Au mois de novembre 2010, Pascal Quignard et la danseuse de butô Carlotta Ikeda ont créé la pièce medea, sur la scène du Théâtre Molière, à Bordeaux. Cette rencontre de la danse et de la littérature était-elle donc marquée du sceau de l'inéluctable ? Oui, parce que la danse est au coeur de l'oeuvre de Pascal Quignard, depuis toujours, et elle éclaire indirectement le sens de ses collaborations multiples, avec des peintres, des musiciens, des comédiens. Affirmer la nécessité esthétique et logique de cet événement peut cependant surprendre car, dans le premier temps de l'oeuvre, le corps et sa danse n'apparaissaient guère. Pourtant, quand je l'interrogeais à ce sujet dans les entretiens que nous avons menés ensemble en 2000, il répondit ceci : « La danse est un art, bien sûr. J'en parle très souvent, quoi que vous en disiez, sous la forme du corps humain tournant la tête, tombant les bras levés, versant en arrière. ». Cette réponse m'a laissée songeuse. Je n'avais pas lu la danse dans son oeuvre, et c'est cette erreur de lecture - ou cette myopie - que l'écriture du présent essai a voulu corriger. Aussi ai-je souhaité lire ici ce que je n'avais pas lu, comprendre ce que je n'avais pas compris, en retraçant l'histoire de cette présence, à la fois fantomatique et réelle, du corps et de sa danse dans l'oeuvre.
À l'heure où l'on s'inquiète de la place de la littérature française sur la scène internationale, cet ouvrage établit l'état actuel des recherches qui lui sont consacrées dans le monde. Il présente les enseignements, travaux et publications, et met en évidence les particularités observables selon la diversité des zones géographiques, linguistiques et culturelles. Après la domination successive des écoles formalistes et structurales, puis de celles issues de la French Theory et de la déconstruction, aucune méthode ne semble aujourd'hui s'imposer, et la recherche, désormais plus syncrétique, préfère croiser des approches de nature diverse. Quelques-uns des meilleurs spécialistes mondiaux montrent ainsi quels sont, depuis le basculement d'un siècle à l'autre, les écrivains et les esthétiques les plus étudiés, les méthodes critiques privilégiées et les relations qu'elles entretiennent avec les autres disciplines de la pensée.
Les nombreux travaux réalisés en collaboration avec des artistes, peintres, plasticiens ou musiciens constituent désormais la majeure partie de l'oeuvre de Michel Butor. Ils demeurent cependant peu connus, et sont rarement envisagés par une critique qui s'en tient toujours aux romans de l'écrivain. Or ces réalisations visent à promouvoir un « dialogue avec les arts » où s'affirme la radicalité d'une démarche résolument moderne. Ce « dialogue » permet de mieux comprendre, rétrospectivement, le véritable projet des premiers livres (de L'Emploi du temps, à Description de San Marco...) en les situant enfin dans une entreprise d'envergure. Surtout il manifeste l'émergence d'une réflexion critique originale sur le statut de la création artistique dans le monde contemporain, saisi à travers ses enjeux poétique, politique, esthétique et philosophique.
Réda marche, qui s'en étonnerait ? Il s'engage dans une rue - la première venue est toujours la bonne -, tombe sur une impasse, rebrousse chemin, s'arrête pile pour suivre des yeux le jeu des nuages, peste contre les automobilistes, remonte un boulevard, échange quelques mots avec un passant, emprunte une ruelle, tombe en arrêt devant une vitrine de jouets anciens, remonte un boulevard, achète La Vie du rail. Ses pas composent ainsi un jardin aux sentiers qui bifurquent. Peu lui importe de se perdre : on est toujours perdu. Le fil d'Ariane, celui que le critique voudrait lui nouer à la patte, pour pouvoir le suivre - le filer -, il l'arrache aussitôt, avec impatience. Que cherche-t-il ? Il ressemble à un homme qui aurait perdu quelque chose et qui n'aurait de cesse de le retrouver. Mais voilà, et c'est une difficulté de taille, il ne sait plus ce qu'il a perdu. Peut-être même, cet objet, l'a-t-il aperçu, pris en main, puis rejeté. C'est ainsi que dans les contes le héros croise la bonne fée sans lui accorder plus d'importance qu'à une personne ordinaire et ne se rend compte qu'après de sa méprise. Trop tard ! Aussi est-il un écrivain mélancolique, c'est-à-dire un artiste condamné à chercher inlassablement un objet perdu sans remède. Sans autre remède, en tout cas, que de continuer à lancer sa phrase à l'aveuglette, une phrase, puis une autre, et une autre encore. Chacune vient s'enrouler autour de ce centre absent. Cette recherche inquiète n'en est pas moins drôle. Le saturnien, par pudeur et pour la tenir à distance, retourne sa détresse en humour, constituant ainsi un mélange instable, mobile, capricieux. Nous avons donc suivi Réda dans sa course, d'un bord à l'autre de son oeuvre, tantôt de loin, tantôt presque au coude à coude. Nous aurions aimé le lui retrouver, cet objet perdu, et le lui offrir, à supposer qu'il existe. Rien n'est moins sûr. A défaut, ce petit livre d'accompagnement.
Dessin à regarder de traviole, le titre d'Artaud formule un étrange mode d'emploi, tout comme sa définition du lecteur de poésie - lire l'oeuvre d'un poète c'est avant tout lire au travers - restitue à la lecture une étrange valeur d'usage. Ecrire, lire, dessiner, penser, regarder de traviole, au travers, là serait l'unique chance pour que le réel advienne, dans la décomposition et l'ouverture des formes, le renoncement à l'identité, la violence faite au langage, le refus de tout système fabricateur de réalité. A partir de la revue Documents qui fut dirigée, par Georges Bataille, c'est l'exigence et le travail du réel que ce livre tente d'explorer. Ou comment la littérature, la peinture, la pensée critique, en fustigeant l'ancienne attitude esthétique qui n'aurait été qu'escamotage, mensonge et sérieux métaphysique, s'acharnent à déstabiliser les codes de perception et à faire voir le réel, inventent un tout autre réalisme.
