« Ce livre n'est pas un livre de deuil. Le deuil, c'est après. [...] La vivacité du présent. Celle du sentiment. La trace que nous laissons aux autres. Ces particules de temps et d'affection mêlés demeurent en suspens. Ici, ce sont elles qui commandent, et avec elles, le souffle que sa mort m'a laissé au coeur. ».
Le récit s'ouvre un dimanche de septembre 2019, un dimanche où le père « concret et nébuleux à la fois » d'Emmanuelle Lambert, se prépare à mourir d'un cancer de l'ampoule, un organe situé à la tête du pancréas.
Et pourtant, ce livre est un livre de vie. C'est que, par une douce ironie des mots, il est à l'image de ce personnage de père à la « chaleur explosive » : « rétif à toute forme de rêverie fatiguée, car dans la fatigue se glisse un effritement possible, une voie pour la douleur et le doute ». Le duo du livre-tombeau et du père illumine tout sur son passage. Il n'y a pas de gris ici, mais les couleurs éclatantes du souvenir, du mange-disques seventies aux yeux de Dalida.
Poignant et solaire, émouvant et lumineux, mélancolique sans le poids du pathos, familial et universel, le récit d'une fille raconte le père : mais le père aurait peut-être voulu un garçon. À l'hyperactif soixante-huitard, au Dieu imprévisible de l'enfance, à l'ex-enfant triste qui joue jusqu'au bout de sa vie y compris en abordant aux rivages de la fin, répond une fille, qui se construit comme une femme. Avec une subtilité infinie, Emmanuelle Lambert traite dans ce livre de bien des thèmes, de l'intime au collectif, du masculin au féminin, et celle que son père, « le grand tonique » surnommait « Dudule », confirme l'écrivain de premier plan qu'elle est devenue.
Si l'on s'en tient aux faits, l'auteure passe la nuit du 7 au 8 mars 2020 au musée du Louvre, section des Antiques, salle des Cariatides, avec un sac en bandoulière dans lequel il y a, entre autres, une barre de nougat illicite.
Les faits, heureusement, ne sont rien dans ce livre personnel, original, traversé d'ombres nocturnes et de fantômes du passé, de glissades pieds nus sous la Vénus de Milo, ce livre joyeux et mélancolique, qui précise vite son intention : « Je suis venue ici cette nuit pour redevenir la fille de mon père. ».
Quel père, en fait ? Celui, biologique, né en 1951 dans un village du Monténégro, alors une partie de la défunte Yougoslavie, qui vient à Paris par amour, par fuite, pour voir le Louvre, une ville dans la ville, un père qui ne sait pas bien parler le français et voit tout en noir et blanc. Celui, plus probable, le père exilé à qui l'on a dit que « sa fille ne parlera jamais français », l'esthète-pilleur qui se promène l'air de rien avec sa fille Jakuta au Louvre, et lui demande, lui transmet en héritage : « Et toi, comment t'y prendrais-tu pour voler la Joconde ? ». En effet : comment ?
Même si l'auteure exprime que « la honte vous rassemble bien mieux que le reste », il serait aisé, après la lecture, d'affirmer que l'amour, celui réciproque d'un père pour sa fille unique, vous rassemble et vous tient debout. Comme la Vénus de Milo, les siècles durant.
Un « Double Nelson », c'est une prise de soumission en catch qui consiste à faire abandonner l'adversaire.
Tout commence par une séparation. Lui et Edith avaient vécu quelques mois d'amour intense jusqu'à ce que le métier de cette dernière - elle fait partie des forces spéciales d'intervention des services secrets - n'envahisse leur quotidien au point de le défaire. Sauf que quand, réchappée d'une mission qui a mal tourné, elle le prie de la cacher chez lui le temps de tromper l'ennemi à ses trousses, c'est sa vie qui bascule et son roman en cours d'écriture qui en prend un coup. Ces deux-là qui peinaient à vivre ensemble vont devoir réapprendre à s'apprivoiser, quand autour d'eux la menace terroriste se fait de plus en plus pesante.
