Hitler fait-il vendre ? On peut se poser la question face à la recrudescence de films sur le national-socialisme réalisés dans l'Allemagne réunifiée : La Chute, Opération Walkyrie, Rosenstrasse, Sophie Scholl. Ces films ont pour thèmes principaux les dernières heures du régime, la résistance allemande ou la persécution des Juifs. Partant du constat que le cinéma se fait le reflet des interrogations et des aspirations qui travaillent une société à un moment donné de son histoire, les auteurs ont étudié les fictions cinématographiques et télévisuelles allemandes des deux dernières décennies. En croisant les enjeux mémoriels et esthétiques, ils se sont interrogés sur les possibilités et les formes de la représentation et de la transmission : le regard sur les victimes et les coupables a-t-il évolué ? Des tabous sont-ils brisés, par exemple dans la représentation du dictateur ? Peut-on parler d'un changement de paradigme dans l'Allemagne réunifiée ? Les auteurs, des chercheurs germanophones et francophones de différentes disciplines (Études germaniques, Histoire, Cinéma, Esthétique), proposent une approche transdisciplinaire et novatrice sur un sujet en prise sur l'actualité allemande qui constitue un champ de recherche peu exploré en France.
Le texte philosophique est un objet à part entière du vaste projet humaniste de restauration de la culture antique qui s'épanouit à partir du xve siècle en Italie et dans toute l'Europe. On ne saurait philosopher sans commenter. Si les trois grandes pratiques philologiques - éditer, traduire, commenter -, fondements de la démarche humaniste, restent les héritières des écoles anciennes et de l'université scolastique, le geste humaniste les renouvelle en apportant une rigueur méthodologique et une ouverture nouvelles. De l'institution universitaire aux nouveaux centres du savoir, la frontière est poreuse et le commentaire philosophique se révèle le lieu privilégié de la rencontre de courants divers. C'est de la dialectique qui s'établit entre différentes approches que témoigne le commentaire philosophique à la Renaissance plutôt que d'une pratique radicalement différente et opposée. Le commentaire traditionnel n'en est pas moins infléchi, et s'élabore une nouvelle façon de philosopher : l'élargissement du corpus, les apports de la philologie et d'autres disciplines, l'ouverture à de nouveaux courants insufflent à la pratique du commentaire philosophique une remarquable plasticité. Les études réunies dans le présent volume se proposent d'analyser la refondation humaniste de la philosophie antique par l'activité du commentaire tout au long des xve et xvie siècles.
Pourquoi la santé, régulièrement qualifiée de « bien public mondial », demeure-t-elle un domaine où les inégalités internationales sont si profondes ? Analyser ce paradoxe constitue l'objectif de cet ouvrage. Au-delà des travaux polémiques ou techniques sur l'accès à la santé, cet essai s'attache d'abord à expliquer les fondements théoriques des biens publics mondiaux et leur application à la santé. Les faiblesses et contradictions de ces fondements théoriques débouchent sur l'ambiguïté de la notion de santé comme bien public mondial et remettent en cause la légitimité de l'agenda de la santé impulsé par les acteurs de l'aide au développement. L'analyse proposée ici se démarque également en étudiant la façon dont les normes internationales ont abouti à des programmes de santé, dits coopératifs, aux effets mitigés sur les terrains africains. Cet ouvrage participe alors aux débats sur le devenir de la santé comme objectif mondial. Il s'inscrit résolument dans une approche d'économie politique de la santé et du développement, étudiant les processus de production de la santé, traversés par des rapports de forces qui n'ont rien à voir avec un quelconque optimum technique. Les acteurs dominants - firmes, organisations internationales, think tanks - façonnent en effet les modes de pensée et les programmes. Ce livre s'adresse aux spécialistes de la santé et du développement mais également aux acteurs de terrain - ONG, professionnels de santé - et aux lecteurs intéressés par la santé comme enjeu de solidarité internationale.
