Le modèle naturel des mathématiques, c'est la chose commune réduite à ce qui constitue sa choséité. La choséité, oeuvre achevée du temps, ne garde de nos choses que les deux conditions nécessaires et suffisantes pour qu'une chose soit une chose : la stabilité et la multiplicité. Or les choses stables et multiples n'existent que dans le regard du vivant. C'est en particulier, après celle de Kant, la leçon de la physique quantique.
L'illusion des philosophes « réalistes » - dont Badiou, Meillassoux, Tiercelin -, à l'origine des "métaphysiques réalistes et scientifiques", illusion selon laquelle, par l'intermédiaire des mathématiques, nous aurions tous accès à l'absolu défini comme ce qui existe indépendamment de nous, est ici mise au jour.
L'absolu ne se définit pas. Il surgit tout à coup, c'est l'accès à une autre vérité, celle de l'être, indemne de tout travail logique. Cette autre vérité est méta-physique, hors de la marche du temps, hors de la physis.
Par rapport aux « Apports à la philosophie » de Heidegger, ces « Apports » ne sont pas seulement complémentaires, ils montrent aussi leurs divergences. Ceci laisserait prévoir trois chapitres :
1) Puisqu'il s'agit de compléments, commencer par rappeler les apports heideggériens à la philosophie.
2) Montrer en quoi les apports de Heidegger à la philosophie, par certains de leurs aspects, semblent se fourvoyer.
3) Enfin et surtout, après Heidegger et dans sa continuité, faire les quelques pas de plus.
Cependant, ces apports complémentaires ne sont pas écrits chapitre après chapitre suivant l'ordre ci-dessus. Le rappel des apports de Heidegger, leurs prolongements, les divergences, viennent ensemble au fur et à mesure de la méditation et de son dire.
En 2013 était réédité par les presses universitaires de France un livre écrit par neuf philosophes du groupe MENS (Métaphysique à l'école normale supérieure) sous la direction de Francis Wolff - professeur à l'ENS - et dont le titre, prometteur, est : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
C'est cet ouvrage qui est censé, selon Francis Wolff, relancer l'intérêt pour la métaphysique, qui sert d'exemple à Serge Druon pour montrer la grande misère de la philosophie contemporaine.
L'édition institutionnelle de la philosophie et le sérail universitaire constituent un entre-soi où se garde soigneusement le monopole de ce qui se publie en matière de pensée. Alors, comment pense et écrit cet entre-soi constitué, institué, arrivé, de la philosophie ?
C'est dans l'oeuvre qu'il n'a pas lui même publiée et en particulier dans ses textes les moins connus et les moins commentés que Kafka se livre le plus ouvertement. Bien sûr, c'est d'abord dans ses journaux, mais c'est aussi dans Description d'un combatet dans les Recherches d'un chien que l'on peut découvrir la mission qu'il s'est donnée, son mandat. Il y apparaît une grande communauté de pensée avec Heidegger. Heidegger avait-il lu Kafka ? Très probablement, bien qu'il n'en ait rien laissé paraître.
Kafka est là, au départ le plus matinal de l'homme, à la naissance ; sa vie n'est que naissance, commencement.
L'accès à cette autre vérité - celle du « voyant » - fait quitter le monde commun, celui que nous habitons tous depuis l'enfance, celui à l'intérieur duquel notre dialogue est possible et que Rimbaud évoque toujours par « ici ». Ceux d'entre nous qui l'ont vécu finissent par dire comme lui : « Je ne suis plus au monde. » S'ils vivent, s'ils consentent à vivre, c'est dans un autre monde, dont Arthur dit à Victor qu'il est translogique par rapport au monde commun, par rapport au logos, par rapport à « ici ». Néanmoins, ils connaissent le monde commun, ils connaissent la règle de son jeu puisqu'ils y ont passé leur enfance : quel ennui, l'heure du « cher corps » et « cher coeur ».
D'un monde à l'autre, le dialogue est impossible, la logique ne passe pas, il faut franchir une contradiction.