En 1912 les colonisateurs allemands, présents au Burundi depuis 1896, fondent au centre du pays une nouvelle ville, Gitega, destinée à en devenir la capitale. Quatre ans après, la Guerre mondiale les force à abandonner ce chantier aux conquérants belges venus du Congo. Gitega offre un exemple de création ex nihilo d'une ville à vocation administrative et commerciale. A partir des archives coloniales et des témoignages de vieux Burundais, cette histoire a pu être reconstituée au ras du sol : le choix du site sur un plateau herbeux, la difficile collecte des matériaux et le recrutement d'une main-d'oeuvre, le désarroi de la population locale face aux nouvelles disciplines et les calculs de ses chefs, le lancement du commerce dans une région où la monnaie était quasi absente, l'ébauche d'une scolarisation. Gitega, de 1912 à 1916, est comme un microcosme de la logique coloniale, avec sa brutalité et ses ouvertures. Par delà tout exotisme, cette situation à l'ouest de l'Afrique orientale allemande évoque aussi celle du Far west américain à la même époque. On y retrouve les agents d'un ordre impérial en construction sur le terrain, mais aussi les jeux d'aventuriers de toutes origines (ici asiatiques et africaines), habituels dans les situations porteuses de nouvelles frontières économiques et culturelles qui rêvent de profits souvent illusoires. Jean-Pierre Chrétien, historien, a mené des recherches au Burundi depuis une cinquantaine d'années et publié de nombreux ouvrages sur la région des Grands lacs. Il est directeur de recherche émérite au CNRS, dans le cadre du CEMAF (Paris 1) et associé au LAM (Bordeaux).
La première édition de ce livre, en 1997, se présentait comme le prolongement intellectuel du travail de deuil qu'appelaient le génocide des Tutsi et les massacres d'opposants hutu perpétrés au Rwanda en 1994, mais aussi les massacres commis au Burundi en 1993. Seuls les chapitres généraux de la première édition ont été gardés, complétés par une conclusion actualisée.
Quinze ans plus tard, le défi reste le même : celui de la réduction de la réalité génocidaire, qui hante cette région d'Afrique depuis un demi-siècle, à des "colères populaires spontanées" ou à des "guerres ethniques", c'est-à-dire à des massacres sans responsabilités. L'opinion publique reste souvent attachée à des clichés, en fonction de préjugés persistants sur une Afrique exotique, "continent des ténèbres" et des "violences ataviques". Toute une littérature, en France, continue étrangement à jouer de cette ignorance.
Jean-Pierre Chrétien, qui a travaillé sur ces pays depuis plus de 40 ans, montre que l'ethnisme relève soit d'une illusion théorique, soit d'une propagande raciste qui, en l'occurrence, débouche sur des pratiques d'exclusion et des massacres de masse. Ce livre rappelle que l'impératif de la recherche, en Afrique comme ailleurs, est de décrypter les fausses évidences. Par-delà les cas rwandais et burundais, il permet de penser autrement les rapports complexes qui s'établissent entre mobilisation politique, violence et construction identitaire.
La région des lacs de l'Afrique orientale est devenue synonyme de catastrophes. Pourtant son histoire multiséculaire est particulièrement riche : des densités humaines impressionnantes, un potentiel agro-pastoral remarquable, une inventivité politique et religieuse étonnante. Le regard européen qui se porte sur elle depuis la fin du XIXe siècle, fasciné au premier abord par la civilisation qu'il découvrait en plein coeur du continent, n'a pas tardé à piéger ces peuples africians dans ses calculs et ses fantasmes. il fallait conserver cette réserve humaine dans un ordre "féodal", qui convenait apparemment si bien à la vision raciale de l'histore dans laquelle se complaisait la pensée coloniale.
Ce qu'on appelle aujourd'hui "Afrique des Grands Lacs", avec ses haines fonctionnant en boucle, s'est forgée dans ce contact, où acteurs étrangers et locaux portent des responsabilités spécifiques. Comment réfléchir sur cette région et son avenir sans démêler cette histoire complexe, qui est celle du XXe siècle, l'âge des extrêmes comme l'a écrit Hobsbawn ?
La saga des explorations a été une des pages préférées de la propagande coloniale. Cet épisode de l'histoire des relations entre Europe et Afrique a-t-il représenté un tournant significatif ou un non-événement ? Le cas du Burundi apporte des réponses à ce questionnement.