Dans les tragédies grecques, le savoir est souvent dangereux. L'universalité de leurs héros et la richesse des réécritures qu'ils ont inspirées tiennent en partie à leur capacité à incarner l'ambivalence d'une connaissance vitale et destructrice. La tragédie grecque est par nature un lieu privilégié de mise en oeuvre des conflits intérieurs et extérieurs suscités par le savoir : nombre de ses héros sont confrontés aux risques de leur propre connaissance, susceptible d'apporter à son détenteur, mais aussi aux siens, à la cité, à l'humanité, voire à l'univers entier, la prospérité, la puissance, la renommée, mais aussi la destruction, le malheur, l'opprobre. Le plus souvent, c'est l'usage du savoir qui est en jeu, quand il est détourné, voire perverti, ou quand, paradoxalement, aucun usage n'est fait d'une connaissance dont la révélation suscite incrédulité et violence. Mais parfois, c'est aussi le fait même de savoir qui est en soi dangereux, soit qu'accède à la connaissance quelqu'un qui ne devrait pas y accéder, soit que cette connaissance soit inacceptable pour les dieux. Ce livre vise à définir la spécificité de l'écriture tragique dans l'articulation entre savoir et danger. Cette réflexion, enracinée dans les textes d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, s'ouvre aussi aux remodelages littéraires qui, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, ont infléchi, métamorphosé, décalé, voire inversé les configurations symboliques et narratives héritées du ve siècle avant J.-C.
Le « roi coton » joue sans conteste un rôle majeur lors de la première Révolution industrielle. Et dans le Nord de la France, nombreux ont été ceux qui, un siècle et demi durant, ont entrepris de filer, de tisser ou d'imprimer des toiles. Dans ce territoire frontalier de longue tradition textile, le travail de la fibre se greffe là où régnaient en maîtres la laine et le lin. Partant d'une analyse fine de l'attente des consommateurs, Mohamed Kasdi montre comment cette activité s'immisce très tôt dans le travail manufacturier, tant à la ville qu'à la campagne. Produits innovants, changements technologiques, prise de risques financiers, conquête des marchés : dans une économie régionale qui, au fil du xviiie siècle, s'essouffle progressivement, le coton impulse une dynamique renouvelée. Quand surviennent les bouleversements révolutionnaires, ni le dérèglement des circuits commerciaux ni les incertitudes du lendemain ne constituent des freins. Au contraire : nombreux sont ceux qui, fort possessionnés ou gens de peu, prennent des initiatives permettant toutes, à des échelles diverses, de moderniser l'appareil productif. L'Empire, quant à lui, confirme ce qui était en gestation tout en passant au tamis de la conjoncture le bon grain et l'ivraie. Dès lors, seuls, ou presque, survivent ceux qui disposent d'assises solides. Au cours des premières décennies du xixe siècle, mécanisation et concentration de la main-d'oeuvre achèvent la mue du secteur. De grandes dynasties du négoce régional font alors du coton le fer de lance de leur prospérité, modifiant durablement la carte productive : sortant de l'ombre portée de Lille, Roubaix et Tourcoing prennent leur essor en faisant du coton un produit phare.
Place forte de la pêche du hareng jusqu'en 1670, le port hollandais d'Enkhuizen connaît une restructuration économique profonde tout au long du xviiie siècle. L'effondrement démographique est spectaculaire, puisque la ville perd deux tiers de ses habitants entre 1622 et 1795. Connu depuis longtemps, le "déclin" d'Enkhuizen n'avait jamais fait l'objet d'une enquête sur son contenu et ses implications. L'ouvrage met en lumière un certain nombre de phénomènes comme l'émergence d'une société de l'entre soi ou la contraction de l'espace urbain utile. Repliée sur elle-même, la ville se déleste de ses pauvres tandis que le patriciat s'enrichit grâce au commerce asiatique. Cette société urbaine bouleversée se réinvente par le biais d'une mémoire civique commune, destinée à combattre le sentiment de déclassement. Cependant, les marqueurs identitaires mis en avant sont instrumentalisés par l'oligarchie locale, afin de justifier son maintien au pouvoir. Cette relecture sociale et culturelle du déclin hollandais du xviiie siècle constitue une approche nouvelle, pour un objet d'histoire devenu classique. Enkhuizen connait davantage un déclassement et une restructuration, qu'un déclin absolu et irrémédiable. L'enquête, inédite, s'appuie sur le dépouillement approfondi d'archives aux Pays-Bas. Elle vise également, par le biais de la bibliographie, à mettre à la disposition du lecteur français des informations et des concepts jusqu'ici largement inaccessibles aux non-néerlandophones.
