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Hélène Cixous
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«Dans la nuit de cendres noires qui se substitue à la nuit étoilée, des messages alarmés circulent en chancelant dans la suie douloureuse. Les SMS se réveillent SOS : "Vous aussi, est-ce que vous avez cette odeur de cramé dehors ? Maintenant elle entre !" Ici, dans le Sud-Ouest, où la mère forêt se tord en vomissant ses hurlements de fumées colossales, on utilise le mot "cramé". Je n'avais encore jamais senti cette odeur crématoire. Tous les animaux ont pris la fuite. "Vous aussi vous entendez ces galops, ces froissements ces fouissements ces millions de halètements ?" Il n'y a plus de musique. Cette atrophie des mots, cette langue coupée, c'est ce qui rend ma peur folle. Je cherche les chats. Pas de chats, je fuis, je me fuis. Je compte sept jours et je sors. Les arbres ont fini. Le jardin est occupé par des troncs qui charbonnent : des crayons géants et qui pleurent.»
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Il faut bien aimer. Séminaire 2004-2007 : Edition de Marta Segarra
Hélène Cixous
- Gallimard
- Blanche
- 5 Octobre 2023
- 9782072971198
Il faut bien aimer est le deuxième volume de l'édition du Séminaire d'Hélène Cixous, qui rassemble trois années, de novembre 2004 à juin 2007. Inauguré en 1974 à l'Université Paris 8 Vincennes, ce Séminaire trouve sa place parmi les grands témoignages de la pensée française des cinquante dernières années, représentée par Derrida, Foucault, Lacan, Barthes ou Deleuze. Proust est un des personnages principaux de ce texte foisonnant et hybride, qui se lit souvent comme un récit raconté par Hélène Cixous. L'autre personnage remarquable - à côté de Balzac, Beckett, Benjamin, Flaubert, Freud, Goethe, Hofmannsthal, Hugo, Kafka, Lispector, Montaigne, Rimbaud... - est sans doute Jacques Derrida, lequel à un moment s'engage même dans une sorte de «duel» avec Proust à propos de la différence entre «théorie» et littérature. Il faut bien aimer constitue un chant aux «puissances autres» de la littérature, selon l'expression d'Hélène Cixous. Loin d'être un luxe inutile, la lecture nous est indispensable, qui nous invite à écouter le texte respirer jusqu'aux virgules.
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«C'était le dimanche 22 janvier 1854, il était neuf heures et demie du soir à Jersey. Et Hugo effleurait le sexe de Shakespeare.Ils se touchaient l'âme en français. Et ils se tutoyaient. Je lève les yeux. C'est un geste audacieux.Oh ! Tes yeux ! Tes yeux de roi en passion. Tu veux oui je veux. Nous voulons. La scène se passait entre nos âmes physiques.Déjà nos lèvres. Ne doutons pas. Nos âmes rient. Une vie serait-elle possible ainsi, parfois, peut-être plus forte que tout. La table s'agite.C'est mon frère sans doute qui nous voit. Shakespeare semble crispé.- Parle ! dit Hugo.- Mdeilmm. »
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«Promethea est mon héroïne.Mais la question de l'écriture est mon adversaire.Promethea est l'héroïne de ma vie, de mon imagination, de mon livre.Je suis sa championne. Je me bats pour elle, pour faire triompher son droit : sa réalité, sa présence, sa grandeur.Je suis armée d'amour, d'attention. Ça ne suffit pas.Parfois j'ai aussi besoin d'ajouter l'écriture. Promethea est si grande. L'écriture m'aide. Je grimpe sur elle.»Qui est l'auteur du Livre de Promethea ? H ? Promethea ?Hélène Cixous nous offre une réflexion unique sur la dualité de l'écriture, nous dresse le portrait de ces deux créatures qui l'habitent et que tout oppose. C'est une écriture sur le vif, totalement libre jusque dans sa manière d'investir la page. L'autrice ne dira jamais «je» ; c'est impossible. Cela n'existe pas. «Comment faire pour être simultanément à l'intérieur et à l'extérieur ?»Il s'agit ici d'un journal immédiat et poétique, au rythme musical, identique à celui du coeur qui bat.
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«Comment font les gens qui ne disposent pas d'un Rêvoir de rêves, les malheureux, je n'arrive pas à imaginer une existence maintenue sous la coupe implacable du Cauchemar. J'ai connu un temps la liberté. Quand une liberté est pure et libre on ne s'en aperçoit même pas. On va, on vient, se couche, se lève, immortellement pendant des années, on ne les compte pas, on n'est ni savant, ni ignorant, on est distrait, on respire, on entre dans des magasins, puis dans d'autres, il y a des calendriers pour tout un chacun. Je fais appel à toutes mes forces mentales, pour deviner l'état du cerveau de ceux qui n'ont jamais connu, jamais aspiré l'air de la liberté, un air légèrement sucré, légèrement salé, discret, agréable, ceux qui à peine nés ont été déposés dans une cage, voués du premier au dernier souffle au cachot de l'esclavage, toutes ces créatures qui n'ont connu de la liberté que le regret greffé dans tout le corps par le mystère de l'héritage.»