Aucun Européen n'avait mis les pieds dans cette région de l'Afrique des Grands lacs avant le milieu du XIXe siècle. Ce moment de la « découverte » a en fait couvert toute la deuxième moitié de ce siècle, depuis les globe-trotters anglosaxons qui ont visité les rives du lac Tanganyika dans les années 1850-1870 jusqu'aux aux premières traversées du pays dans les années 1890, à la veille de la colonisation allemande.
Après avoir établi et cartographié avec précision les itinéraires de ces voyages très particuliers, ce livre décrypte quatre aspects d'une « vrai-fausse rencontre » : l'établissement de cartes longtemps encombrées de fantasmagories, l'exotisme du regard porté sur ces hautes terres où le Nil prenait sa source et la projection rapide de fantasmes raciaux sur leur peuplement, mais aussi la sidération des « explorés » burundais et leurs tentatives propres d'interprétation et enfin le rôle décisif d'explorateurs méconnus, les guides et intermédiaires africains, « compagnons obscurs » des héros solitaires européens tels que ces derniers se campaient dans leurs récits.
Cet ouvrage s'appuie sur la lecture des périodiques géographiques de l'époque, le dépouillement d'archives britanniques, allemandes et missionnaires et enfin sur des enquêtes qui, dans les années 1960, avaient permis à l'auteur de rencontrer des témoins oculaires de ces situations inédites.
26 juillet 2007, dakar : s'adressant à un public de notables et d'universitaires africains, le président français nicolas sarkozy évoque la rencontre de la culture africaine avec la modernité et développe le vieux discours du " continent sans histoire ".
le discours de dakar a provoqué une onde de choc en afrique, en europe et particulièrement dans la communauté des historiens. après le temps de l'indignation vient celui de la réflexion. cinq universitaires africains et français ont décidé de réagir pour s'opposer à un véritable déni d'histoire. chacun des auteurs a choisi son angle d'attaque ; la place de l'afrique dans l'histoire universelle, la persistance de l'imaginaire colonial, les pesanteurs de la tradition raciste à l'égard des noirs, l'absence remarquable de l'afrique dans le contenu de l'enseignement en france et la richesse du débat historiographique en afrique.
au-delà des réactions à chaud, le discours de dakar méritait des réponses documentées. le premier livre de la collection disputatio réunit les meilleurs historiens français et africains et apporte un regard croisé sur le discours de dakar.
Troisième édition.
Il y a un demi-siècle, le chercheur sénégalais Cheikh Anta Diop posait la question de la négritude de l'Egypte et de l'antériorité des civilisations nègres. Aujourd'hui, c'est d'Amérique du Nord que nous viennent les échos d'une telle contestation de l'histoire écrite par les Blancs. Les thèmes en sont multiples. Ne serions-nous pas tous less enfants d'une Eve noire ? La première civilisation ne fut-elle pas africaine, rayonnant ensuite de son berceau égyptien jusque dans la Grèce classique ? L'objet de ce livre est de mieux connaître l'argumentation de ce courant dit afrocentriste, d'en discuter les sources et les méthodes, d'en comprendre les motivations et d'en analyser les réseaux, sans oublier ni les siècles d'oppression et de discrimination pesant sur la condition noire, ni les aspirations actuelles à une renaissance.
La crise de 1972, appelée ikiza - le fléau - par les Barundi, est la plus grave vécue par ce pays avant la guerre civile qui l'a déchiré entre 1993 et 2003.
Une rébellion éclate le 29 avril 1972, accompagnée de tueries contre les Tutsi du Sud du Burundi. La répression qui se développe en mai et juin suivants touche non seulement les populations hutu de cette région, mais s'étend aussi à l'ensemble du pays. Elle vise tout spécialement les Hutu instruits : cadres, fonctionnaires, commerçants, paysans aisés, et surtout les étudiants et les élèves du secondaire.
C'est notamment cette purification " ethnique " des écoles qui a amené les observateurs de l'époque à parler de génocide. Sous la pression internationale, en particulier celle de l'opinion belge, les massacres diminuent puis s'interrompent en juillet 1972, non sans des flambées qui se poursuivent jusqu'en 1973.
Aucune étude approfondie de cette crise majeure n'existait. Les auteurs connaissent le Burundi depuis plus de trente ans.