Trente ans après le lancement de la politique de réformes et d'ouverture, le visage de la Chine a été profondément modifié. Cet ouvrage cherche à comprendre quelles ont été les évolutions structurelles du régime chinois tant sur le plan domestique qu'international. De quelle manière la politique chinoise a-t-elle évolué et quelle relation peut-on établir entre l'ouverture de la Chine au monde et sa politique intérieure ? À travers les contributions inédites de chercheurs français, chinois et hongkongais, ce livre tente de présenter les évolutions structurelles du régime. La question du modèle de développement est également abordée. À bien des égards les choix retenus en Chine furent à la fois innovants et propres au cas chinois. Fiscalité, développement durable, accueil des capitaux étrangers, sur bien des points la Chine présente des solutions singulières. Car aujourd'hui, forte de son nouveau poids économique, la Chine est amenée à repenser son rôle sur la scène internationale. Elle fonde sa nouvelle puissance sur des outils innovants (clean tech, économie, influence culturelle). La dynamique à l'oeuvre en Chine pose donc la question du développement dans la mondialisation mais aussi des équilibres internationaux à venir. Assistons-nous à l'émergence d'une nouvelle superpuissance ?
Au mois de novembre 2010, Pascal Quignard et la danseuse de butô Carlotta Ikeda ont créé la pièce medea, sur la scène du Théâtre Molière, à Bordeaux. Cette rencontre de la danse et de la littérature était-elle donc marquée du sceau de l'inéluctable ? Oui, parce que la danse est au coeur de l'oeuvre de Pascal Quignard, depuis toujours, et elle éclaire indirectement le sens de ses collaborations multiples, avec des peintres, des musiciens, des comédiens. Affirmer la nécessité esthétique et logique de cet événement peut cependant surprendre car, dans le premier temps de l'oeuvre, le corps et sa danse n'apparaissaient guère. Pourtant, quand je l'interrogeais à ce sujet dans les entretiens que nous avons menés ensemble en 2000, il répondit ceci : « La danse est un art, bien sûr. J'en parle très souvent, quoi que vous en disiez, sous la forme du corps humain tournant la tête, tombant les bras levés, versant en arrière. ». Cette réponse m'a laissée songeuse. Je n'avais pas lu la danse dans son oeuvre, et c'est cette erreur de lecture - ou cette myopie - que l'écriture du présent essai a voulu corriger. Aussi ai-je souhaité lire ici ce que je n'avais pas lu, comprendre ce que je n'avais pas compris, en retraçant l'histoire de cette présence, à la fois fantomatique et réelle, du corps et de sa danse dans l'oeuvre.
L'interrogation sur les instruments intellectuels de l'interprète est au coeur du présent volume. Indépendamment d'une orientation théorique ou philosophique prédéfinie, il s'agit ici de présenter certains des concepts où s'articule la rationalité herméneutique.
À l'heure où l'on s'inquiète de la place de la littérature française sur la scène internationale, cet ouvrage établit l'état actuel des recherches qui lui sont consacrées dans le monde. Il présente les enseignements, travaux et publications, et met en évidence les particularités observables selon la diversité des zones géographiques, linguistiques et culturelles. Après la domination successive des écoles formalistes et structurales, puis de celles issues de la French Theory et de la déconstruction, aucune méthode ne semble aujourd'hui s'imposer, et la recherche, désormais plus syncrétique, préfère croiser des approches de nature diverse. Quelques-uns des meilleurs spécialistes mondiaux montrent ainsi quels sont, depuis le basculement d'un siècle à l'autre, les écrivains et les esthétiques les plus étudiés, les méthodes critiques privilégiées et les relations qu'elles entretiennent avec les autres disciplines de la pensée.