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« J'écris avec deux chats à mes côtés. Puissé-je ne jamais les trahir : c'est plus que moi-même que je trahirais, c'est le meilleur de l'humain. » « L'enfer, je sais ce que c'est. C'est le paradis où le chien est trahi. » Dans ce texte magnifique, la grande autrice Hélène Cixous évoque son rapport aux animaux à travers des histoires personnelles, le chien de son enfance en Algérie ou ses chats pris dans un incendie. Et elle raconte comment ces animaux lui apprennent que la vie est cruelle et que nous n'avons pas d'autre arme que d'essayer d'imaginer, de penser. Les animaux peuvent donner la force d'essayer d'être libre, même si ce goût de la liberté ne se perçoit que lorsqu'on en manque.
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Dans le plus beau et le plus riche quartier d'Osnabrück, en Basse-Saxe, au centre-ville, rue de la Vieille-Synagogue, il y a un espace rasé entre deux élégantes demeures, on passe devant sans les voir. Les Ruines. C'est ici. La réserve de la mémoire et de l'oubli déposée derrière des grillages. Sur le grillage à hauteur de nos yeux quatre panneaux de cuivre poli font le même récit chiffré daté du 9 novembre 1938, panneaux étincelants, tablettes d'une nuit d'épouvante, qui a pris sa place d'horreur dans la longue et riche chronique de la fameuse ville fondée en 783 par Karl der Große, dit Charlemagne de l'autre côté. Ici on entretient les cendres. Ici tous les royaumes de l'Europe ont signé en 1648 le traité de Westphalie, la fin de cette guerre de trente ans qui a laissé traîner dans les rues des millions de fantômes d'assassinés, ici en 1928 sans perdre un instant notre belle ville est nazie, en 1938 elle a mis le feu à ses Juifs, comme hier elle mettait le feu à ses sorcières, ici notre Phénix tout de suite après la haine s'est réveillé dévoué à la Paix et l'hospitalité pour une petite éternité. Ruines, élégantes, soignées, bien rangées, êtes-vous dedans, êtes-vous dehors, êtes-vous libres?Derrière le grillage, une haute collection de grosses pierres, des moellons toilettés. Ce sont les os de la Vieille Synagogue (en vérité elle était jeune et belle, dans sa trentième année) qui restent après l'incinération. Os bien rangés.Hélène Cixous
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Lettres de fuite ; séminaires 2001-2004
Hélène Cixous
- Gallimard
- Blanche
- 29 Octobre 2020
- 9782072859069
Le travail théorique et critique d'Hélène Cixous, plus connue par son oeuvre de fiction et pour le théâtre, a surtout été élaboré publiquement au séminaire qu'elle donne annuellement depuis près d'une cinquantaine d'années. Aussi ce séminaire appartient-il à l'époque «glorieuse» de la pensée française, aux côtés des séminaires de Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan ou Roland Barthes, mais, à la différence de ceux-ci, celui d'Hélène Cixous était resté inédit jusqu'à aujourd 'hui. Son séminaire se caractérise par le fait qu'il associe étroitement la littérature et la pensée : la voix d'Hélène Cixous, forte et séduisante, nous entraîne dans une lecture très personnelle de la grande littérature occidentale (nous y rencontrons Eschyle, Balzac, Dostoïevski, Freud, Joyce, Kafka et surtout Proust, mais aussi l'Odyssée et l'Ancien Testament, parmi bien d'autres oeuvres), jointe à la philosophie, puisque la lecture s'ouvre à l'interprétation du monde. Lettres de fuite regroupe trois ans de séminaire, de la rentrée 2001 (après le Il septembre, qui a changé nos vies et le monde que nous connaissions) à juin 2004 (date du dernier dialogue public avec Jacques Derrida, avec qui Hélène Cixous entretient une conversation permanente). Le séminaire fait une place essentielle au désir, à l'amour et à la sexualité, des thèmes universels, mais il est aussi toujours attentif à ce qui se passe sur la scène du monde. Ce volume possède ainsi une unité thématique autour de la perte, la mort et la guerre - mais aussi de l'amour, la beauté et la vie. Lettres de fuite est donc un hommage aux «puissances autres» de la littérature. Hélène Cixous conclut : «Dans sa fragilité, dans son côté désarmé, la littérature est absolument indispensable.»
