Sciences humaines & sociales
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En octobre 1931, André François-Poncet est nommé ambassadeur de France en Allemagne. Dans ses longs rapports et ceux de ses consuls transmis à Paris jusqu'à sa nomination à l'ambassade de Rome en novembre 1938, le diplomate tente d'alerter son gouvernement de l'ampleur et des dangers du national-socialisme, cette « philosophie du monde » qu'Hitler ambitionne de « répandre » à travers l'Europe. Au jour le jour, François-Poncet rapporte aussi bien l'acclamation sans précédent du dictateur lors des Jeux olympiques de 1936 et l'embrigadement de la jeunesse que la préparation du pays à la guerre par la constitution clandestine de stocks. Mais il se fait surtout le témoin de la persécution des juifs, depuis le boycott des boutiques juives à Berlin jusqu'à la saisie à Vienne des biens des Rothschild ou du baron Ephrussi.
L'historien Jean-Marc Dreyfus a recueilli et classé ces rapports en grande partie inédits comme autant de témoignages indispensables de la progressive mise en place du projet hitlérien dans l'Allemagne des années 1930. Grand observateur de cette époque fondamentale de l'histoire du xxe siècle, François-Poncet écrivait alors : « Quand les dieux ont soif, il arrive qu'ils oublient eux-mêmes leur principe et qu'ils choisissent des hommes comme Hitler pour faire d'eux les instruments de leur catastrophe. » Jean-Marc Dreyfus est historien, Reader à l'université de Manchester (Royaume-Uni). Spécialiste de la Shoah et des génocides, il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Des camps dans Paris. Austerlitz, Lévitan, Bassano, juillet 1943-août 1944, en collaboration avec Sarah Gensburger (Fayard, 2003). Son habilitation à diriger des recherches a été publiée sous le titre L'impossible réparation : déportés, biens spoliés, or nazi, comptes bloqués, criminels de guerre (Flammarion, 2015).
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Pillages sur ordonnances : Aryanisation et restitution des banques en France (1940-1953)
Jean-Marc Dreyfus
- Fayard
- 30 Avril 2003
- 9782213613277
Dépouiller les Juifs, c?est tout ensemble les humilier, les priver de toute protection en les appauvrissant ou en les réduisant à la misère et, dans le cas des banques et des banquiers, satisfaire à un fantasme aussi vieux que l?antisémitisme (la supposée toute-puissance de la finance juive et les imaginaires complots tramés par ses détenteurs pour détruire les nations). Corollaire et complément des deux statuts des Juifs promulgués par Vichy, l?« aryanisation » constitue en France comme ailleurs une étape nécessaire de la Shoah.Les nazis avaient mis au point dans le Reich puis dans l?Autriche de l?Anschluss des procédures destinées à faire passer les entreprises juives, en particulier les banques, dans des mains « aryennes ». Dès les premiers mois de l?occupation en France, les autorités allemandes, secondées ? à l?occasion devancées ? par le très zélé Commissariat général aux questions juives, voulurent mettre cette expérience à profit, et il se trouva bien entendu des candidats à foison pour assurer l?« administration provisoire » des biens saisis. Si l?opération, en dépit de drames multiples, ne fut pas une réussite totale, c?est surtout parce que les pesanteurs bureaucratiques, la division du territoire en plusieurs zones, parfois la riposte adroite de quelques victimes firent traîner certains dossiers jusqu?à la Libération (les restitutions, qui sont ici analysées pour la première fois, prirent elles aussi des années?).Appuyant sa démarche sur une enquête orale étendue et surtout sur le dépouillement d?innombrables dossiers refermés depuis des décennies et dispersés au gré des circonstances et des administrations, Jean-Marc Dreyfus donne à cette question toute la place historique qu?elle mérite. Avec finesse et précision, il scrute aussi bien les destinées de grandes maisons devenues de véritables légendes comme Rothschild ou Lazard que celles d?humbles établissements d?Alsace ou de Moselle. Il n?a garde d?oublier que derrière des noms illustres ou obscurs se dissimulent des hommes de chair et de sang : quelques privilégiés ont connu l?exil, tous les autres ou presque ont subi l?exclusion, certains sont entrés en résistance, beaucoup ont été déportés pour ne pas revenir. La passion antisémite ne fait pas de différence entre pauvres et riches.Agrégé d?histoire, diplômé de l?EDHEC, Jean-Marc Dreyfus a été chercheur à la Mission des travaux historiques de la Caisse des dépôts et consignations. Docteur en histoire, il a soutenu une thèse sur L?Aryanisation économique des banques. La confiscation des banques juives en France pendant l?Occupation et leur restitution à la Libération, recherche dont est issu le présent livre.