d'écrivains des Balkans porteurs d'une esthétique exotisante et foklklorisante, Glissant oppose une autre notion d'identité « comme rhi¬zome », c'est-à-dire « non plus comme racine unique mais comme racine allant à la rencontre d'autres racines. » Une identité-relation.
Tout commence par une histoire d'amour vouée à l'échec avant même ses prémices. La relation passionnelle que partagent un peintre ukrainien et la narratrice constitue une métaphore de l'Ukraine du XXIe siècle. L'héroïne d'Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous raconte la chute de l'URSS et du modèle soviétique qui a donné naissance à l'Ukraine indépendante, mais qui a également laissé dans ce pays une fracture et un traumatisme encore béants. A travers ses tentatives d'émancipation, la narratrice cherche à comprendre la force d'une identité et l'importance de se détacher du passé. Ce travail de deuil ne renvoie pas seulement au fait d'être ukrainien, mais au fait de se retrouver à genoux sous le poids d'une culture allogène. Oksana Zaboujko, dans cette fiction partiellement autobiographique, fait vivre cette langue et cette culture qui flotte dans la « non-existence ».
Le corps d'une femme devient ainsi la métaphore d'un pays, de sa culture et de ses racines. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous donne de précieuses clés pour comprendre ce que signifie être humain, dans toute sa poésie et sa conscience.
Un roman naturel est le premier grand roman de la génération des années 1990, comme on appelle en Bulgarie la génération de la rupture. Traduit dans près de vingt langues, maintes fois réédité, il catapulte son auteur sur le devant de la scène littéraire et devient l'oeuvre fondatrice du postmodernisme bulgare.
L'enjeu d'Un roman naturel tient dans l'impossibilité de raconter du début à la fin et dans l'ordre chronologique une expérience personnelle douloureuse et indicible, en l'occurrence un divorce, après que la femme du narrateur lui annonce être enceinte d'un autre homme.
C'est donc l'histoire d'un homme qui se sépare de sa femme - et de ses chats. C'est l'histoire d'un homme qui voudrait vivre quelques jours en clochard afin de pouvoir raconter l'histoire d'un type qui, pour écrire un roman dont le héros est un clochard, s'est fait clochard lui-même.
C'est une histoire du monde vue du point de vue des mouches - un récit aux mille facettes qui démultiplient ce que nous appelons la réalité ; c'est une histoire des toilettes, publiques et domestiques, haut lieu de la dissidence à l'époque du communisme ; c'est un roman drôle et nostalgique à la fois dans lequel son auteur confie :
« J'aimerais que l'on dise : Ce roman est beau parce qu'il est tissé de doutes. »
Pendant les années 1980, dans une petite ville de la République socialiste tchécoslovaque, Karolína approche de l'adolescence dans une famille pas comme les autres. Pour fuir une mère obnubilée par ses nombreux petits amis et une grand-mère qui porte un couteau sur elle en permanence, Karolína rejoint dès qu'elle le peut un centre équestre à la périphérie de la ville. Là, elle se lie d'amitié avec Romana, une fille avec une jambe plus courte que l'autre, et avec Matilda, une cavalière et formatrice qui aide les deux filles à se dépasser. Ensemble, elles forment bientôt une équipe de voltige équestre détonante, tandis que l'univers de Karolína s'élargit avec la découverte de Pink Floyd, du tabac et, surtout, d'un talent secret :
Une aptitude à voir au plus profond de l'âme des autres. C'est alors que la fin du bloc de l'Est et l'irruption soudaine de l'économie de marché vont bouleverser ce fragile équilibre.
L'Écuyère est un roman poétique et caustique sur l'adolescence.
C'est aussi une évocation spasmodique et rebelle de la double révolution à laquelle une jeune fille pleine de rêves et un pays tout entier sont soumis au même moment.
Karl et Frederick sont deux frères nés à Ters, une ville imaginaire d'Albanie qui cristallise à merveille l'histoire chahutée des Balkans.
À la mort de leur père, un fervent stalinien qui a baptisé ses deux fils en l'honneur de Marx et d'Engels, Karl doit revenir à Ters, où il n'a pas mis les pieds depuis plus de deux décennies.
Les deux frères sont brutalement confrontés à leurs différences et à leurs visions antinomiques du passé, du présent et du futur.
Karl, le fils frondeur, a coupé les ponts et émigré pour devenir écrivain. Frederick, lui, n'a jamais quitté Ters et s'est toujours plié aux convictions paternelles et aux dogmes de la patrie.
Tandis que Karl tente de faire la lumière sur le passé de sa famille et de cet étrange territoire, Frederick préfèrerait tout ensevelir dans une omerta mêlée d'oubli. La trajectoire de chacun des deux frères entraîne le lecteur à travers les spasmes de l'Europe du XXe siècle sur deux continents.
