Littérature
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Longue suite composée de 91 poèmes, ce livre de poésie se présente sous la forme d'une adresse au poète et écrivain Claude Esteban, d'un dialogue avec l'auteur disparu. Il y a dans cette suite quelque chose d'une complicité magnifique entre l'auteure et celui auquel elle s'adresse, ce dont témoigne la plupart des poèmes, discrètement mais sûrement, dont celui-ci : « Tu te souviens / elle n'était pas / morte / tout à fait / ni / sa main / ni / le pourpre des / peintures ni / la langue où / je la veille». On y trouve une parole poétique d'une très grande maîtrise, et qui, dans l'adresse à l'autre, cherche à formuler ce que nous sommes, sans jamais préjuger de ce que nous serons. Les lieux sont rarement déterminés et pourtant témoignent des itinéraires, qui sont ceux de la vie. Comme souvent chez cette auteure, le moment réflexif, l'ordre de la pensée jamais refermée sur elle-même accompagne ces moments de surgissement de la parole poétique en cette distance par rapport à la banalité de la traversée des jours.
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Entre suspension et recueillement, Ciel sans prise s'ouvre sur le repli d'une humanité réduite à ses chambres, persiennes et portes fermées, rues vides. Une humanité qui a « trop vu et trop ri à la face des dieux », et surtout, « trop haï ». Du fond de cette solitude, de cette geôle de silence, surgit l'absence de l'autre, et l'immense mélancolie d'une histoire personnelle et collective qui serait arrivée à son terme. Face à ce pressentiment hanté, face à cette parole tue et à ce monde arrêté, Esther Tellermann plonge l'absence dans une forme d'attente, dans un bain de souvenirs, parlant dit-elle, « depuis le seuil d'où je te veille », et d'ajouter que nous n'avons que deux langues, « l'une apprise, l'autre nocturne » - alors ce sera la nocturne. Une longue prière, un accompagnement dans l'adieu. Livre écrit d'une voix « d'où parvient la terre », livre de veillée, livre de mémoire et de rêves interrompus, plongé dans la solitude de la chambre où l'on réinvente l'autre, sa lumière, en forme « d'île lointaine » dans la nuit. Réinventer l'autre et le monde quand il se fige, Esther Tellermann convoque contre l'effacement ses « contes de papier », le grand jardin familier de ses poèmes : plein de jasmins, de safran, de sauge, d'amandiers et d'églantiers, souhaitant par là-même retrouver un espace ouvert et intime. Jardin doublé d'un verger de souvenirs, lieu de l'ami disparu, des rencontres, et d'un temps où l'on pouvait se toucher, se parler, être en vie. Avec paumes, tempes et paupières former des gestes contre la disparition. Ciel sans prise est un « long ensevelissement à travers les saisons du souvenir », Esther Tellermann traverse les ombres dans un dernier accompagnement, ouvre un tombeau qu'elle peuple de paroles contre l'aphonie humaine, qu'elle plante de bouquets d'arbres et de parfums, pour déposer le compagnon dans ce lieu de la mémoire, refusant de perdre l'infini du coeur du monde dans les « fracas du souvenir ».
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Esther Tellermann, dans ce texte écrit suite à plusieurs visites de l'atelier du peintre Claude Garache, opère une remontée vers les origines, plonge les mains dans la première argile des hommes, pour faire surgir une matière des corps. Les poèmes remontent le temps comme une embarcation discrète, s'affranchissent du cadre, et reprennent l'histoire à sa source ; les époques tissées sous le sommeil des hommes, l'incarnation répétée, vers un visage individuel issu de la masse informe des visages. Vers une soeur : toutes les femmes. Esther Tellermann vient habiter le corps, lui rendre sa pesanteur, sa surface terrestre et son épaisseur. Elle invoque dans un même geste, solitaire et rouge, « le visible et l'absence ». Les symboles oui, les ors et les martres, les archipels et les églantiers, mais surtout les reins et cuisses, genoux, seins, nuques, paumes : comment le corps s'extrait des ombres, des silences, jusqu'à la brûlure et la blessure, celle de « la vie ouverte ».