Les nombreux travaux réalisés en collaboration avec des artistes, peintres, plasticiens ou musiciens constituent désormais la majeure partie de l'oeuvre de Michel Butor. Ils demeurent cependant peu connus, et sont rarement envisagés par une critique qui s'en tient toujours aux romans de l'écrivain. Or ces réalisations visent à promouvoir un « dialogue avec les arts » où s'affirme la radicalité d'une démarche résolument moderne. Ce « dialogue » permet de mieux comprendre, rétrospectivement, le véritable projet des premiers livres (de L'Emploi du temps, à Description de San Marco...) en les situant enfin dans une entreprise d'envergure. Surtout il manifeste l'émergence d'une réflexion critique originale sur le statut de la création artistique dans le monde contemporain, saisi à travers ses enjeux poétique, politique, esthétique et philosophique.
Réda marche, qui s'en étonnerait ? Il s'engage dans une rue - la première venue est toujours la bonne -, tombe sur une impasse, rebrousse chemin, s'arrête pile pour suivre des yeux le jeu des nuages, peste contre les automobilistes, remonte un boulevard, échange quelques mots avec un passant, emprunte une ruelle, tombe en arrêt devant une vitrine de jouets anciens, remonte un boulevard, achète La Vie du rail. Ses pas composent ainsi un jardin aux sentiers qui bifurquent. Peu lui importe de se perdre : on est toujours perdu. Le fil d'Ariane, celui que le critique voudrait lui nouer à la patte, pour pouvoir le suivre - le filer -, il l'arrache aussitôt, avec impatience. Que cherche-t-il ? Il ressemble à un homme qui aurait perdu quelque chose et qui n'aurait de cesse de le retrouver. Mais voilà, et c'est une difficulté de taille, il ne sait plus ce qu'il a perdu. Peut-être même, cet objet, l'a-t-il aperçu, pris en main, puis rejeté. C'est ainsi que dans les contes le héros croise la bonne fée sans lui accorder plus d'importance qu'à une personne ordinaire et ne se rend compte qu'après de sa méprise. Trop tard ! Aussi est-il un écrivain mélancolique, c'est-à-dire un artiste condamné à chercher inlassablement un objet perdu sans remède. Sans autre remède, en tout cas, que de continuer à lancer sa phrase à l'aveuglette, une phrase, puis une autre, et une autre encore. Chacune vient s'enrouler autour de ce centre absent. Cette recherche inquiète n'en est pas moins drôle. Le saturnien, par pudeur et pour la tenir à distance, retourne sa détresse en humour, constituant ainsi un mélange instable, mobile, capricieux. Nous avons donc suivi Réda dans sa course, d'un bord à l'autre de son oeuvre, tantôt de loin, tantôt presque au coude à coude. Nous aurions aimé le lui retrouver, cet objet perdu, et le lui offrir, à supposer qu'il existe. Rien n'est moins sûr. A défaut, ce petit livre d'accompagnement.
Rejetée du paysage intellectuel français depuis la Seconde Guerre mondiale, l'oeuvre de Maritain est une référence majeure dans la culture politique de la démocratie chrétienne d'Amérique du Sud. Une influence paradoxale, puisque Maritain s'est toujours défié des moyens impurs de la politique : philosophe chrétien de la démocratie au travers d'oeuvres comme Humanisme intégral ou Christianisme et démocratie, jamais il ne s'est voulu le philosophe de la démocratie chrétienne qu'il jugeait de manière sévère. Dans un premier temps, ce travail vise à analyser cette consommation politique du maritainisme, en déclinant dans la perspective d'une histoire comparée les différentes lectures qui ont été faites de Maritain par les élites catholiques sud-américaines, des années 20 à la charnière des années 60 et 70. Il s'agit notamment de montrer comment l'oeuvre du philosophe a rencontré l'horizon d'attente d'une génération de jeunes catholiques soucieux d'inventer de nouvelles formes d'engagement du chrétien dans la vie de la cité. Par ailleurs, parce que la réception du maritainisme outre- Atlantique est particulièrement polémique et suscite de nombreux débats, elle constitue un prisme utile pour décrire les lignes de faille qui parcourent le catholicisme sud-américain durant près d'un demi-siècle. Du renouveau catholique de l'Entre-deux-guerres jusqu'aux mutations post-conciliaires, le maritainisme ne cesse d'être une question disputée, qui témoigne du regard que portent les élites catholiques, dans leur diversité, sur la place de l'Église dans le monde moderne.