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Ce livre a déjà été écrit par ma mère jusqu'à la dernière ligne. Tandis que je le recopie voilà qu'il s'écrit autrement, s'éloigne malgré moi de la nudité maternelle, perd de la sainteté, et nous n'y pouvons rien.
Je décide d'incruster dans cette construction qui désobéit à maman des feuillets tirés de sa sainte simplicité. Le livre par excellence serait plein de livres et de ces photos magiques que l'on voit s'animer sous le regard d'un lecteur passionné, il s'ouvrirait sur des villes qui donneraient sur d'autres villes où ma mère aura séjourné. La plupart du temps on voit ma mère accrochée à moi d'une part et à sa canne de l'autre. Elle a le visage levé vers moi, elle me consulte d'un regard brillant, je lui souris et elle me croit. Je suis son père maternel.
Et si elle avait été aussi grande que moi? Ou plus grande?
J'ai trois cahiers dont Ève est la reine, la ruine, l'héroïne. Ma mère les a semés afin que je ne meure pas de sa fin pendant le premier désert.
Ève n'a jamais rien fait exprès. Elle accorde. Elle laisse faire. Elle est la grâce même.
Ces cahiers ont l'utilité qui est la vertu de ma mère Ils n'ont pas d'autre souci que d'accompagner les voyageurs et d'aider à mieux trépasser Quand maman me lancinait de février à mai, me disant continuellement aidemoiaidemoiaidemoi, des centaines de fois par jour, quand allongée dans sa barque elle me requérait, penchée sur elle, au plus étroit, après avoir abaissé les barreaux du lit de métal je disais avec une intensité égale à la sienne, « dis-moi ce que tu veux que je fasse pour toi, je le ferai ». Et elle : « Rien. » J'ai fait ces Riens. Les voici.
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« Il est déjà parti depuis longtemps ce livre, depuis Osnabrück, Hanovre, la ville du Traité de Westphalie (1648) et de ma famille Jonas (1840-1942), il parcourt le mystère des temps sur les quatre continents qui supportent l'histoire de ma mère et l'intéressent également, au départ il devait remonter ma mère en tous les sens depuis les sources des sources jusqu'à l'embouchure de la rue Saint-Gothard, en respectant son cours multiple et renversant, car c'est bien elle de sembler finir par commencer ou pour commencer ne pas finir jamais. » H.C.
Osnabrück c'est l'épopée d'Ève, la mère d'Hélène, la mère-jeune fille. C'est aussi le livre de toute mère pour la fille, le livre de la fille autour de la mère, ma terre qui brille et menace de disparaître.
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Le tablier de Simon Hantaï : annagrammes ; H.C. S.H., lettres
Hélène Cixous
- Galilee
- Lignes Fictives
- 13 Janvier 2005
- 9782718606569
« C'est le tout autre tableau. Il n'y en a qu'un. Il n'y en a pas d'autre. C'est le premier ou le dernier. Celui qui va. À la lettre. À la ligne. Il va jusqu'à la fin de l'an entre les ans, et il revient de l'avent à l'avent. C'est l'avent de Hantaï, son avance infinie sur tout tableau, sur peindre et la peinture, sur lui-même d'abord. C'était en 1958 et 1959. Il s'est mis à peindre le temps. La date devient La Date, le donné de toute date. Ce tableau est fait d'encres noire, violette, rouge, verte du matin au soir trois cent soixante cinq fois, jamais de rose.
À la fin il est : rose. Est. Rose. Le, la Rose : est «sans pourquoi», aura dit, pour Simon Hantaï, d'avance, Angelus Silesius. Il est Rose absolu - Rose d'être sans Rose.
Un an, à mon tour, je me laisse conduire par cette «chose», dies Ding, ce rassemblement de signes, ce «tableau», ce mystère. Il y a, dans la vie de mon regard, deux ou trois tableaux au monde qui me mènent. Il y a le Boeuf Écorché, l'autoportrait de Rembrandt le plus cru, il y a Le Chien à demi enfoui ou déterré, l'autoportrait en jaune de Goya. Il y a L'Écriture rose, l'autoportrait de Hantaï.
Qu'est-ce qu'un «autoportrait en peinture» ? On regarde la chose (de) Hantaï et tout est déplacé, tous les clichés de pensée de mots, de voir. On découvre qu'on ne sait pas, on n'a jamais su ce qu'est «peindre», «tableau» «peinture» «écriture» «rose» «autoportrait» «couleur» «penser» «voir». Cette chose visible est également invisible. Hantaï a poussé le visible jusqu'à l'invisible, le lisible jusqu'à l'illisible. Ce n'est pas qu'il ait changé de monde : il pousse le monde à bout de monde, le temps aux bords extrêmes du temps. Là-bas au fond, à la fin, ce qui nous attend c'est : le commencement. En avançant le long des chemins du tableau on fait le tour et on remonte aux sources. «De là» on remonte à la source des sources. «De là» c'est son mot, ses deux mots. Simon Hantaï dit toujours «de là». Il part et parle «de là» et : de la. Le sourcier Hantaï nomme et dé-nomme. J'ai fait ce pèlerinage. J'ai remonté le Nil et le nihil, le tout et son rien jusqu'aux sources. Je n'étais pas seule. J'étais avec lui, Simon Hantaï, mon ami, depuis l'enfance, depuis son enfance, lui était avec ses compagnons et ses anges inséparables de son mouvement de genèse perpétuelle : Hegel, Hölderlin, Loyola, avec dieu et diable, avec la croix et la bannière, avec les couleurs des langues allemande hongroise française latine, grecque, avec judaïsme et catholicisme, avec passion. Et moi j'étais avec Rimbaud, Celan, Proust, Nerval,... Je cherchais, je cherchais et il me regardait chercher, attendant, patiemment, généreusement, que je trouve.
Je crois avoir trouvé la source et le coeur du Tableau tout autre. Lisez et vous verrez. Ne vous impatientez pas aux préparatifs, ne vous étonnez pas : comme lors des grandes quêtes qui vont traverser la mort, comme dans le Bardo Tödöl ou l'Apocalypse, le voyageur en l'Orient de l'être part équipé d'objets et de signes qui sont la provision psychique indispensable à la traversée. Je vous prie d'accepter mes préparatifs : ils ne sont pas capricieux, mais nécessaires. Ce sont des choses ou êtres magiques mais accordés précisément au thème qui résonne dans le «tableau», ce sont les portes secrètes et les marches. J'ai eu besoin d'une chatte aux oreilles roses, de la branche d'aubépine rose plutôt que blanche de Proust, des murmures extasiés sur les couleurs de Goethe ou de Hegel. On le sait depuis Dante ou depuis Novalis et ensuite, on cherche toujours «la fleur». Ici on arrivera à la fin à «la fleur». La fleur est toujours partie[1]. Puis elle revient, cachée. Elle est là, et on ne la voit pas.
Vous verrez comment dans l'histoire légendaire de Hantaï (Hantaï, ce mot désigne un siècle, une oeuvre, une révolution) la fleur est cachée derrière le Tablier. Un vrai Tablier. Il n'y a pas plus Tablier que ce Tablier. Vous verrez enfin, je l'espère, je crois, comment ce petit livre est un traité, traité d'alliance entre peinture et littérature, entre écritures, entre gardiens de tabliers maternels.
Ensuite j'ai choisi de publier trois lettres de Hantaï avec son accord. Trois parmi un certain nombre de ces lettres de Hantaï qui ne sont pas seulement des lettres mais des oeuvres d'art. Lequel ? Un art autre, un art où penser, calligraphier, dessiner, tracer s'échangent et se doublent. Ces choses sublimes, sont-elles dedans, sont-elles dehors ? Elles sont les anges étranges qui accompagnent l'illumination. ».
H. C..
P.-S. : Le dimanche 24 Octobre 2004 sont arrivées à ce livre 10 lettres de résurrection. Elles l'ont repris au vol, de façon imprévue. Ces lettres avaient éclaté entre S. H. et H. C. lorsqu'à la fin de l'année 2003, Simon Hantaï avait reçu le texte du Tablier comme un coup à la porte du coeur. - Mais, me dit-il, on ne les montre pas elles restent couchées dans la maison, au fond du temps. Elle reparaîtront après notre mort.
J'en convins, naturellement. Ainsi fus-je faite gardienne d'un trésor à venir.
Mais voilà que tout à coup - ce qui était impossible il y a quelques mois, la parution de ces moments d'incandescence intime de Simon, - c'est possible. - Je pensais c'est après ma mort, dit-il, mais maintenant les événements ont décidé autrement... ».
[1] Dit Jacques Derrida dans Glas. En ce moment même (septembre 2004), Simon Hantaï est à la recherche d'une fleur perdue hongroise. Il faut tout le temps et sa fleur. -
Aller à Osnabrück c'est comme aller à Jérusalem, c'est trouver et perdre. C'est exhumer des secrets, ressusciter des morts, donner la parole aux muets. Et c'est perdre la liberté absolue d'être juif ou juive ou de ne pas l'être à volonté, liberté dont je jouis conditionnellement.
Lorsque Omi ma grandmère est sortie d'Allemagne en 38 et nous a rejoints à Oran, quand un juif ne pouvait plus s'échapper sauf par une chance rare de l'Histoire, les Récits d'Osnabrück ont commencé. On croit communément que le grand Malheur s'est abattu en 1933 mais c'est une erreur à l'usage des manuels d'Histoire. Déjà en 1928 l'antisémitisme ordinaire était devenu nazi et extraordinaire. Et la mort était le maître de la Ville.