Le journal quotidien L'Action française ne se contenta pas, de 1908 à 1944, de véhiculer les positions traditionalistes, nationalistes et monarchistes de Maurras ; mais, ses pages hebdomadaires intitulées "La vie littéraire" ainsi que d'autres articles rendaient compte de la littérature. Une doxa s'est imposée, selon laquelle cette critique serait éclectique et ferait fi des thèses conservatrices ou extrémistes du journal. Or, Maurras, Léon Daudet, Brasillach, Maulnier et leurs confrères, dans leur panorama de la littérature française, placent le xviie siècle sur un piédestal et considèrent les siècles suivants comme des degrés vers une décadence progressive. Leurs critères d'appréciation relèvent de l'idéologie et de la politique : nationalisme intégral et souvent xénophobe, défense des valeurs traditionnelles, haine de la République. Sauf en de rares exceptions (chez Daudet et Maulnier), ils passent à côté des grands noms de la modernité littéraire. Or, cette critique (étudiée dans cet ouvrage de 1931 à 1944), anachronique à nos yeux, refléta l'esprit de son époque et elle agit sur lui ; elle se trouva, par exemple, en synchronie avec la présentation de la littérature dans les manuels scolaires, et ce d'une manière durable.
Consacré aux Comiques, cet essai aménage une promenade dans les Lettres et les Arts, d'Alphonse Allais à Marcel Duchamp, en passant par Charlot - mais aussi du politique au poétique ou de l'incongruité au sublime. Car la veine comique s'entremêle à d'autres, qui l'exaltent. Tout en confrontant les principales théories du rire, l'ouvrage interroge la teneur d'un comique pur, cher à Baudelaire. Produisant le non-sens, la mystification et toutes sortes d'effets problématiques, l'humour « moderne » profane la composante sacrée de l'Art.
« Qu'est ce que le Nouveau Roman ? » Ce livre pose qu'il n'est pas uniquement constitué par l'ensemble d'oeuvres rangées sous cette étiquette, mais bien plus par les différents discours qui ont accompagné la production romanesque. Manifestes, entretiens, débats... ont peut-être plus fait pour imposer cette notion littéraire que les textes eux-mêmes, très novateurs certes, mais aussi très divers dans leurs enjeux et leurs pratiques. Bien que les « nouveaux romanciers » aient écrit des romans « nouveaux », ils ne sont en effet reconnus comme tels que par les commentaires que leurs oeuvres suscitent, et par leurs propres prises de position. Aussi est-ce à ces textes décisifs et à leurs dispositifs énonciatifs que se consacre le présent ouvrage, plus particulièrement aux essais et interventions de Nathalie Sarraute et Alain Robbe-Grillet. Galia Yanoshevsky montre ainsi comment les discours s'emploient à fonder une esthétique et à lui donner corps au delà de la diversité des textes.
L'oeuvre d'André Breton, dans son ensemble, est une Histoire d'eau : elle est irriguée par des fontaines qui surgissent çà et là sous sa plume afin que se réalise son pro-jet de suspendre, en un « point sublime » qui s'avère être un point d'eau, des antinomies telles que le même et l'autre, le haut et le bas, le mouvement et l'immobilité, l'esprit et la matière. Le jet d'eau y apparaît en tant que thème valant par sa forme, ses connotations, ses renvois à d'autres images, sa circularité infinie, son dynamisme incessant, sa tension aporétique entre fluidité et solidité, montée et descente, exultation et abattement, etc. Mais simultanément, il apparaît comme figure valant par sa force, sa valeur seconde, métaphorique, allégorique ou parabolique, sa tendance à l'auto-réflexivité, son aptitude à représenter l'ordre du discours où il surgit. Non seulement thème mais méta-thème, le jet d'eau est l'une des images que véhicule le discours surréaliste tout en étant aussi le principe même dont elles sourdent toutes. Créateur d'images, Breton aime aussi à se pencher sur elles, à les observer et les interroger pour en percer le mystère, au moment même où il survient. Devant l'image du jet d'eau, il est arrêté, ravi en extase, exalté par la figure de son projet.
Comme il y a un secret de Monte-Cristo, il y a un secret d'Alexandre Dumas. Ce secret concerne l'identité de l'écrivain, et non plus les motifs qui ont dicté le choix du nom porté par le héros. Chacun de ses écrits, de façon éminemment cryptée, remonte à une origine « nègre » rebelle - sa grand'mère était esclave -, mais fait appel aussi à une origine « blanche » conforme - son grand-père était un hobereau normand parti chercher fortune aux Îles dans le sucre et la traite -, qu'il a décidé toutes deux de revendiquer. Le présent ouvrage explore les méandres suivis à travers l'oeuvre dans ce difficile jeu de bascule et met au jour ce qu'il en est de la véritable négritude d'âme et de peau assumée par Dumas. Il montre quels curieux substituts certains animaux totémiques offrent au fervent chasseur que celui-ci affiche être. Il découvre aussi par quelle « cuisine » la bête élue doit être apprêtée pour convenir au destin - au festin - symbolique qui est, de toute nécessité, le sien. Ce n'est donc pas pour rien que l'écrivain clot son oeuvre par un Dictionnaire de Cuisine. Une page est un plat, et la viande esprit, si l'encre est farine.