« J'ai perdu le sommeil. Je me suis retournée sur mes pas et il ne me suivait plus. Il s'était détaché de moi, et j'errai sans lui dans la nuit. » Marie Darrieussecq souffre d'insomnie depuis des années, comme beaucoup d'entre nous. Elle raconte dans ce livre l'aboutissement de vingt ans de voyage et de panique dans la littérature et dans les nuits. Vingt ans de recours désespérés et curieux, parfois très drôles, à toutes sortes de remèdes, pharmacopée, somnifères, barbituriques, méditation, exercice physique, tests, chamanisme, technologie, recettes et expédients divers... Mais ce livre est surtout hanté par une question magnifique : « Qui est-ce qui ne dort pas quand je ne dors pas ? ». Pas dormir est ainsi une autobiographie d'un genre nouveau : raconter « l'autre qui ne dort pas » et qui est aussi soi. Marie Darrieussecq mène évidemment l'enquête dans la littérature : « J'ouvre les livres et tous me parlent d'insomnie. Woolf ! Gide ! Pavese ! Plath ! Sontag ! Kafka ! Dostoïevski ! Darwich !
Murakami ! Césaire ! Borges ! U Tam'si ! Sur tous les continents, la littérature ne parle que de ça. Comme si écrire c'était ne pas dormir. » Elle raconte ses voyages dans le monde entier, les chambres d'hôtel où le sommeil ne vient pas. Jusqu'au Rwanda, où la mémoire vive du génocide témoigne d'une autre insomnie : devant l'horreur.
L'insomnie nous éveille à l'altérité du monde : présences effacées, fantômes, espèces vivantes en voie de disparition, mondes perdus : « D'autres êtres ont les yeux ouverts. D'autres yeux regardent. L'insomnie se nourrit de ce sentiment confus : il y a autre chose ».
De nombreuses photos et reproductions de documents accompagnent le récit.
"Maintenant que j'ai des photos d'elle, peut-être qu'à les regarder attentivement les traits de son visage s'inscriront à rebours dans ma mémoire. Peut-être qu'à force de la regarder elle reprendra vie, dans une boucle des synapses de mon cerveau. A défaut de me souvenir, arriverai-je, enfin, à l'imaginer ? "Christine Détrez a perdu sa mère à deux ans et demi et n'entendra plus jamais parler d'elle.
Elle sera élevée par une autre femme, que de tout son coeur elle appellera maman. Devenue sociologue, épouse, mère à son tour, Christine Détrez s'autorise enfin le droit de savoir. Débarrassée de la peur et de la culpabilité, elle remonte avec ferveur le fil d'une vie, cherche, interroge, invente. A partir du souvenir d'un geste, celui d'une démarche, l'intonation d'un mot, mais aussi des comédies musicales qui ont bercé son enfance, elle érige le portrait d'une femme libre et passionnée, faisant ainsi de sa mère une véritable héroïne romanesque.
Entre enquête de terrain et coïncidences magiques, un récit littéraire fascinant qui pose la question de l'identité face aux silences et aux secrets de famille.
Peu après la parution d'Intérieur, description méthodique de son appartement, Thomas Clerc s'est aperçu qu'il avait oublié une pièce : la cave. Il se rend alors dans les sous-sols de son immeuble et découvre, derrière les murs délabrés, un passage secret.
Cave est une descente mentale dans le monde du sexe. Une sorte de brain porn, si le genre existait.
Dans ce troisième volet d'un cycle amorcé par Les Enfances Chino (2013), Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), Chino visite les jardins de son enfance. Ce livre est un roman mais rien n'est chronologique. Entre 1950 et 2019, les époques se mêlent. N'apparaissent que des mondes furtifs, des souvenirs à trous. Tout se forme et se déforme dans une langue qui passe sans crier gare de l'élégiaque larmoyant au mirliton comique, du savant au populaire, du français grand style aux argots.