Les rouges, les bleus, les gris et les verts sont ici des vapeurs antiques, des brumes entourant la question irrésolue de notre présence sur la terre, formes et âmes à demi transparentes, à peine esquissés déjà disparues, mortelles dans la lumière. Ce corps rassemblé s'écrit contre la solitude, notre inquiétude et notre évanescence. C'est une traversée, fragile, à travers les nuits et les âges, à travers les murmures et les peurs, les mers et les hivers, de « la respiration d'un seul monde ». Pour fixer la présence du corps, rassembler son poids dans une lente incantation, dans la répétition de formules égrenées comme des prières, comme pour préserver au creux de la paume la fragile incarnation de l'homme au milieu de l'univers, que menace aussi sa propre folie.
Esther Tellermann, après Yves Bonnefoy, Edmond Jabès ou Philippe Jaccottet, s'empare à son tour dans ce livre à la fois doux et tumultueux, de ce corps jamais figé, toujours à naître qui est au centre de l'oeuvre de Claude Garache, pour inventer une Ariane dont on suit le fil, guide inconscient suspendu entre la chair et le ciel, du premier mouvement jusqu'à l'incertitude de la limite.
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Je voulais te porter;
Jusqu'à moi ;
Décupler ;
Les odeurs ;
Et les pôles ;
Voulais déployer ;
Ton murmure ;
à hauteur des cercles
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Livre posé au bord de la disparition, Éternité à coudre se déploie comme une parole rituelle, un exorcisme. Penché sur le néant, cherchant un abri dans les mots et les corps, quelque chose de l'ordre de la permanence du monde dans les cendres, dans les noms brûlés, les noms mâchés.
Poème hanté par la présence d'une folie individuelle, intime, qui se déporte sur le collectif, envahit la communauté de nos angoisses, de nos peurs. Debout sur la rive, dans un geste de coudre nos éternités et nos solitudes, que regardons-nous ainsi à la dérive ? Une tache du monde, un incendie. La mécanique folle des jours, le sang des jours, on emplit l'éternité dans des sacs, dans les sacs pleins de l'histoire. Trop lourds à porter.
Qui pèsent sur nous et nous essayons malgré tout d'arracher quelque chose du monde ou du langage.
Avec quels mots passer dans les ombres ? Quels mots pour nous rapprocher de la consolation de l'autre, au milieu des larmes. Esther Tellermann, dans une oscillation permanente entre nos intimités noires et nos accès de clarté, livre un poème en forme de mélopée, "moitié caillou, moitié prière".
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C'est un récit tragique, une narration sans personnages qui embrasse l'humanité en silhouettes coulées dans les « digressions de l'existence », ces hommes prisonniers de leurs répétitions nostalgiques, de la paranoïa généralisée. Balancés entre le meurtre et l'oubli, le sexe et la fondation. On traverse les drames comme en rêve, mais rêve violent et désespéré, sans autre prise que la chair. On ne peut plus rien imaginer, dans ce monde photographié, que des bruits de mitraillettes. Le lyrisme est brisé, comment faire avec ces vieilles images des livres dans un monde explosé ? Que reste-t-il à raconter ? Quelle dernière fiction peut-on soulever pour toucher l'extrémité de notre disparition ?
L'homme a perdu la fable, pris dans ses tortures, ses vitrines, ses images disséminées, il est impuissant, en fuite, sourd aux chuchotements de l'histoire. L'homme a trop de moyens d'être en vie, il doit toucher pour croire, enfoncer des mains sales dans la glaise. Il frappe, teste la résistance des corps, la résistance de la vie. Jusqu'à faire céder l'amour. On s'abandonne toujours brièvement dans le corps de l'autre, en dernière consolation. On se souvient de l'odeur de la détresse. Car au fond, « c'est soi qu'on aime, c'est soi qu'on tue ».
