« C'est moi qui remplace la peste », s'écriait Caligula, l'empereur dément. Bientôt, la « peste brune » déferlait sur l'Europe dans un grand bruit de bottes. France déchirée aux coutures de Somme et de Loire, troupeaux de prisonniers, esclaves voués par millions aux barbelés et aux crématoires, La Peste éternise ces jours de ténèbres, cette « passion collective » d'une Europe en folie, détournée comme Oran de la mer et de sa mesure.
Sans doute la guerre accentue-t-elle la séparation, la maladie, l'insécurité. Mais ne sommes-nous pas toujours plus ou moins séparés, menacés, exilés, rongés comme le fruit par le ver ? Face aux souffrances comme à la mort, à l'ennui des recommencenments, La Peste recense les conduites ; elle nous impose la vision d'un univers sans avenir ni finalité, un monde de la répétition et de l'étouffante monotonie, où le drame même cesse de paraître dramatique et s'imprègne d'humour macabre, où les hommes se définissent moins par leur démarche, leur langage et leur poids de chair que par leurs silences, leurs secrètes blessures, leurs ombres portées et leurs réactions aux défis de l'existence.
La Peste sera donc, au gré des interprétations, la « chronique de la résistance » ou un roman de la permanence, le prolongement de L'Étranger ou « un progrès » sur L'Étranger, le livre des « damnés » et des solitaires ou le manuel du relatif et de la solidarité - en tout cas, une oeuvre pudique et calculée qu'Albert Camus douta parfois de mener à bien, au cours de sept années de gestation, de maturation et de rédaction difficiles...
« Sur le pont, je passai derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve. De plus près, je distinguai une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, à laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, après une hésitation. [...] J'avais déjà parcouru une cinquantaine de mètres à peu près, lorsque j'entendis le bruit, qui, malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d'un corps qui s'abat sur l'eau. Je m'arrêtai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement. »
TDeux siccles de révolte, métaphysique ou historique, s'offrent justement ´r notre réflexion. Un historien, seul, pourrait prétendre ´r exposer en détail les doctrines et les mouvements qui s'y succcdent. Du moins, il doit etre possible d'y chercher un fil conducteur. Les pages qui suivent proposent seulement quelques repcres historiques et une hypothcse de lecture. Cette hypothcse n'est pas la seule possible ; elle est loin, d'ailleurs, de tout éclairer. Mais elle explique, en partie, la direction et, presque enticrement, la démesure de notre temps. L'histoire prodigieuse qui est évoquée ici est l'histoire de l'orgueil européen.t
'En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement tâché à rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai...
La haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu'elles firent pour se mettre en accord avec le meurtre - et pour dire ainsi où est notre fidélité.' Albert Camus.
«Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide.» Avec cette formule foudroyante, qui semble rayer d'un trait toute la philosophie, un jeune homme de moins de trente ans commence son analyse de la sensibilité absurde. Il décrit le «mal de l'esprit» dont souffre l'époque actuelle : «L'absurde naît de la confrontation de l'appel humain avec le silence déraisonnable du monde.»
Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.
Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux, et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient.
Quoi qu'il puisse arriver, Jonas, peintre au talent reconnu, croit en sa bonne étoile - jamais elle ne cessera de l'aider et de le guider. Pourtant la vie, ses proches, ses amis, ses disciples l'acculent peut à peu à la stérilité artistique...
Un ingénieur français, en mission au Brésil, est confronté aux superstitions et au mysticisme des indigènes. Mais l'amitié qu'il éprouve pour l'un d'entre eux aura raison de son scepticisme.
Deux magnifiques nouvelles à la fin mystérieuse et ambiguë.
'Je suis certain qu'on ne peut être heureux sans argent. Voilà tout. Je n'aime ni la facilité ni le romantisme. J'aime à me rendre compte. Eh bien, j'ai remarqué que chez certains êtres d'élite il y a une sorte de snobisme spirituel à croire que l'argent
Les quatre Lettres à un ami allemand, écrites sous l'Occupation et destinées à des publications clandestines, expriment déjà la doctrine de La peste et de L'homme révolté. Elles se placent sous l'invocation de Senancour qui, en une formule saisissante, avait résumé la philosophie de la révolte : 'L'homme est périssable. Il se peut ; mais périssons en résistant, et si le néant nous est réservé, ne faisons pas que ce soit une justice !'
'C'est les jambes flageolantes que je reçois le premier coup de New York. Au premier regard, hideuse ville inhumaine. Mais je sais qu'on change d'avis. Ce sont des détails qui me frappent : que les ramasseurs d'ordures portent des gants, que la circulati
On aura peut-être été un peu surpris de voir dans ces discours l'accent porté par Camus sur la défense de l'art et la liberté de l'artiste - en même temps que sur la solidarité qui s'impose à lui. Cela faisait certes partie de ce que lui dictaient les circonstances et le milieu où il devait les prononcer, mais il est certain que Camus se sentait accablé par une situation où, selon ses propres paroles, le silence même prend un sens redoutable. À partir du moment où l'abstention elle-même est considérée comme un choix, puni ou loué comme tel, l'artiste, qu'il le veuille ou non, est embarqué. Embarqué me paraît ici plus juste qu'engagé. Et malgré une certaine éloquence - qu'on lui reprochait également - il se sentait profondément concerné et douloureusement atteint par un conflit qui le touchait jusque dans sa chair et dans ses affections les plus enracinées.
Carl Gustav Bjurström.
Les quatre Lettres ´r un ami allemand, écrites sous l'Occupation et destinées ´r des publications clandestines, expriment déj´r la doctrine de La peste et de L'homme révolté. Elles se placent sous l'invocation de Senancour qui, en une formule saisissante, avait résumé la philosophie de la révolte : 'L'homme est périssable. Il se peut ; mais périssons en résistant, et si le néant nous est réservé, ne faisons pas que ce soit une justice !'
Les Possédés sont une des quatre ou cinq oeuvres que je mets au-dessus de toutes les autres. A plus d'un titre, je peux dire que je m'en suis nourri et que je m'y suis formé. Il y a près de vingt ans en tout cas que je vois ses personnages sur la scène. Ils n'ont pas seulement la stature des personnages dramatiques, ils en ont la conduite, les explosions, l'allure rapide et déconcertante. Dostoïevski, du reste, a, dans ses romans, une technique de théâtre : il procède par dialogues, avec quelques indications de lieux et de mouvements. L'homme de théâtre, qu'il soit acteur, metteur en scène ou auteur, trouve toujours auprès de lui tous les renseignements dont il a besoin. Aujourd'hui, voici Les Possédés sur la scène. Pour les y porter, il a fallu plusieurs années de travail et d'observation. Et pourtant, je sais, je mesure tout ce qui sépare la pièce de ce prodigieux roman ! J'ai simplement tenté de suivre le mouvement profond du livre et d'aller comme lui de la comédie satirique au drame, puis à la tragédie.