Gazmend Kapllani, l'une des voix les plus précieuses de la littérature européenne, a composé avec Le Pays des pas perdus un roman à couper le souffle. Cette odyssée tourmentée sur les braises de l'histoire récente illustre brillamment les dilemmes individuels et collectifs qui traversent l'Europe du XXIe siècle.
Après le désagrégement de l'Union Européenne, dans un pays des Balkans renommé « Patrie populaire », tous les moyens sont bons pour façonner un endoctrinement sévère. Le parti nationaliste au pouvoir instaure un contrôle sectaire : les indésirables sont envoyés dans des camps de rééducation ou bien disparaissent sans laisser de traces, tandis qu'on dépose leurs enfants dans des Maisons du bonheur.
C'est dans cette société hyper technologisée que revient John, ancien journaliste américain, que son ex-femme a appelé à l'aide. Il découvre que Maya, ancienne confrère qu'il aime toujours, a été punie pour ne pas avoir respecté la censure : on lui a enlevé sa fille. Maya vit, depuis, dans la soumission, avec un seul désir : récupérer sa fille en devenant une citoyenne exemplaire.
John va devoir se rapprocher de la Résistance pour tenter de retrouver la fille de Maya (qui est aussi la sienne), n'hésitant pas à sympathiser dangereusement avec les déçus du régime.
Comme dans L'Auberge espagnole, chacun des personnages du Biscuit national a quitté un chez soi pour s'essayer au rêve européen. Mais, si cette génération d'après la chute du mur peut voyager, contrairement à la précédente, y a-t-il vraiment un rêve européen ? Entre Paris, Londres, Helsinki et Budapest, cette génération développe parfois une certaine nostalgie du foyer, mais également une sorte de frustration polymorphe :
- Petra est une étudiante modèle et insouciante qui travaille comme femme de chambre dans un hôtel parisien afin de financer ses études.
- Anka est une amie d'enfance de Petra qui voyage régulièrement en Angleterre comme travailleuse saisonnière.
- Mika est le frère de Petra, qui a transformé son prénom pour mieux s'intégrer en Finlande où il travaille pour une multinationale.
- Natália est l'une des colocataires de Petra. Elle a choisi de partir pour Paris après avoir échoué au concours d'entrée d'une école d'arts en Slovaquie et sert des bières dans un pub irlandais de la capitale.
- Partie étudier à Budapest, Juliana quitte rapidement la cité universitaire pour partager un appartement avec un jeune Français qui travaille sur place.
- Enfin, « Trianon-Delta » tente de circonscrire les contours d'un surprenant triangle amoureux composé d'un Hongrois, d'une Roumaine et d'une Slovaque.
Dimitris Sotakis est un écrivain de l'absurde proche. Proche car ses personnages ont souvent une logique à peine différente de celle de la plupart d'entre nous. En poussant le bouchon à peine plus loin du bord de la conscience, il entraîne ses personnages dans des labyrinthes qui sont autant de pièges que l'existence tend au citoyen d'aujourd'hui.
Dans chacun de ses romans, Sotakis crée un univers débordant de toutes sortes de réalités très concrètes, infimes, terre à terre, et il les développe, les amplifie, les grossit jusqu'à créer un état d'ivresse chez le lecteur semblable à la démesure qui caractérise ses héros. Un grand serviteur est à ce titre un livre remarquable sur la lutte de l'homme avec son moi et l'attribution consciente du bonheur à un « tu ».
Sous des allures de Mariage de Figaro à l'heure des réseaux sociaux, il constitue aussi une réflexion plus profonde qu'il n'y paraît sur la notion de pouvoir.
Bill Carter est un homme à bout de souffle quand il débarque un beau jour à Sarajevo, en pleine guerre. Avec la passion et l'esprit de révolte propres à ceux qui n'ont plus rien à perdre, l'inconscience de la jeunesse et l'aide d'une sorte de cirque humanitaire ambulant aux membres aussi excentriques qu'attachants, il va enrôler dans sa quête l'un des plus grands groupes de rock du monde et, depuis la ville assiégée, donner une voix et un visage sur les écrans du monde entier au drame d'une ville martyre.
Le vieux jardinier d'un couvent du Sud de la France évoque sa jeunesse passée puis son départ pour Jérusalem au sein de la première croisade.
Le récit devient dès lors une chronique de cette expédition. Le héros apprend le maniement des armes et forme un groupe soudé avec quelques compagnons. Au cours d'un affrontement contre les Turcs, la mort de son seigneur, puis de celle de son mentor, le marquent profondément.
Tandis que la culpabilité et la honte commencent à le ronger, il reçoit tous les honneurs pour son apparente bravoure. Fait chevalier, il prend la tête de son groupe de compagnons et mène des opérations militaires audacieuses, tout en se rapprochant petit à petit de la veuve de son seigneur, Titre : Le Pèlerinage qu'il convoite depuis la première fois qu'il l'a aperçue.
