« Le renard sait beaucoup de choses, mais le hérisson sait une grande chose. » Cet aphorisme du grec ancien, qui fait partie des fragments du poète Archiloque, décrit la thèse centrale de l'essai magistral d'Isaiah Berlin sur Léon Tolstoï et la philosophie de l'histoire, sujet de l'épilogue de Guerre et Paix.
Bien qu'il y ait eu de nombreuses interprétations de cet adage, Berlin s'en sert pour opérer une distinction fondamentale entre les êtres humains fascinés par l'infinie variété des choses et ceux qui relient tout à un système central et englobant.
Appliqué à la pensée de Tolstoï, ce propos éclaire un paradoxe qui nous aide à expliquer sa philosophie de l'histoire : le romancier russe était un renard alors qu'il croyait être un hérisson. Cet extraordinaire essai, traduit par la femme du philosophe, est une des oeuvres les plus célèbres de Berlin. Elle permet une compréhension en profondeur de Tolstoï, de la pensée historique et de la psychologie humaine.
Dans ce livre lÂÂ'un des historiens des idées les plus influents du XXe siècle dissèque et analyse un mouvement qui a changé le cours de lÂÂ'histoire. Brillant, rafraichissant, immédiat et éloquent, ces essais célèbres sont une performance intellectuelle originale et aboutie. Isaiah Berlin y passe en revue les nombreuses tentatives de définir le romantisme, distille son essence, retrace son évolution depuis ses premiers soubresauts jusquÂÂ'à son apothéose, et montre comment ce mouvement continue dÂÂ'influencer notre vision du monde, en sÂÂ'appuyant sur des artistes et penseurs aussi illustres que Kant, Rousseau, Diderot, Schiller, les Schlegel, Novalis, Goethe, Blake, Byron ou Beethoven, dont les idées et le comportement ont façonné, selon Berlin, le nationalisme, lÂÂ'existentialisme, la démocratie, le totalitarisme du vingtième siècle, ainsi que nos idées à propos des individus héroïques, de la réalisation de soi, et du rôle exaltant dévolu à lÂÂ'art.
Avec Le Sens des réalités, l'essentiel de la pensée d'Isaiah Berlin est enfin publié. On y retrouve tous les thèmes qui ont nourri son oeuvre : le mouvement romantique, sa genèse et ses implications, l'histoire des théories socialistes et marxistes, le nationalisme et ses racines, l'engagement de l'intellectuel et, finalement, la conviction de Berlin que les idées ont une importance déterminante dans la destinée de l'humanité. On discerne aussi, en filigrane, les questions qui l'ont tiraillé toute sa vie -comment construire une société décente ? comment prendre une bonne décision ? pourquoi certaines idées, plutôt nobles et belles au départ, en viennent-t-elles à nourrir les pires idéologies ? Et pour trouver les réponses, une qualité lui semble alors indispensable- le sens des réalités. En lisant cet essai, on découvre un style très particulier qui rappelle à la fois les grands auteurs de fiction russes du XIXe siècle et la littérature victorienne à laquelle Berlin vouait une grande admiration. Ce style, ample et cadencé, est un labyrinthe où l'on se perd volontairement. Le propos sait alterner grandeur, noblesse, ironie, sens critique et bon sens. Il y a une voix dans ces textes, qui, au fond, s'évade de l'estrade professorale et s'égaye dans une simple conversation ou se réfugie dans une écriture sérieusement tissée.
Les thèmes de ces trois essais sont très variés. Disraeli, Marx et la recherche d'une identité trace un parallèle entre deux destins opposés ; convertis, issus de milieux bourgeois, Marx et Disraeli feront, vis-à-vis de leur temps, de leur origine et de leur pays, des options aussi différentes que possible : Disraeli se verra comme le dirigeant naturel d'une élite aristocratique et accèdera au pouvoir et aux honneurs. Marx se voudra le guide et le stratège du prolétariat mondial. Avec une grande pénétration psychologique, Isaïah Berlin décrit l'itinéraire de ces deux hommes, leur position face à l'assimilation et à l'émancipation et surtout leur recherche, pour des raisons analogues, d'une autre identité. Le chemin suivi par Moïse Hess va du socialisme au pré-sionisme, tel qu'il s'exprime dans Rome et Jérusalem (1862). L'un des premiers, Moïse Hess apercevra la vraie nature de l'antisémitisme allemand et les équivoques de l'émancipation. Il unira, dans sa vision de l'avenir des Juifs, les idées de nation et de socialisme et se révélera finalement meilleur prophète de leur destinée au XXe siècle que bien des penseurs plus connus de son temps. Les Juifs : de la servitude à l'émancipation contient une réflexion d'ensemble sur les notions d'émancipation, d'assimilation et de nationalité. Quelles sont leurs implications politiques et psychologiques ? En quoi réside l'apport des Juifs à la culture de l'Europe ? Que représentent le sionisme et Israël ? Isaïah Berlin répond à ces questions en esprit affranchi de tous les conformismes. L'unité de ce recueil réside dans une méditation sereine et profonde : comment, dans le monde moderne, les Juifs ont-ils affirmé ou redécouvert leur identité ? Les réponses ont varié selon les groupes, les situations et aussi les individus.
Ces conférences brossent un portrait mémorable de six "ennemis de la liberté", tout en offrant une introduction sans égale à la pensée philosophique de Berlin. Chez chacun de ces six "mauvais maîtres" (Helvétius, Rousseau, Fichte, Hegel, Saint-Simon, Maistre) - tous précurseurs ou héritiers de la Révolution française - Berlin isole un noyau irréductiblement autoritariste ou antilibéral qui vient restreindre la portée théorique de leur pensée ou obscurcir leurs intuitions ponctuelles
C'est par ces conférences, enregistrées par la BBC à l'automne 1952 et publiées pour la première fois en français, que Berlin a atteint la notoriété. On y retrouve déjà la virtuosité qui distingue Berlin de manière unique dans la tradition anglo-saxonne, ainsi que les thèmes qui resteront au coeur de son questionnement : les ambiguïtés des Lumières et du romantisme à la racine de notre modernité.
« Jamais auparavant on n'avait abordé des sujets aussi abstraits avec autant d'aisance et d'intensité. »
Noel Malcolm, Sunday Telegraph