Esther Tellermann, dans ce livre fulgurant, nous demande comment retrouver une première version du monde, dans la répétition du même, dans la poursuite notre « acharnement à disparaître ».
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Depuis Première apparition avec épaisseur (1986), Esther Tellermann a publié l'essentiel de son oeuvre poétique chez Flammarion. Elle est également l'auteur d'essais et de récits. Le Prix Max Jacob lui a été attribué pour Sous votre nom (Poésie/Flammarion, 2015).
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Dans les quatre parties de ce recueil qui oscille entre l'énigme du mythe et la violence du présent, l'auteure poursuit sont exploration vers la contrée des vivants et des morts et esquisse également un portrait plus intérieur.
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Par rapport à ses autres livres, cette suite poétique d'esther tellermann fera date. elle se compose d'un ensemble de textes en relation directe avec la lecture qu'elle aura réalisé des Carnets du poète andré du Bouchet.
Faite de rigueur et de liberté, son écriture va bien au-delà d'une simple lecture, car il s'agit d'inviter le lecteur à la suivre sur les terres de l'un des poètes les plus exigeants, et sans aucun doute, des plus importants, de la seconde moitié du xxe siècle. chez esther tellermann, l'expérience de lecture est simultanément expérience du monde, proposant ainsi une approche poétique selon une double perspective : de ce qui aura été éprouvé dans le geste, dans l'instant de lecture et donc de la réception proprement dite ; puis dans le travail de création, lequel aura permis non seulement d'ouvrir selon de nouvelle voies expressives les textes lus, mais aussi de conduire à partir de ceux-ci une parole poétique au-delà du cadre sensible qui aura présidé à leur constitution. il ne s'agit pas pour elle de limiter le traitement de la parole, comme s'il s'agissait d'un motif différé, d'un prétexte de facilité, mais bien de poser une vue sur les textes de du Bouchet à l'origine de l'écriture de ces poésies.
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Au coeur de ce travail de lecture revient le motif qui hante tellermann : nous cherchons tous un impossible. Dans une langue tendue par la réflexion et la méditation, esther tellermann nous invite à reprendre les questions essentielles sur la création littéraire et poétique dès son ouverture sur une étude consacrée à Dante. Pour elle, « le poème rejoint le mythe : c'est une manière de rejoindre, dans l'événement, le geste de tous ceux qui ont fait de l'imperfection, de l'irréconciliable, une oeuvre. c'est une manière de dialoguer à travers le temps, d'avoir plusieurs filiations, plusieurs noms qu'on peut à chaque fois perdre, retrouver, mais constitutifs de son nom propre.
Cependant, la loi du langage est une loi qui nous dépasse, qui plie le rêve cosmique, le limite à des sons, des rythmes, fait du poème la grille où l'infini de la matière du monde se fait parole subjective. «L'épique», la sublimation, c'est cela aussi : ce qui noue l'histoire d'une singularité au tragique de l'histoire collective. habiter le poème, sa terre mentale, oblige à accueillir l'histoire, à sortir de l'autobiographie comme de l'anonymat, à construire un sujet contre la puissance du mythe, à bâtir un nom. Je pense à Paul celan, à ossip Mandelstam, à trakl ; à ceux qui ont transformé la nuit, l'étoile, la boue et les soleils. » (esther tellermann)
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Sans marquer à proprement parler une rupture par rapport à ses livres antérieurs, Contre l'épisode témoigne d'une inflexion nouvelle dans l'oeuvre d'Esther Tellermann, dont on a pu dire qu'elle déroulait « un récit énigmatique - celui, peut-être, d'une origine - dont chaque séquence déterrerait une tablette invisible ou enfouie ». C'est dans la section centrale, qui donne d'ailleurs son titre au livre, que se perçoivent essentiellement les échos de ce drame caché dont la voix toujours souveraine - mais ici plus rauque, plus heurtée - semble répercuter de strophe en strophe l'effroi initial.