Si tu vas à Osnabrück comme à Jérusalem, derrière le rideau de la Grande Histoire mondialisée, tu entr'apercevras d'innombrables grandes petites tragédies singulières, qui se sont gardées au secret dans les quartiers de cette ville qui fut glorieuse par Charlemagne, infâme sous le règne du NSDAP, et relevée aujourd'hui en courageuse Ville de la Paix, et militante des droits de l'Homme.
Si tu vas à Osnabrück, me dit le Secret, passe dans la Grande Rue, devant la fameuse Horlogerie-Bijouterie, à cent mètres de la maison Jonas, celle de ta famille, et regarde dans les vitrines. Peut-être y verras-tu trembler au fond de la mémoire une planche de photos épinglées, papillons spectraux, images de tous les gens qui osaient entrer chez des commerçants Jude, dans les années noires. Peut-être pas. C'est ici, sous les fenêtres de la maison Jonas, qu'Omi regardait les rues et les places se remplir à craquer d'une foule ivre de haine, et les bannières du Reich qui lui donnaient l'éclat d'un opéra terrible montaient jusqu'à son balcon. Le ciel au-dessus de Rolandstrasse était rouge du bûcher de la Synagogue.
On ne sait pas. On croit savoir. On ne sait pas qu'on ne sait pas. L'Histoire en (se) faisant la lumière fait aussi l'aveuglement. J'étais aveugle et je ne le savais pas. Mais un pressentiment me murmurait : va à Osnabrück comme à Jérusalem et demande aux murs de la ville et aux pavés des trottoirs ce qui t'est caché.
Tout le temps où Eve ma mère était en vie j'ai souhaité aller à Osnabrück, la ville de la famille maternelle de ma mère, les Jonas. Berceau et tombe, ville de la prospérité et de l'extinction.
- C'est pas intéressant, dit ma mère. Pas la peine.
- Allons-y, dis-je. - On a été, dit ma mère.
On a été. Maintenant, on n'est plus.
Alors, maintenant qu'elles ne sont plus, Eve, Eri, Omi, . maintenant qu'il n'y a plus personne, et que la mémoire cherche où, en qui, se réfugier, maintenant qu'il est trop tard, à toi d'aller, me dit le destin, gardien des mystères généalogiques.
La taille d'une ville est un instrument du destin. Osnabrück n'offre pas aux condamnés les maigres chances de survie que le vaste Berlin compliqué accorde. Ici, la ville toute entière est une simple souricière. Le petit peuple des souris n'a aucune chance. Nul ne s'échappe. Ni la famille Nussbaum. Ni la famille van Pels. Ni la famille Remarque. Ni la famille Jonas. Ni.
Je demande à Omi pourquoi elle n'a pas filé en 1930 avec ses filles. Et en 1933 ? Et en 1935 ? Naturellement elle ne répond pas. Quand Omi demande à son frère Andreas : qu'attends-tu dans Osnabrück, que fais-tu en 1941, et jusqu'au train de 1942 ?, une voix remue dans les pavés, c'est Andreas qui murmure, j'attends la mort à la Gare d'Osnabrück. Ne touchez pas à mes cendres.
Dans les rues les voix fantômes timides taillées dans le Silence soufflent : descends chez les Cendres derrière le Rideau.
Je suis allée derrière le rideau, réclamer mon héritage de tragédies au secret. Et on me l'a donné. On : les Archives de la Terreur, gardées, ordonnées, par la Mairie et ses Bibliothèques.
J'ai suivi les traces de Job piétiné et écorché vif en allemand.
Hélène Cixous
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C'est le quatrième livre qui me ramène à Osnabrück la ville de ma famille maternelle. Je cherche. Je cherche à comprendre pourquoi Omi ma grand-mère s'y trouvait encore en novembre 1938. Ainsi que ses frères et soeurs. Cela faisait pourtant des années que les Monstres occupaient le ciel allemand et proféraient des menaces de mort à l'égard des juifs, mais Omi continuait à penser qu'elle était allemande même après avoir été déclarée nonaryenne, même quand la langue allemande a formé de nouveaux abcès antijuifs tous les mois. Certes son mari était bien mort pour l'Allemagne en 1916 mais quand même Dans la rue le banc est interdit aux juifs.
Quel courage lui faut-il pour rester dans la ville qui brûle les siens tandis que K. le grand ogre nazi passe en ricanant devant notre grand magasin boycotté, ou peut-être quelle terreur ? Ou peut-être la voix de l'angoisse est-elle plus forte que celle de sa fille, Eve ma mère qui a pris la porte définitivement dès 1933 ?
