« Il suffit de voir une petite fille habillée de rouge, panier sur le bras, pour sentir la présence de la galette et du loup. Il suffit aussi, désormais, d'ouvrir un congélateur pour craindre la découverte d'une nurserie macabre, de croiser une joggeuse pour voir un halo en sursis fluo. Le cours de la Vologne nous inquiète tout autant qu'une maison de pain d'épices. Il y a le petit Poucet et le petit Grégory, la pantoufle de vair et le pull-over rouge. Les faits divers sont là. Dans nos vies, dans nos représentations, nos blagues, nos mots, nos craintes nos réflexes, dans nos imaginaires.
À première vue, tout semble avoir déjà été dit et redit sur eux. Bien des théories que l'on a proposées à son sujet (politiques, sociologiques, psychanalytiques, etc.), si brillantes soient-elles, parlent cependant de tout sauf d'une chose pourtant essentielle : la façon tout à fait originale dont les faits divers nous marquent, nous imprègnent une fois la sidération passée, la manière dont on les « vit » existentiellement, dont ils persistent. À force de regarder du côté des causes, des conséquences, de l'origine, de la structure, du rôle, de l'utilisation, on en vient à ne plus voir le fait divers tel qu'il fait effet. C'est pourquoi, il faut aussi décrire l'empreinte, l'écho, la fragrance que les faits divers laissent dans notre monde, en chacun de nous. C'est l'objet de ce livre qui à travers l'étude des objets, des héros, des lieux, du style des faits divers cherche à expliquer la place considérable qu'ils occupent dans notre existence. » Mara Goyet
« Mon père l'a affirmé haut et fort. Il voulait, après sa mort, se réincarner en train. Ainsi les vaches le regarderaient-elles passer. C'était peut-être son idée de la félicité. Ou, comme souvent avec lui, la douceur de l'image, sa simplicité.
Mon père est vivant. Il est malade depuis des années maintenant. Terriblement. Il file déjà, à pas lents, à travers le paysage. Qu'il soit pourtant, et à l'avance, exaucé : même si je ne suis pas une vache aux longs cils et au regard humide, même si je ne fais pas le poids, je veux le regarder passer, observer sa vie et ce qu'est devenue la mienne. Je ne vais cependant pas me contenter de ruminer ; il y a tant de belles choses à raconter. »
Le collège sera-t-il un jour un lieu de mémoire ? Au même titre que le Panthéon, le Tour de France ou Alésia ? Alésia, surtout. Il se contente pour l'instant d'être un lieu de déboires. Là réside sa beauté tragique, là commence sa force comique.
Le collège doit dans un même élan résoudre la cruelle question du toner de la photocopieuse et celle de l'immortalité des dieux grecs. Il doit convaincre les élèves de la grâce d'une pensée libre tout en leur faisant bien comprendre que ce n'est pas un môme de 12 ans qui va réfuter le théorème de Pythagore. Il doit officiellement laisser s'épanouir le petit d'homme (qui sait si ce n'est pas un Mozart contrarié ?) tout en lui enjoignant officieusement de la fermer (il faut quand même, de temps en temps, faire cours).
Cet univers aussi bas que sublime, aussi prosaïque que complexe, est à la fois familier et méconnu. Collèges de France invite à une promenade pittoresque en ses murs, à la découverte de ses indestructibles monuments (les estrades, la machine à café), de ses vaillants autochtones (les professeurs, les élèves, les CPE), de ses traditions séculaires (les heures de colle, la cantine), de son charmant folklore (les sigles, le jargon), de ses mythes ancestraux (l'autorité, l'élitisme), de ses zones d'ombre, de ses guerres impitoyables avec leurs martyrs, leurs héros, leurs félons.
Mara Goyet, 29 ans, enseigne l'histoire-géographie depuis cinq ans dans un collège de la banlieue parisienne.
Le collège unique a quarante ans. Il est le symbole d'un espoir, d'une utopie éducative et d'un désastre. Il est tentant de l'abandonner. Ce serait inacceptable - comme renoncer à une promesse démocratique : propose-t-on de rétablir le suffrage censitaire quand les résultats des élections déplaisent ?
Avec les années, on a accumulé des protocoles, des gadgets et des slogans, sans tenter d'imaginer une transmission exigeante, élégante et opiniâtre de la culture qui se soucie des élèves tels qu'ils sont. Or faire un cours sur Charlemagne en 2014 ne ressemble en rien à un cours de 1918 ou de 1975. Au Charlemagne scolaire s'oppose aujourd'hui les Charlemagne parodique, kitsch, youtubaire, qui peuplent l'esprit de nos classes.
Ce livre fait un pari : proposer un nouvel âge de l'enseignement. Toute l'École est concernée, pas seulement le collège. Ce serait un art du mélange et de la juste distance. À mi-chemin entre Roland Barthes et Lara Croft, le professeur doit être érudit et bricoleur : pour perpétuer la transmission de la culture et du savoir, il doit descendre de l'estrade, ruser, tout explorer. C'est le grand enjeu de l'éducation actuelle : il s'agit de trouver les moyens, dans une époque complexe, d'être juste, ambitieux et efficace.
© Flammarion, 2014.
Couverture : Portrait de Jules Ferry © BnF
Voici comment notre époque nous a façonnés : cons et subtils, dupes mais incrédules, éclairés et paumés, admirablement dérisoires.
Le trentenaire est un curieux animal dont on entend souvent parler. Un nombre incroyable de dossiers, d'études, de monographies lui sont consacrés. Tout le monde s'accorde pour le trouver sans passion, sans idéologie, traumatisé par le chômage, gloubiboulgué jusqu'à la moelle, inculte, timoré, conformiste ou faussement révolté, écrasé par ses pères, né trop tard... Il s'exprime mais ne se raconte pas. Et pourtant, le salut du jeune trentenaire viendra peut-être de sa capacité à prendre au sérieux son histoire, à la raconter, à l'aimer...
Ce livre, tout en jouant avec la figure supposée et imposée du trentenaire, les clichés, les discours et les vérités qui l'accompagnent, tente de retracer l'histoire et de brosser le portrait personnel (mais romancé) du trentenaire.
" Quand on me demande quel sport je pratique, je répond l'enseignement. "
" L'enseignement, ce sont des vigilances, un sens du rythme, des pauses, des paris, des obsessions. C'est une forme de ténacité et d'acharnement. C'est un bricolage savant. C'est exactement le contraire des dix compétences de l'enseignant édictées par le Ministère."
Dans ce paradis étroit qu'est le trottoir de la sortie de l'école, Bertrand rayonne. Il observe avec un regard à la fois amoureux et tendre ces jeunes mères de famille qui se trouvent trop bousculées, trop déprimées, trop désoeuvrées, trop vieillissantes déjà. Elles attendent leurs mômes. Puis elles rentreront chez elles, pour hâter le diner familial qui n'a plus rien de glam, car le père des enfants a filé à l'anglaise avec une copine, ou au contraire se contente de soirées léthargiques.
Bertrand, lui, réinvente ces jeunes Parisiennes modernes. A soixante ans sonnés, il pourrait bien être leur père, pourtant il a un charme gourmand qui les grise et les pousse à briser le traintrain de leur vie, à dérider leurs yeux cernés, et envoyer valdinguer les drames minuscules.
Satire contemporaine loufoque, Femmes à rénover est un roman impitoyable et déluré, écrit par deux jeunes romancières au regard acide et à l'imagination drolatique.