C'est aussi un grand éloge du jardin. Pas de lieu plus fini qu'un jardin : clos, cadastré, et aucun qui soit davantage capable d'infini. Dans tous passent les odeurs, les couleurs et les bruits qui font resurgir par associations sensorielles la matière d'une vie. Dans ce monde « merveilleux » tout parle, les morts comme les vivants ; même les arbres, les sangliers, les biscottes, la confiture, le café au lait, la lune, les étoiles et les cailloux. L'Histoire s'y déploie parce qu'au fond du décor passent des personnages qui en portent les stigmates. En 1956, à la gadoue du jardin désaffecté de J., ex-parachutiste d'Indo, se superposent les tas de boue de Diên Biên Phu. En 1957, un réveillon en famille au bout d'un lopin glacé fait sortir des sabots des grands-parents les génies de leur monde rural agonisant ; quelques photos de morts ramènent des souvenirs de 14-18 ; la guerre d'Algérie s'incruste à cause de cousins absents, envoyés aux Aurès par la IVème République. Chino au jardin est aussi le conte d'une vocation : « Ferastu poète ? » Aragon et André Breton reviennent tout salés de la pêche à pieds. Francis Ponge reçoit en short dans son bois de pins. Sur l'estran barbotent quelques Têtes-Molles : René Char, Saint-John-Perse, Eluard.
Rome, fi n des années 1960. Leo Gazzarra, milanais d'origine, est depuis quelques années installé dans la capitale. Il vit de petits boulots pour des revues et des journaux. Viscéralement inadapté, dans un monde où il ne parvient pas à trouver sa place, il se laisse aller à des journées qui se ressemblent et à des nuits souvent alcoolisées. Leo n'en veut à personne et ne revendique rien. Le soir de ses trente ans, il rencontre Arianna, une jeune femme exubérante à la fois fragile et séductrice. Sûre de sa beauté mais incapable d'exprimer ses véritables sentiments, Arianna est évanescente. Elle apparaît et disparaît, bouleversant le quotidien mélancolique d'un homme qu'elle aurait peut-être pu sauver de sa dérive existentielle.
Dans ce premier roman, paru pour la première fois en Italie en 1973, Gianfranco Calligarich évoque les cercles intellectuels et mondains de l'époque tout en dressant le portrait d'un homme qui cherche un sens à sa vie. Une histoire d'amour et de solitude, récit d'un renoncement tranquille, qui nous plonge dans une Rome solaire, magnétique.
Louise Glück compte depuis longtemps parmi les voix majeures de la poésie contemporaine outre-Atlantique. Son oeuvre, née de l'expérience et de la voix d'une femme, traverse le féminin tout en lui résistant car la biographie, quand elle a eure dans ses poèmes, ne subsiste que comme trace : l'événement, déjà passé au tamis du langage, laisse place à sa profondeur, à son interprétation, à l'interrogation.
Le jardin où l'on croise furtivement John, un mari qui cultive des plants de tomates, ou encore un fils, Noah, prend ainsi dans L'iris sauvage une dimension biblique et mythologique pour finalement devenir l'espace imaginaire où se déploie une vaste polyphonie. Louise Glück y fait entendre à la fois la voix des fleurs interpellant leur Créateur, celle de ce même Créateur se penchant sur sa Création, et la voix humaine questionnant sa propre finitude, notamment par un regard distancié sur la vie quotidienne. Dans cette chambre d'échos métaphysique, on trouvera portée à son comble une poétique de la renaissance qui est au coeur de l'oeuvre glückienne.
Par une écriture qui emploie le langage de tous les jours, sublimé par le travail du vers et par les multiples résonances au sein des poèmes, où précision, coupes abruptes, ellipses tendent à souligner l'acuité de sa vision, Louise Glück parvient à dire la beauté tragique de toute vie sur terre, le temps d'une floraison.
Ce recueil d'une originalité incomparable, à la composition parfaite, a été récompensé du prix Pulitzer de poésie à sa parution en 1992 et a marqué un tournant décisif dans l'oeuvre de Louise Glück.