Aucune explication.
Je ne comprends pas pourquoi je ne comprends pas.
Il y a tant de sortes de juifs qui ne savent plus qui ils sont. Il y en a qui partent, mais pas assez loin, comme s'ils avaient peur de perdre - quoi ? Il y a des juifs-qui-ne-partent-pas. Eri la petite soeur d'Eve ma mère est partie dès 1933 quand les piscines lui ont été interdites. Mais Siegfried est resté. Les Nussbaum aussi. Il y en a qui ont voulu partir quand on ne pouvait plus partir. Il y en a qui sont revenus se perdre. Qu'es-ce qui te ferait partir ? me demandé-je. Et vous, qu'est-ce qui vous ferait partir ? On ne peut pas dire qu'Omi soit partie finalement.
Elle ne m'a jamais parlé de la Nuit de Cristal. Il y avait de quoi être éclairée pourtant.
Comme je n'arrive pas à rentrer à l'intérieur de ma grand-mère je me décide à entrer dans la Nuit Décisive par l'intérieur de Siegfried K., un ami de ma mère. Il a 25 ans, il vient d'arracher son doctorat de médecine, la Grande Synagogue lui brûle devant la figure, le voilà naufragé à Buchenwald, pour l'inauguration par les Premiers Déportés. Je le suis.
Il ne sait pas ce qui lui arrive. C'est nouveau. Ça vient d'ouvrir. Ce n'est pas terminé. Buchenwald est à côté de Weimar. Weimar, c'était Goethe. Siegfried est un modeste Robinson juif aktionné en 1938. Avant, je ne savais pas ce que c'était, un juif aktionné. Suivons Siegfried dans la fameuse Nuit Nazie aux mille Incendies, prologue au temps de l'Anéantissement. J'aimerais tant pouvoir lui demander pourquoi, comment, il est encore là
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« Le soleil se couchait à notre commencement et se lève à notre fin. Je suis née en Orient je suis morte à l'Occident. Le monde est petit et le temps est court. Je suis dedans. On dit que l'amour est aussi fort que la mort. Mais la mort est aussi forte que l'amour et je suis dedans. Et la vie est plus forte que la mort, et je suis dedans. Mais Dieu est plus fort que la vie et la mort. On dit que la vie et la mort sont au pouvoir de la langue. Dans mon jardin d'enfer les mots sont mes fous. Je suis assise sur un trône de feu et j'écoute ma langue. » H.C.
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- Puisque tu as mal partout dans la poitrine, et de sombres pressentiments, ne va pas au combat, diffère, suis les indications des augures, quand nous sentons que la fin est proche, reculons, nous recommandait notre fidèle ami Horatio. Vous vous en souvenez ?
- Me retirer ? Jamais de la vie ! We defy augury ! Être, dit Hamlet, c'est défier l'augure. Je suis, donc j'irai. Il nous faut bien vivre, cette fois c'est décidé. Nous mortels, c'est-à-dire vivants, ne sommes-nous pas toujours tout près du Paradis, c'est-à-dire bien prêts dans un premier temps à le perdre, afin, dans un deuxième temps d'en voir la résurrection ? dit ce Livre. « The Readiness is all », Shakespeare est ici d'accord avec Montaigne.
C'est cette danse avec l'Augure que répète ce Livre. Le voici tout peuplé de co-mourants, de revenants et redevenants splendides, de commémourants, de personnages aimés relevés des néants, venus de tous les mondes et les continents, accourant d'un siècle à l'autre, de l'Allemagne à l'Afrique du Sud à l'Amérique du Sud, des Suds aux Nords et inversement, défiant l'oubli, se tirant de l'effacement, Avertissements, présages, souvenirs des catastrophes, signes, pressentiments, songes, ont beau jeu de se multiplier comme les étoiles à Manhattan que l'on voit mieux du 107ème étage du World Trade Center que de Ground Zero, nous sommes faits pour reprendre la vie là où elle a été interrompue.
Je le vois, ce livre est l'incarnation de notre sort mouvementé. C'est un assemblage de gouffres et de fêtes. Il a vingt fois le souffle coupé, il enjambe abîmes et ruptures, tombe sous les terres ou devient demain aérien.
Il m'arrive de deviner, derrière l'influence cachée de ma mère et son génie de la digression, la présence fatidique ineffaçable de l'immense famille Jonas, depuis le premier périple à bord de la baleine, jusqu'aux Jonas de Bacharach et, par suite de fuite, d'Osnabrück, ces gens qui se déplacent en quelques heures ou lignes dans dix villes différentes.