Réunissant dans une perspective interdisciplinaire les contributions de philosophes et de spécialistes d'analyse du discours, ce volume propose quelques pistes pour l'étude du dialogue philosophique considéré comme un genre textuel. Une philosophie ne saurait être comprise sans référence aux lieux et aux conditions de sa textualisation, aux formes du discours qui la mettent en oeuvre, aux genres qu'elle emprunte à la littérature, aux discours religieux, juridique, scientifique. Le dialogue philosophique est à ce titre exemplaire : son usage constant, comme pratique orale codifiée ou genre textuel (on connaît son rôle dans la philosophie antique depuis Platon, et son retour en force dans la culture de la Renaissance), en fait un objet d'étude quantitativement significatif, susceptible de donner lieu à des comparaisons, voire à certaines généralisations. Ce recueil souhaite favoriser une réflexion sur sa nature et ses fonctions, sur les méthodes d'investigation qui permettent d'en rendre compte en proposant des études de cas exemplaires chez des auteurs variés (Platon, Galilée, Descartes, Leibniz, Hume, Shaftesbury, Diderot) ou dans une période, un mouvement caractéristique : La Renaissance, le Libertinage érudit aux xviie siècle.
Dans un contexte de relatif désenchantement à l'égard du personnel politique, le maire fait exception : figure familière du paysage institutionnel, il continue à jouir d'une forte popularité auprès des citoyens. L'environnement socio-politique s'est pourtant considérablement transformé en quelques décennies : décentralisation, montée en puissance de l'intercommunalité, concurrence entre les territoires... Le rôle de maire s'est ajusté à ces bouleversements. L'univers municipal s'est professionnalisé, l'action publique s'est recomposée, de nouveaux acteurs ont pénétré la scène municipale... Ces transformations ne peuvent faire oublier la pérennité du travail symbolique accompli par ces élus : ils sont dans l'obligation, aujourd'hui comme hier, d'incarner le territoire, de faire exister la communauté des citoyens. Cette analyse du rôle de maire doit être complétée par une réflexion sur l'élection municipale. Au-delà de la législation en vigueur, il convient de prendre la mesure de la singularité de ce scrutin. Est-il politisé ? Quel rôle les partis politiques jouent-ils ? Comment les électeurs se déterminent-ils ? Quel est le profil des élus ? Cet ouvrage se veut d'abord une synthèse des travaux existant sur les maires français. Sans négliger la diversité de ce groupe (le maire rural n'est pas le maire urbain), il tente de concilier une approche en terme de vie politique et une approche en terme d'action publique. Ainsi pourra-t-on repérer les évolutions les plus manifestes qu'a connues le rôle de maire au fil des décennies, sans pour autant négliger la part d'inertie qui continue à le structurer.
De 1450 à 1830, les confréries occupent une place importante dans l'histoire sociale et religieuse des trois cités épiscopales champenoises de Reims, Châlons et Troyes. En suivant attentivement leur histoire sur près de quatre siècles, on parvient à saisir les raisons profondes de leur pérennité, mais aussi à éclairer les nécessaires mutations et transitions accomplies pour y parvenir. Ainsi, les interrogations et affrontements confessionnels du xvie siècle modifient considérablement les réseaux confraternels hérités du christianisme flamboyant et dessinent les contours d'un nouveau tissu associatif dominé par la confrérie de dévotion tridentine. C'est au milieu du xviiie siècle qu'une nouvelle étape de leur histoire se déroule, caractérisée par de nouvelles remises en question de leur rôle dans la cité. Temporairement interrompue par la Révolution qui les supprime en Août 1792, elle reprend dès l'adoption du Concordat de 1801 à Troyes et Châlons, sous la Restauration à Reims. Point de rencontre entre un clergé exigeant et des fidèles soucieux de vivre une piété toujours plus intérieure, favorisant aussi la dévotion familiale et féminine et oeuvrant également au succès des grandes dévotions universelles et locales, les confréries font figure de véritables écoles de piété dans la vie religieuse urbaine. Cette étude, originale par ses choix chronologiques et sa démarche comparée entre trois cités dont les histoires se croisent en permanence, est une intéressante contribution à la connaissance des tissus associatifs religieux anciens.