Depuis la parution de son premier recueil en 1968, Louise Glück n'a eu de cesse de réinventer son art, tout en créant une voix immédiatement reconnaissable, par son mélange de retenue et d'affirmation, son lyrisme visant l'universalité. Dans Nuit de foi et de vertu, paru aux États-Unis en 2014 et récompensé par le National Book Award for Poetry, Louise Glück utilise, en apparence du moins, les ressources de la narration, subtilement détournées au profit de sa poésie, pour explorer le mystère du commencement et de la fin d'une histoire, qui peuvent être aussi ceux d'une vie.
Ce sont des fragments de récit, mêlant impressions fugaces et détails, qui se répètent et se font écho. Le je qui raconte un souvenir surgi de son passé peut être celui d'une femme dans un poème, puis d'un homme dans le suivant. D'ailleurs s'agit-il d'un moment vécu ou d'un rêve ? Car la forme d'épopée intime propre au rêve, dont les libres associations viennent sans cesse dévier la trajectoire, semble se confondre avec celle du poème. Dans une écriture d'une grande musicalité, dont la beauté vient en partie de l'extrême simplicité, d'amples visions poétiques se déploient, portées par des voix toujours au bord de la confession. Dans cette partition magistrale, Louise Glück parvient une fois de plus à restituer à l'expérience humaine toute son énigme.
La vie d'une trans : un an de leur vie équivaut à sept années « normales ». Tante Encarna a 178 ans et porte tout son poids sur ses talons aiguilles au cours des nuits de la zone rouge du Parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. La Tante - gourou, mère collective avec des seins gonflés d'huile de moteur d'avion - protège et partage sa vie avec d'autres membres de la communauté trans, sa sororité d'orphelines, résistant aux bottes des flics et des clients, entre échanges sur les dernières télénovelas brésiliennes, les rêves inavouables, amour, humour, tendresse, et aussi des souvenirs qui rentrent tous dans un petit sac à main en plastique bon marché. Une nuit, entre branches sèches et roseaux épineux, elles trouveront un bébé abandonné qu'elles adopteront clandestinement. Elles l'appelleront Éclat des Yeux.
Premier roman fulgurant, sans misérabilisme, sans autocompassion, Les Vilaines est un geste esthétique et politique qui raconte la fureur et la fête d'être trans. Avec un langage luxuriant, ce livre est un conte de fées et de terreur, un portrait de groupe, une relecture de la littérature fantastique, un manifeste explosif qui nous fait ressentir la douleur et la force de survie d'un groupe de femmes qui auraient voulu devenir reines mais ont souvent fini dans un fossé. Un texte qu'on souhaite faire lire au monde entier.
Dans son Nebraska natal, Rusty, victime des petites frappes de son école, s'évade en collectionnant les figurines de super héros. Lorsque Chalky White arrive dans son école, les deux enfants très proches se lient d'amitié. La première partie d'un récit choral vertigineux qui retrace la vie de multiples personnages émouvants et pathétiques...
Qui est Jusep Torres Campalans, cet illustre méconnu méritant une si magistrale biographie? Un peintre catalan ayant rejoint son ami Pablo Picasso sur la butte Montmartre à l'aube du XX? siècle, pionnier du cubisme, jalousé par Juan Gris mais fort apprécié d'Apollinaire et de Mondrian. Conjuguant anarchisme et foi catholique, il a mis fin à sa carrière de peintre en 1914, les origines allemandes de sa compagne précipitant son exil au Chiapas (Mexique) où il va cultiver un art de vivre hédonique auprès des Chamulas. C'est là que Max Aub aurait rencontré ce personnage légendaire, un être propice à la fiction. Et pour cause, puisqu'il n'a jamais existé hors cette supercherie littéraire.Y. P.
On a peine à considérer comme de l'histoire un mouvement qu'on a vu naître, prospérer puis disparaître, laissant quelques grands noms sur le rivage : Butor, Robbe-Grillet, Sarraute, Simon, d'autres ... Ce sont en effet cinquante ans d'histoire du roman qui revivent ici, dans ces échanges heureusement préservés à la BnF et édités avec précision et subtilité. