Le pèlerinage à La Mecque, le Hadj, cinquième pilier de l'islam, a toujours été au coeur des préoccupations religieuses mais aussi politiques et économiques des pouvoirs musulmans. Au XIXe siècle, pourtant, il cesse d'être une affaire exclusivement musulmane : ce sont désormais les principales puissances coloniales qui, abritant les pèlerins sur leurs territoires, s'attachent à gouverner ce vaste mouvement humain touchant chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes. Avec la révolution des transports, la masse des candidats au Hadj grossit de façon spectaculaire, faisant de ce rassemblement annuel, un point de contact régulier entre Asie, Afrique et Europe.
Peu à peu, face aux risques épidémiologiques comme aux craintes de voir s'organiser l'opposition aux puissances coloniales, la communauté internationale, alors en son enfance, se mobilise pour assurer un strict contrôle du pèlerinage. Ainsi, si la foi demeure au fondement du pèlerinage, les croyants passent sous le regard attentif d'administrations plus ou moins confiantes et bienveillantes.
L'irruption des sociétés arabes sur le devant de la scène est venue contredire les images convenues de sociétés monolithiques, "bloquées" par le poids des normes religieuses et de l'autoritarisme politique. Cet ouvrage se propose de rendre compte de la diversité de ces sociétés à travers l'analyse de pratiques sociales peu évoquées (aspirations et mobilisations des jeunes, conditions féminines, sexualité, modes de consommation et pratiques de loisirs, expressions religieuses diversifiées...).
C'est en croisant les sources d'Europe et d'Orient, dans une approche globale, qu'est abordée dans cet ouvrage la question sanitaire d'Orient, prise dans la tourmente des enjeux coloniaux, de ceux du nationalisme et de l'internationalisme naissants. Elle donne à voir la façon dont les acteurs des deux rives de la Méditerranée ont fait conjointement l'apprentissage des règles internationales. Elle révèle également les modalités particulières de la médicalisation au Moyen-Orient qui, malgré leur caractère autoritaire, ont suscité de profonds changements sociaux et culturels.
La profession médicale moderne est née en Egypte, au début du XIXe siècle, non pas d'une expérience coloniale, mais d'une volonté nationale de modernisation.
L'objet de ce livre est d'étudier, sur le long terme, les efforts du transfert, de l'Occident vers l'Orient, d'une science et d'un modèle professionnel, puis l'appropriation par une catégorie nouvelle d'acteurs, les médecins, de savoirs qui sont réévalués et mobilisés afin de servir au devenir de leur propre société. Longtemps dominés par les praticiens et les intérêts étrangers, les médecins égyptiens parviennent, après la Première Guerre mondiale, à affirmer leur autonomie à travers la mise en place de nouvelles institutions nationales et à façonner une identité scientifique propre, privilégiant les maladies parasitaires endémiques.
Il faut attendre la Révolution de 1952 pour voir naître une politique généralisée de santé publique, au prix cependant d'une nette dégradation des conditions d'existence et de pratique des médecins. Ceux-ci cherchent aujourd'hui à réconcilier leurs intérêts professionnels et leur vocation sociale, dans un contexte d'explosion de la pratique privée où la référence à l'islam se veut la garantie de la moralité du système.