Depuis 2007, la crise financière a bien évolué et a donné lieu à un nombre considérable d'analyses et de commentaires. Beaucoup de pays ont vu leur économie redémarrer, avec des hausses parfois spectaculaires des marchés financiers. On sait toutefois que le marasme économique se poursuit, notamment en Europe du Sud et de l'Est, malgré des politiques monétaires incitatives ; maints comportements étant restés les mêmes, le monde n'est pas à l'abri d'une nouvelle crise financière encore plus violente que la précédente. Il est donc central de s'intéresser aux politiques d'investissement, c'est-à-dire du financement des anticipations d'activités, tant du point de vue des entreprises et firmes, que des financeurs eux-mêmes à travers leurs stratégies de gestion de portefeuilles. Dans ce contexte, nous proposons une réflexion critique du paradigme soutenant le modèle théorique de la finance moderne. L'Investissement Socialement Responsable (ISR) n'est pas seulement l'expression de la politique de gestion d'un portefeuille mais bien la déclinaison opérationnelle de la politique de Responsabilité Sociale de l'Entreprise (RSE) qualifiant sa politique d'investissement non financière, reflet de la conception qu'elle a de sa responsabilité citoyenne, sociale.
Comme il y a un secret de Monte-Cristo, il y a un secret d'Alexandre Dumas. Ce secret concerne l'identité de l'écrivain, et non plus les motifs qui ont dicté le choix du nom porté par le héros. Chacun de ses écrits, de façon éminemment cryptée, remonte à une origine « nègre » rebelle - sa grand'mère était esclave -, mais fait appel aussi à une origine « blanche » conforme - son grand-père était un hobereau normand parti chercher fortune aux Îles dans le sucre et la traite -, qu'il a décidé toutes deux de revendiquer. Le présent ouvrage explore les méandres suivis à travers l'oeuvre dans ce difficile jeu de bascule et met au jour ce qu'il en est de la véritable négritude d'âme et de peau assumée par Dumas. Il montre quels curieux substituts certains animaux totémiques offrent au fervent chasseur que celui-ci affiche être. Il découvre aussi par quelle « cuisine » la bête élue doit être apprêtée pour convenir au destin - au festin - symbolique qui est, de toute nécessité, le sien. Ce n'est donc pas pour rien que l'écrivain clot son oeuvre par un Dictionnaire de Cuisine. Une page est un plat, et la viande esprit, si l'encre est farine.
À la 61e minute, 25e seconde de la Mort d'Empédocle, un lézard fait irruption en bas du champ et disparaît d'emblée. Il faut s'exercer, la perception aux aguets, pour qu'il ne passe pas inaperçu. Mais une fois qu'on l'a vu, on ne regarde et on ne pense plus le monde comme avant. Car pour Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (et pour Rosa Luxembourg) le sort d'un petit reptile a autant d'importance que le sort de la révolution. Ce livre va ainsi à la rencontre d'une oeuvre au pluriel de ses textes, de ses musiques (la têtue géométrie cézannienne comme aplat géologique de l'image), et sans auteur fixe : le nom propre est « l'appréhension instantanée d'une multiplicité » (Deleuze) et celle-ci un événement qui continue aujourd'hui pour les Straubs. Chaque chapitre compose une carte mouvante, qui se répète et se modifie. Il s'agit d'une cartographie tout d'abord italienne, depuis les constellations des films-Pavese et Vittorini et d'un autre Dante exilé au paradis. Dès lors, on dérivera de l'ailleurs-dehors de l'Italie fasciste et « démocratique », post-fasciste (Fortini), à l'Allemagne nazie et « démocratique », post-nazie (Brecht), à l'Égypte nomadisée, mosaïque de Schoenberg, à ses révoltes trop tôt trop tard d'hier et d'aujourd'hui, à la Palestine hallucinatoire de Kafka... D'où l'interférence avec les visions de Godard ou encore avec le regard-désert d'Antonioni. Donc, un livre-carte, dont les Straubs ne sont pas les sujets mais les passeurs, jusqu'aux derniers films en numérique qui extériorisent un réalisme psychique terrifiant et vivant... Image roche, sur roche, contre le saccage du capitalisme planétaire. Un lézard.