La séquence d'ouverture : Voix à rayures, inscrit cette scène indicible dans la nuit de l'Europe, de sinistre mémoire, où nulle « ombre n'a su / séparer l'ombre ». La dernière section : Inquiétude fixe, renoue le dialogue avec les paysages immobiles et les figures ancestrales qui nourrissent depuis toujours la poésie d'Esther Tellermann : au confluent de l'Histoire et du mythe, de la louange et du deuil, du sacrifice et du chant.
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Dès l'origine, avant même que les mots viennent buter contre le blanc de la page, contre son silence, il y a chez Esther Tellermann comme le constat d'une aporie. Comment l'appréhender, comment le dire, ce manque qui préexiste à l'avancée de l'oeil et de la conscience, alors que le monde est là, déjà, depuis toujours, dans la distance ? Quelque chose peut-être s'est perdu en deçà de la perception - et ne reste que cet effort pour faire coïncider dans la syntaxe des signes l'absence du dedans et l'extériorité des spectacles. Demeure aussi la douleur. À la géométrie impeccable du monde, à la richesse trop évidente des couleurs, des senteurs, des sucs, répondre par quelques notations furtives, quelques itinéraires vers le «point central» qui se dérobe, dans la hâte et la lucidité de l'instant : je parle vite ou je ne parle pas.
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L'oeuvre d'Esther Tellermann est la relation d'une quête indéfiniment reprise - puisque sans terme, sans origine - vers une incertaine mais essentielle unité. Chacun de ses recueils n'est au fond qu'une étape, un chapitre isolé de ce récit énigmatique tour à tour esquissé, effacé, assuré de sa source et rendu à ses propres cendres, après l'embrasement des lieux et des formules. Pangéia s'inscrit bien sûr dans la continuité de cette démarche : on a donc moins affaire ici à des poèmes isolés qu'à des « fragments », organisés en suites (ou séquences), dont le matériau est sans cesse émondé, retravaillé, afin de faire jouer l'ombre et la lumière conjointes des signes, sur la page intérieure où se profile, fugacement, un seul texte invisible - dans la perpétuelle nuit du monde, le jour fragile de la parole inscrite. Faut-il ou non une piscine ? Doit-on échanger cacahuètes et apéritif avec des voisins ? À quoi sert-il de hanter les « vide-greniers » ? Plus proche de Laurel et Hardy que de Le Corbusier, le couple se pose, entre autres, ces questions existentielles. Son histoire, confondue avec celle d'une maison improbable, rejoint le « fantasme manoir » de tout le monde. Elle est triste à pleurer de rire.
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Des "fragments" de poésie qui font jouer l'ombre et la lumière des mots.
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Ce sixième volet est une nouvelle étape de la narration de l'auteur commencée il y a 20 ans : un récit énigmatique tour à tour esquissé, effacé, embrasé et rendu à ses propres cendres, selon l'aternance des lieux et des formules.
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Une femme veut apposer au monde sa grille de lecture.
Mais le monologue qu'elle engage s'infléchit des paroles courantes, des voix des maîtres, des amants, des livres qui le tissent et dont il est l'écho. Il ne rencontre pourtant aucune réponse à son interrogation lancinante de nos idéaux, de nos peurs, de nos ratés, sinon la découverte des impasses de l'amour. Expérience de soi-même sur soi-même donc, que ce parcours ironique d'une candide dans la folie contemporaine, au terme de quoi rien n'est révélé que l'urgence du désir.
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M'avait-il donn l'empreintede sa tempeun mot que dpose une pluie ?Un instant unesyllabeune ville autrementdes sillons dansles soirs puis tout coupse retire votre nuitqui m'veille.