Ils ont rassemblé la documentation qu'ils avaient constituée à l'époque (Jean-François Dupaquier était sur place et Jean-Pierre Chrétien avait tenté d'alerter l'opinion française), ils l'ont complétée par des enquêtes orales menées dans plusieurs régions du pays entre 1999 et 2002 et par l'exploitation des archives diplomatiques françaises et belges, récemment ouvertes. Les nombreux documents et témoignages livrés par les auteurs sur ce génocide des élites hutu aideront aussi à réfléchir sur le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.
L'un et l'autre s'insèrent dans un engrenage de crises du même type, qui ont déchiré cette région d'Afrique depuis le début des années 1960 selon la même logique d'un racisme interne manipulé par groupes politiques extrémistes. Les analyses portent aussi sur la construction des propagandes contradictoires et sur le jeu, souvent ambigu, des puissances étrangères.
Le génocide de 1994 au Rwanda et la guerre civile au Congo-Kinshasa font souvent oublier le Burundi voisin.
Or ce pays connaît depuis 1993 une crise qui peut provoquer de nouvelles catastrophes dans l'ensemble de la région des Grands Lacs. Cet ouvrage offre un dossier collectif précis de cette crise pour la période cruciale 1993-1996, de l'assassinat du président Melchior Ndadaye au retour au pouvoir du président Buyoya.
Les événements sont mis en perspective grâce à des chronologies détaillées, complétées par de nombreux documents inédits et par les résultats d'enquêtes originales.
Des analyses, rédigées par des chercheurs burundais de toutes origines et par des spécialistes français, éclairent les différentes manifestations de la violence, l'impact de celles-ci sur la vie quotidienne, matérielle et morale, des simples Burundais, la position des grandes institutions civiles et religieuses, la dimension socio-économique de la crise, les regards croisés des médias intérieurs et internationaux.
L'objet de cette étude n'est pas d'apporter une réponse définitive, mais de fournir des éclairages complémentaires, voire contradictoires, qui puissent aider à démêler l'enchevêtrement des haines et des peurs, des stratégies et des séquelles qui piègent les relations entre Burundais d'appartenance hutu ou tutsi, en retournant aux faits et aux documents.
Avec l'éclatement du rêve d'une histoire mondiale unifiée, le débat sur Histoire et Mémoire est à l'ordre du jour.
L'Afrique n'y fait pas exception, mais à sa manière. Cet ouvrage n'est pas une collection de " lieux de mémoire " relevant d'un patrimoine national dûment authentifié, comme dans le cas français. Il s'agit plutôt d'une illustration de la manière dont les sociétés africaines de jadis et d'aujourd'hui revisitent leur passé : leurs interrogations reflètent moins la nostalgie d'une antiquité en déshérence que les besoins d'une histoire en train de se forger.
La fonction sociale de la mémoire dans les traditions orales révèle des dynamiques déjà décelables dans les anciennes remémorations. Le moment de la colonisation sera celui de l'étouffement ou de la domination des legs du passé, allant jusqu'à la récupération ou même à la destruction des lieux où s'accrochaient les identités des peuples soumis. Mais l'aspect le plus intéressant est la façon dont les cultures africaines ont réinterprété leurs traditions selon les normes et les besoins de leur nouvelle expérience historique, confrontée à la domination étrangère : l'africanisme blanc a pénétré les cultures noires, mais celles-ci ont aussi fait de la science du colonisateur un outil de résistance des colonisés.
Par delà ces jeux du traditionalisme sous sa forme moderne, on assiste même à des réappropriations des repères plantés par l'Occident et à la participation à sa ferveur commémorative autour de sites monumentaux ou de grandes dates. Tous les exemples font réfléchir sur ces regards croisés et sur ce jeu de réinterprétations du passé africain, confronté à l'ethnographie étrangère. Sans se complaire dans la description de ces représentations, le livre les met en situation historique avec la précision critique nécessaire.
C'est aussi un bel exemple d'historiographie de l'Afrique. L'ensemble du continent au sud du Sahara est couvert, reflétant la diversité des climats culturels : du Sénégal à Madagascar, du Zimbabwe au Niger, des Grands Lacs au golfe de Guinée, de l'Afrique du Sud à l'Ethiopie, et des espaces incertains de l'ancien Ghana à l'utopie africaine du cinéma francophone.