Il est devenu courant de dénoncer les dérives de l'idéologie managériale. On constate néanmoins que leurs méfaits perdurent. Il reste encore à concevoir et développer une approche socialement responsable des sciences de gestion. Un tel défi nécessite de repenser des questions aussi centrales et variées que l'épistémologie des sciences de gestion, le rôle des instrumentations de gestion et des discours managériaux, l'interdisciplinarité et sa place dans la régulation d'une économie mondialisée génératrice d'inégalités croissantes. Un tel défi exige aussi d'interroger une pratique professionnelle dans laquelle l'encadrement de thèse constitue un enjeu majeur pour l'avenir de la recherche. À partir de la réflexion et de la posture incarnées par Julienne Brabet au travers de ses travaux et de sa pratique singulière de l'encadrement de la recherche, des spécialistes de comptabilité, de stratégie et de GRH plaident à leur tour pour des politiques et des pratiques de gestion au service des hommes et de la société, et pour une démarche scientifique et une vision du monde clairement affichées et assumées.
Née dans « le monde d'hier » cher à son compatriote Stefan Zweig, morte le 21 juin 1914 à la veille du déclenchement d'une guerre qu'elle appelle Weltkrieg, Bertha von Suttner témoigne d'un parcours hors du commun dans un moment crucial où s'amorcent les conflits générés par les militarismes et les nationalismes menant inexorablement à la catastrophe. Arpenteuse d'Europe, voyageuse du Nouveau Monde, elle voit dans « l'américanisation du monde » une raison de construire dans la paix et la coopération mutuelle une Europe en devenir capable de s'opposer à la « course à la ruine » du continent. Initiatrice de nombreuses institutions encore existantes - Tribunal international/Cour d'arbitrage de La Haye ou Bureau International de la Paix à Berne -, elle sera la première femme à obtenir le Prix Nobel de la paix qu'elle avait suggéré à Alfred Nobel, dont elle fut la secrétaire. Aristocrate très attachée à ses origines, devenue par son engagement public et ses « écrits de propagande » une travailleuse de la paix , Bertha von Suttner est aussi l'auteure du best-seller Die Waffen nieder!, vibrant plaidoyer contre la guerre salué par Tolstoï et qui fait entendre la voix des femmes dans le domaine de la guerre et de la paix. Par son itinéraire singulier, par ses choix et ses écrits, la Friedensbertha illustre l'entrée des femmes dans le domaine réservé de la politique et des relations internationales et permet une approche autre de l'histoire des femmes reconsidérée ici dans ses rapports avec le pacifisme et l'internationalisme.
