Le poète a tout emprunté : terreau, pelle, gravier- et jusqu'à son vocabulairePuis il a saisi l'épée (un jouetSurgi du passé)Et traversé lesTerres en chantantLes étangs d'est en ouestArrachant par poignées de ses pochesLes pages déchiréesDes cahiers qu'il jetaitEn riant vers le ciel
Les deux volumes que nous avions publiés de son vivant dans la collection Poésie/Flammarion - Poèmes d'été (2000) et Éblouissements (2003) - rassemblaient déjà l'essentiel de son oeuvre poétique mais dans un désordre qui, sans rien avoir de prémédité, ne permettait guère d'en percevoir l'étonnante évolution. Aussi avions-nous imaginé avec elle de les refondre un jour en un seul ouvrage, respectant cette fois-ci la chronologie de son travail. C'est désormais chose faite avec Toute la poésie, qui regroupe l'intégralité de ses poèmes, depuis les plus anciens (Route à trois voix) jusqu'à la Lettre d'amour posthume, en passant bien sûr par ses recueils majeurs. On pourra ainsi mesurer dans sa rigueur et sa logique propre la terrible beauté d'une écriture traversée de bout en bout par un lyrisme sans âge, même s'il est hanté par l'effroi et les désastres de son temps.
Nous n'avons rien faitque de maigres songesdes pas de crabepromenés à genouxpar des ballons dirigeablesnous allions à nuagesdans une île désertequi s'évaporesur le tracé des cartesnous avons faitressembler des figuresà des fuméesdes idéesnous n'avons rien faitd'autre qu'apprendreà nousperdre.
Tout a commencépar une image - mon amoureuseau réveil enfilant ses socquettesnoires - et à l'instant je suis à Vladivostocken pensée ce matin du 15 janvier2020à la fois iciet là-basen vrai ce mois d'avril 2006dans cet hôtel de passage où nous étions faceau Japon - toinue - saufles socquettes - épluchant un pamplemoussej'aurais parié avoir écritque les socquettes étaient blanchesle pamplemousseétait rosecomme les groseilles commeles carafons et pourquoi pas les godillots
Emmanuel Hocquard (1940-2019) est l'un des grands poètes français du dernier demi-siècle : l'un de ceux qui auront contribué à repenser de fond en comble l'écriture poétique, à lui imaginer des formes et des orientations nouvelles. Parmi ses livres majeurs (tous publiés chez P. O. L), citons Les Elégies, Théorie des tables, Un test de solitude, ma haie, Une grammaire de Tanger... L'aventure d'Orange Export Ltd.
Inaugure le parcours d'écrivain d'Emmanuel Hocquard. Fondée au début des années 1970 avec la peintre Raquel, cette minuscule maison d'édition aura joué un rôle souterrain - mais déterminant - en réunissant une constellation de poètes qui devaient s'affirmer comme des auteurs marquants de leur génération. Imprimés à la main (et à peu d'exemplaires) dans l'atelier de Malakoff, ces livres brefs témoignent aussi d'une des dernières inventions collectives de la poésie française, avant sa dissémination actuelle.
Un volume rassemblant l'intégralité des publications d'Orange Export Ltd. , augmentées de divers documents, avait été publié chez Flammarion en 1986. C'est cet ouvrage - épuisé de longue date - que nous republions aujourd'hui à l'identique, tel qu'Emmanuel Hocquard l'avait conçu. Une importante préface de Stéphane Baquey situe l'apport de cette étonnante aventure éditoriale dans l'histoire littéraire contemporaine.
C'est un ouvrage quasiment mythique que la collection Poésie/Flammarion accueille aujourd'hui : parues chez Bourgois en 1980, Les couleurs de boucherie étaient en effet épuisées depuis plusieurs décennies. Il s'agit pourtant d'un des livres majeurs d'Eugène Savitzkaya, composé à la fin des années 1970, parallèlement à ses premiers romans. Avec L'Empire (également repris dans ce volume) on peut même considérer qu'il s'agit de la matrice de toute son oeuvre à venir : une plongée sans précédent, par une écriture à proprement dire envoûtée, dans un univers qui a la pureté, la cruauté, la fulgurance de l'imaginaire enfantin.
Un livre qui n'a rien perdu de sa puissance fondatrice, à redécouvrir d'urgence...