Où sommes-nous aujourd'hui ? En 2001, et aussitôt en 1791. Quel plaisir de simultaner ! C'est le don magique qui est le lot de ceux qui sont expulsés toutes les deux générations d'un lieu natal. Tout est perdu !? Revenons au Paradis, invite le Livre. C'est l'heure de retrouver les Tours et les disparus, les capitales et les villages. Pas de mélancolie ! Ça ressuscite intact. C'est revenir qui est le Paradis.
Mes livres sont des villes où demeurent des morts fées. Tous mes poètes sont morts. Tous les morts vivent encore dans ces villes qu'ils enchantaient hier. Des fantômes ? dit ma fille. Des gardiens du Temps, dis-je.
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Un jour des agneaux apprennent à leur corps défendant que leurs bergers étaient des loups. Blessés, ils agonisent. Mais ceci n'est pas une fable... Ces événements tragiques se sont produits entre 3500 avant J.-C. et l'année 1993. Par la suite sont arrivés, dans la réalité, des faits qui leur ressemblaient. « Et si ce crime étrange et monstrueux était justement né de notre époque ? Justement des nombreuses injustices et injustesses enchevêtrées de notre propre temps ? N'est-il pas le symptôme de la nouvelle maladie du royaume ? » (Hélène Cixous) La nouvelle édition de cette pièce créée en 1993 par Ariane Mnouchkine comporte une nouvelle préface, des notes de répétition, et est accompagnée du DVD du film D'après « La Ville parjure » de Catherine Vilpoux, qui, en confrontant certaines scènes du spectacle à différentes traces de l'actualité, a voulu rappeler toute la brutalité des faits qui avaient inspiré ce travail.
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L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge
Hélène Cixous
- Theatre du soleil
- 17 Mai 2010
- 9782905012142
Cette histoire de Norodom Sihanouk et du Cambodge de 1955 à 1979 est un chant d'amour pour le peuple khmer. Le prince Sihanouk vit sur la Terre comme sur une scène de théâtre. Il prend le monde entier à parti. Il se montre tel qu'il est. Et il montre les autres tels qu'ils sont. Il a fait sienne la maxime shakespearienne : « Le monde entier est un théâtre. » Cette nouvelle édition du drame historique et poétique mis en scène par Ariane Mnouchkine en 1985 est accompagnée de notes de répétitions, de croquis d'instruments et de scénographie, ainsi que du CD de la musique de Jean-Jacques Lemêtre.
Voici que l'Histoire doit devenir Théâtre. Dans le passage d'un genre à l'autre, la vérité (historique ici) ne change pas. Ce qui change, c'est le rythme. Créer pour le théâtre, c'est d'abord se soumettre à l'agence. Le livre peut attendre la lecture : il a l'éternité. Mais le théâtre n'a que le temps du spectacle. Le présent, seulement le présent. Alors il faut écrire à l'immédiat. On voit le livre s'écouler comme un fleuve, la pièce de théâtre se dresser et se presser comme une succession de batailles. Il faut gagner... du temps. Pour une pièce historique, le travail du théâtre doit être semblable au travail du rêve : nos épopées de rêve durent cinq minutes, grâce à la condensation et au déplacement. On a seulement le temps de jouer " à la vie, à la mort ".
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« Je pénétrai sans méfiance, c'était un vrai jardin ; dès la grille on voyait que la terre existait. Puis la grille se ferma doucement et l'on était dans le jardin. Dehors et assez loin, les gens allaient à la guerre. Quelques bombes tombaient et secouaient la toile de tente. Il y avait longtemps qu'on ne l'appelait plus le ciel parce que d'ici-bas on le voyait se déchirer et s'effranger au-dessus des murs. La terre sentait bon. J'avais un nom. La ville avait un nom, et tout le monde en avait un sauf le jardin qui s'appelait seulement le jardin parce qu'il n'y en avait qu'un. » H.C.
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« Brunhild Rien n'a jamais eu lieu en réalité. Il y eut un rêve.
Le rêve a transpercé la vie Aujourd'hui je me retire de cette scène, avec ma blessure inconnue pour histoire.
J'ai adoré, je ne sais pas qui j'ai adoré Nous adorons. Un dieu quelconque nous arrache le coeur et le mange. Nous sommes la viande qui rêve.
Je me suis avancée dans la nuit des passions Et je n'ai pas trouvé la porte Le miroir qui me souriait s'est brisé. Je suis sans visage.
Non, je ne vous fais pas de confidence Je suis en train d'accepter. C'est tout.
Mon retrait ne va pas interrompre la création.
Tous nous disparaissons.
Les Dieux ont vécu ici trois cents millions d'années.
Soudain le ciel tombe. Tous disparus.
Les chevaux à huit pattes, les géants, les nains, disparus Seuls les poissons ont survécu.