Situé dans le village imaginaire d'Hektary, Les Fruits encore verts est un portrait riche, subtil et texturé de la vie rurale dans la Pologne communiste des années 1970 et 1980. Par le regard d'une enfant au seuil de l'adolescence, on pénètre un monde où les superstitions n'ont pas disparu des sovkhozes et où la religion, voire certains rites païens, coexistent avec les directives du parti.
Dans cet univers d'où les hommes sont relativement absents, la solidarité des femmes entre elles s'exerce autour de traditions parfois folkloriques dont Wioletta Greg, tout en nuances et en clair-obscur, peint avec subtilité l'humanité. Malgré ses apparences de bourgade assoupie, à Hektary tout le monde cache des secrets, même les personnages auxquels on donnerait le bon dieu - ou la médaille de Lénine - sans confession.
Discrètement, les ombres allemande et soviétique planent derrière toute l'histoire du village et de la famille de la narratrice. Car les personnages, même les plus secondaires, sont à la fois archétypaux et enracinés dans un moment particulier de l'histoire polonaise récente.
L'écriture de Wioletta Greg, d'une sensualité rare, restitue avec peu d'effets mais sur un rythme extrêmement mélodieux une époque et un monde à la fois si proches et si lointains pour donner naissance à un roman d'éducation en forme de brillant exorcisme.
Les Fruits encore verts a figuré sur la liste du Man Booker Prize International, sur celle du Prix Jan Michalski de littérature ainsi que sur celle du Nike Literary Prize.
Après deux romans labyrinthiques, Guéorgui Gospodinov nous offre un recueil de 103 microfictions environnementales.
Pour l'auteur, « il y a quelque chose de dramatique et à la fois d'apaisant dans les histoires courtes parce qu'elles sont synchronisées avec la brièveté des corps. Elles s'arrêtent soudainement, peuvent être drôles et absurdes, brusques et mal assurées, personnelles et distanciées à la fois. » Ici, le corps du narrateur se fond avec le corps social, le corps animal, le corps floral, sur un ton à la fois tendre et drôle, humoristique et ironique, sensible et méditatif, et d'autant plus empathique que « je sommes nous ».
L'empathie de Gospodinov est avant tout environnementale. En effet : « La littérature est bien trop anthropocentrée. J'aimerais que les humains se taisent parfois afin que l'on puisse entendre la voix de la mouche, de la grenouille, du bambou, du Minotaure et de tout ce qui a droit de cité. »
Une jeune polonaise quitte la capitale pour suivre une cure thermale en province afin de continuer à toucher sa pension d'invalidité. Immergée du jour au lendemain dans un centre thermal public, elle y découvre ses codes, ses incohérences, ses habitués et ses soignants.
Là, il lui faut trouver sa place auprès de ses deux camarades de chambrée, mais aussi parmi les autres pensionnaires de l'établissement, pas toujours tendres envers les nouveaux venus de la capitale.
Le ton malicieux adopté par la narratrice est aussi une stratégie de survie pour la curiste, dont le séjour prend parfois des allures de parcours de l'absurde.
On discerne aussi çà et là une forme de satire contre la piété parfois excessive et inquisitrice de quelques congénères.
Certaines situations la renvoient à ses douze ans, lors d'une précédente cure thermale aux règles particulièrement strictes. La question des rapports entre soignants et soignés est également très prégnante et confère à certains passages une acuité toute particulière.
Le corps, qui même quand il dysfonctionne continue à désirer et à être désiré, devient vite le thème central de ce premier roman virtuose qui pose un regard juste et subtil sur des thématiques universelles à travers la peinture pleine d'humour et d'ironie d'un univers singulier et méconnu.
Je m'appelle Europe témoigne de la vie apparemment ordinaire d'un immigré qui s'immerge dans une nouvelle culture.
C'est le roman d'une renaissance : découverte d'une autre langue, initiation aux sens cachés derrière les mots et expressions les plus banals, exploration de l'étrangeté fondamentale du statut d'immigré dans une société en proie à de nombreux démons, apprivoisement de l'autre au moment de nouer les premiers liens affectifs dans une nouvelle patrie.
Une curiosité insatiable envers tous ceux qui, comme lui, ont dû s'inventer un nouveau moi, un nouveau présent, amène le narrateur à laisser parfois la parole à d'autres migrants, venus des quatre coins du monde, et qui racontent leurs parcours souvent extravagants, la manière dont ils essayent de se retrouver dans leur histoire personnelle, pleins de désespoir, de résignation ou d'énergie.
Les pages de ce roman comptent parmi les plus subtiles qui aient été écrites sur cette expérience si particulière consistant à changer de langue. Je m'appelle Europe confi rme tout le talent que la critique française et étrangère a reconnu à Gazmend Kapllani.
Un talent qui fait de lui l'une des voix les plus précieuses de la littérature européenne contemporaine.