Neige sur google maps Rhodopes traversées 4 jours, brouillard gras à midi avant, ici, les Montagnes étaient filles de la Terre ça ne se voit pas la mythologie n'est qu'une affaire de majuscules pluie, me repliant va-vite dans le local d'une station-service à la source de la ville k-way fluo, gouttes, pièces pour machine, carrelage Tetris, verres en plastique blanc je m'allonge sur le sac et je regarde le néon trouver une grotte et y dormir et coller fatigué front au sol un sanctuaire que j'aurai découvert dans la forêt, froid, plutôt que dans le guide vert je trouverai peut-être un coin où pieuter dans Homère ou Ovide
Héritier du surréalisme international, attaché à ses racines sudistes, Serge Pey se réclame de plusieurs traditions - provençale, amérindienne, anarchiste, sans parler du cante jondo ou de l'hérésie cathare - et d'un archaïsme fondamental : celui du chamanisme sans patrie qui est l'axe central de la poésie telle qu'il la pratique et l'entend.
Le Carnaval des poètes vient s'inscrire comme en point d'orgue au terme de quatre décennies d'écriture et de poésie-action. En faisant défiler une cohorte de chars et de masques grotesques ou graves dans un joyeux chaos temporel, le livre renoue avec une veine satirique qui ne s'interdit ni la louange ni la trivialité, perpétuant la tradition du carnaval où les valeurs s'inversent et où la «bassesse» reprend ses droits pour proférer d'autres mystères. Que la poésie puisse se permettre de semblables fêtes - à l'encontre des cérémonies confites qui la guettent - a quelque chose de rassurant. Même si c'est toujours vers une lumière plus secrète que tendent les flammes noires du poème de Pey.
Et la nuit vient, la fabuleuse, / oui la nuit / pour retrouver / ceux-là qui sont morts / leur corps n'est plus / mais leur pensée / en mots revient / comme des fleurs / vivaces.
La ville autour entre en repos / un cri parfois / le chuintement des pneus / portières qui claquent / façades obscures / et le silence / pour accueillir / les livres de mes morts /
Cécile Mainardi a publié une quinzaine d'ouvrages aériens, d'un lyrisme étrange mais hautement revendiqué, prenant aussi bien en compte les méandres de la syntaxe que les plans alternés du réel le plus contemporain. Rose activité mortelle est paru en 2012 dans la même collection.
« L'Avant-Poésie s'amuse des tentatives des mots à vouloir lui trouver une raison d'être (le poème autorise la connaissance pas l'inverse) [...] J'entre les mains tête lourde n'essuie pas poèmes vide-ordures des passés agonies superposées dans l'autopsie de la nuit pratiquée par d'impropres alphabets tombés sous la coupe de la pensée nécessaire à l'organisation de leurs chroniques contemporaines »
Des poèmes réunis en une douzaine de séquences autonomes traitent de sujets apparemment ordinaires : journées provinciales, défilé des paysages, émois de l'enfance...Mais pris dans leur ensemble, ils obligent à regarder différemment le monde et lui donnent une étrangeté. Une suite de 69 sonnets au centre de l'ouvrage en donnerait la clef.
Dès l'origine l'écriture de Fabienne Courtade tend au plus extrême dépouillement, par le biais d'une méditation qui n'oublie jamais le monde extérieur, ni le travail matériel propre à la poésie contemporaine. Dans ce nouveau chant contrarié - tourné plutôt vers une impossible lumière - la narration s'est encore resserrée, le lexique et l'anecdote se voient ramenés à l'essentiel. Une femme marche dans la ville et se parle à elle-même ou s'adresse à une ombre, évoquant des instants enfuis, une présence obsédante, des paysages estompés. Aucune nostalgie néanmoins ni mélancolie dans ces pages : il s'agit au contraire de capter dans le déroulement des gestes, des trajets, des décors les plus ordinaires, une grâce moins apparente que le temps décidément n'abolit pas. Et que le poème parvient à fixer avec ses outils de langage, dans l'évidence et le mystère qui lui sont propres.
Né en 1982, Pierre Vinclair vit désormais à Singapour, après avoir passé six années à Shanghai. Il est l'auteur de deux précédents ouvrages dans la collection Poésie/Flammarion : Barbares (2009) et Les Gestes impossibles (2013). Il a également publié des essais, deux romans, des traductions (du japonais & du chinois) et anime depuis 2017 la revue de poésie en ligne Catastrophes.