Les transformations organisationnelles qui accompagnent l'évolution du capitalisme depuis 30 ans donnent une place centrale à la communication. Celle-ci est généralement appréhendée dans une optique descriptive d'étude des organisations, ou comme dispositif au service de la performance. Il existe cependant une tradition de recherche qui l'aborde dans une perspective critique. C'est à cette orientation que cet ouvrage est consacré : Qu'est-ce qu'une recherche critique en communication des organisations ? Quelles catégories de la critique (aliénation, exploitation, domination...) sont convoquées ? Quels sont les fondements théoriques et épistémologiques d'une telle démarche ? Quelles sont les méthodes utilisées ? Sur quels objets portent les travaux ? Et quels en sont les enjeux ? Sur ces thèmes, cet ouvrage a le mérite de réunir pour la première fois, et de faire dialoguer entre eux, plus de trente chercheurs de pays et de disciplines différentes principalement en sciences de l'information et de la communication, sciences de gestion et sociologie. Les orientations de la critique y sont variées : de la critique épistémologique à la critique socio-politique, de la critique d'une organisation particulière à celle du capitalisme, de la nuance prudente à la radicalité « ouvrante »... Son ambition est d'être une référence ou un repère, d'encourager le débat sur une démarche plus que jamais nécessaire. Il intéressera un large public : chercheurs, enseignants et étudiants en particulier en gestion, SIC ou sociologie des organisations ; acteurs impliqués dans le fonctionnement des organisations (syndicalistes, DRH, communicants...).
Quand Voltaire débarrassait la scène des Comédiens-Français, un équilibre nouveau s'imposait entre la scène et la salle. L'auteur devait charger la mémoire des comédiens d'un faisceau de recommandations destinées à conjurer un vide soudainement révélé. Aux premiers temps du Théâtre-Libre, André Antoine devait retrouver le problème du côté du metteur en scène. Le texte théâtral ne se réduit donc pas au texte littéraire. Alors, doit-on, peut-on conserver l'éphémère de la représentation ? D'entrée de jeu, le choix est inéluctable. Au xixe siècle, les régisseurs de théâtre, en ordre dispersé, relèvent le défi. Ils ouvrent entre Paris, la province et l'Europe les chemins divers du nouveau théâtre français. Mutualistes convaincus, ils constituent une association en 1911. Ils décident alors de projeter, dans une période économique difficile, qui aurait pu inciter au repliement sur les soucis quotidiens, une Bibliothèque de mises en scène dramatiques et lyriques qui va favoriser la circulation des oeuvres. Ils créent un véritable instrument de travail pour le technicien ou pour le chercheur. Ils servent ainsi l'avènement du metteur en scène et le triomphe de la mise en scène de création qui les entraînent à un professionnalisme croissant. Parallèlement, une distinction stricte s'opère entre le matériel « historique », toujours emprunté, et le dépôt légal de la création soumis progressivement à une règlementation rigoureuse. La Bibliothèque de mises en scène témoigne de la validité du choix initial, professionnel et résolument ouvert à des professionnels. L'ouvrage de Françoise Pélisson-Karro, conservateur en chef honoraire de la BnF, invite à entrer dans cet univers où se posent des problèmes, intellectuels et humains, qui nous concernent encore aujourd'hui.
Les dernières mines françaises de charbon ferment en 1990 dans le Nord-Pas-de-Calais, en 2004 en Lorraine. C'est la fin de la « civilisation du charbon », aux rudes effets économiques et sociaux. Au même moment, émerge pourtant une réflexion innovante qui ambitionne d'inventer le futur des anciens bassins charbonniers. Alors que, pendant plus de 200 ans, le charbon a été la principale source d'énergie et le puissant moteur de la croissance économique à travers le monde, la désindustrialisation progressive des bassins houillers constitue un choc pour les populations comme pour les territoires, souvent traumatisés. Alors même que l'État (central et/ou local), le « marché » et les différents acteurs de la société peinent à retrouver un équilibre leur permettant de jouer pleinement leur rôle. Des initiatives, à toutes les échelles, surgissent et renouvellent le rapport des hommes à leur territoire. Reprenant à leur compte le concept de « résilience » popularisé par Boris Cyrulnik, une trentaine de chercheurs en sciences sociales (historiens, géographes, économistes, aménageurs, sociologues, anthropologues, archivistes...) relèvent le défi et font de ces territoires de la mine un terrain d'analyses et d'expériences. Selon les cas, ils examinent les pratiques à l'oeuvre dans le passé, dressent le bilan des actions publiques et privées menées avant comme après la fermeture des puits, comparent les situations d'un pays, d'un continent à l'autre, proposant autant de pistes pour l'avenir.