Après notre disparition, vous aussi vous survivrez Cette histoire va continuer.
Oubliez-moi. Vous m'avez oubliée ? Ils m'ont oubliée ?
Snorri Sturluson Oui. » H. C.
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Ce texte enregistré en lecture publique le 24 novembre 1991, au théâtre de La Métaphore à Lille, est paru dans la Bibliothèque des voix, dans une lecture à trois voix de Nicole Garcia, Christèle Wurmser et Daniel Mesguich.
« Le goût du mot assassin dur et doux dans la bouche, il faut pouvoir le dire, le goûter On pourrait le sertir, le monter comme une pierre À l'anneau de la main, Comment en est-on venu à le traiter Comme un mot étranger ? L'assassin L'accessoire essentiel du théâtre, l'as de nos tragédies Pourrais-tu m'expliquer ce tour de passe-passe Au théâtre, l'être humain est un assassin En réalité l'assassin s'appelle être humain Je me demande pourquoi nous appelons théâtre le théâtre seulement, mais pas la vie Et saurais-tu me dire pourquoi nous craignons tant de voir ce que nous ne craignons pas de faire Le crime commence au petit déjeuner Entre les tartines les poignards, le soir Nous étouffons le meilleur de nous Sous un oreiller, je ne sais pas combien d'enfants. » H. C.
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Entre l'écriture rassemble sept textes qui, sur une dizaine d'années, de 1975 à 1984, ont posé la question de l'« écriture féminine » : réflexion sur un des points les plus controversés des nouveaux féminismes.
Tout en poursuivant une critique aiguë et gaie de l'écriture au masculin, et en donnant parallèlement une oeuvre de fiction abondante, Hélène Cixous explore, depuis La Venue à l'écriture, l'espace où s'affirme de la différence. Écrire n'est jamais neutre, le geste, le texte sont sexués : « J'écris-femme. Quelle différence ? » C'est la question que tous ces textes relance, d'une langue à l'autre, d'un sexe à l'autre, de l'art de peindre à l'art d'écrire. La venue à l'écriture.
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« Le rythme des rythmes.
Halètement. Allaitement.
Elle écrit toujours en rapport avec la voix, le lait, l'essoufflement.
Texte pour la première Voix. Celle de la « mère » : celle qui l'a touchée jadis. Donné la première douleur, la première jouissance. La musique sans nom, toujours cherchée-retrouvée dans l'amant-mère, dans la chair, le sexe, les territoires lumineux de ce qu'ils ne peuvent plus appeler le « continent noir ». Ce texte s'élance au plus près de la source fantasmatique de l'écriture. Méditation et psaume sur la passion d'une femme : son corps exploré, blessé, réparé. Qu'est-ce qui fait souffrir, jouir, la chair qui chante ? » H.C.
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« Partie est une mythologie-fiction :
Il sera une fois Plus-je, être surgi hors généalogie, déjoueur de toute propriété, composé de plus d'un tout, un peu plus féminin que masculin peut-être. Il s'élance, à partir de lui-même, au-delà de tout, à la recherche de son Infinie, jusqu'à Si je, son autre-même, l'être un peu plus féminine que masculine. Et l'un de l'autre, de se laisser multiplier par la différence de l'autre, en jouant, jouissant, se ressourçant sans cesse, sans cesser d'être plus-que-moi, de la différence sexuelle. Ainsi, l'une vers l'autre, se jette à travers pages, de pas-je en pas-je, hors texte, hors pair, hors pères, hors corps, hors loi, se je-te. [...] Si cette histoire est possible, c'est que déjà quelque chose d'impossible ici maintenant est possible. Si Partie se lit, c'est par-delà toute censure. » H.C.
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Opéra représenté au festival d'Avignon en 1978.
« Le drame qui se joue ici pourrait être une version du mythe d'oedipe. En fait il déplace radicalement l'inceste fils-mère, l'accidentel qui est au corps du mythe, pour faire apparaître essentiellement l'énigme de l'invivable de la relation entre homme et femme : « oedipe » « Jocaste » ne sont jamais que les prénoms occasionnels de tout homme toujours fils de toute femme jamais femme. Ce qui fonde l'invivable du couple c'est la duplicité de la structure qui veut qu'un homme soit toujours adultère : « le couple » cache un tiers là où l'homme a toujours en réalité deux objets d'amour. Et ce n'est pas la femme-épouse, appropriée, incorporée, qui est son principal objet, mais sa propre image idéale, lui-même dans l'autre qui le regarde comme il veut être vu, grand et bon à ses propres yeux, vénéré (par l'autre, maîtresse, ici : la Ville-fille). Que veut un homme ? Toujours fils-père, être aimé de la mère, jouir lui-même dans la fille. »