Depuis Décimale blanche (1967), Jean Daive est l'auteur d'une oeuvre énigmatique et dense, qui a marqué le champ poétique contemporain. Crocus succède à Une femme de quelques vies, Onde générale et Monstrueuse, accueillis ces dernières années dans la collection Poésie/Flammarion.
"L'Europe penche. Ses penchants sont irrésistibles. BABORD TRIBORD BABORD TRIBORD. Quoi entre ? Quoi : entre Albrecht Dürer peignant l'insensé signe d'une chute de météorite, et Joseph Beuys au coeur d'un carnaval, ayant écrit au tableau noir " The Brain of Europe " ? Quoi : entre neuf jours d'Aphrodisies à Paphos, et les neuvaines d'un village où les pèlerins venaient en traitement pour leur folie ? Les barges tanguent.
Les bargeots ne sont pas toujours ceux qu'on croise. Les croisés, ils sont livrés à leurs nefs folles. Les mythologies du temps présent se conjuguent avec l'histoire des antiques. Le sel y met un peu de piment. On a localisé le clitoris de l'Europe, pas encore son cerveau. Complètement à l'Ouest ? L'oncle d'Amérique, de retour, pencherait pour. Qu'est-ce que l'Europe, vue du mur à Chypre, gentiment nommé : ligne verte ? Qu'est-ce que l'Europe, vue par les écrivains Jean-Paul de Dadelsen et Denis de Rougemont, qui se mouillent au Centre européen de la Culture ? Quand la confédération européenne devient leurre, Dadelsen fait résonner son poème dans le ventre de la baleine, traduit le livre d'un juge américain, frôle la poète Hilda Doolittle, succombe d'une tumeur au cerveau.
La langue c'est de la lave. C'est fou ce qu'on la préfère refroidie, solidifiée, figée. Parfois de l'énergie s'évade encore de l'encre asséchée : celle de l'énigme atteinte. Qu'y peuvent les arts poétiques ? Mais. Parier sur l'inconnu. Inventer des narrés, avec ligatures et raccords à distance. Bousculer l'ordre causal. Modéliser l'hétérogène. Ne pas nous mener en bateau, ni céder aux vieilles lunes.
Syncrétiser. Croiser les doigts". Patrick Beurard-Valdoye.
Depuis Première apparition avec épaisseur (1986), Esther Tellermann a publié l'essentiel de son oeuvre poétique chez Flammarion. Elle est également l'auteur d'essais et de récits. Le Prix Max Jacob lui a été attribué pour Sous votre nom (Poésie/Flammarion, 2015).
Ces poèmes réécrivent une partie des contes collectés et transcrits par les frères Grimm. Les poèmes proposent moins une paraphrase descriptive qu'une méditation à laquelle chacun des récits retenus l'invite et que sa mise en vers contribue largement à infléchir.
Anne Calas a été comédienne, elle chante aujourd'hui Boby Lapointe, Trenet, Vian... Elle est surtout l'auteure de plusieurs livres inclassables, dont la traversée poétique de Littoral 12 (Poésie/Flammarion, 2014).
Tout au plus une trahison, un oubli/Et que toute langue vulgaire sans doute/L'y contraignit et qu'elle-même en retour/Y fut contrainte quand on l'a mise écrite/Gentille blonde au milieu d'un paysage/Où la tenir éloignée qu'elle reste/Étrangère à toi à moi si j'étais moi/Si opposée dans un monde opposé/Qu'elle parlât seule.
Voilà tu regardes/Un paysage extérieur le monde étrusque.
L'ultime Thulé s'inspire du voyage légendaire de saint Brendan, parti à la recherche des îles les plus reculées, et entraîne son lecteur dans une traversée géographique et temporelle qui témoigne aussi d'une enquête plus inquiète au plus profond de soi. L'invention formelle accompagne et amplifie la rigueur de cette méditation, l'émergence de paysages intérieurs qui sont autant de terres de langage, entre modernité et tradition.
En filigrane, l'auteur propose aussi un jeu de l'oie où l'on peut naviguer à sa guise, sans contredire la visée plus secrète de son périple : la quête d'un graal arctique dont ce poème du XXIe siècle vient prendre le relais dans une langue sans âge, superbement réinventée.
Construit en six sections, ce recueil de poésies prolonge la fresque muette dont«Face devant contre»avait posé les fondations. Il exhume des souvenirs enfouis, dans les décors de Naples, de Lisbonne ou du pays Dogon.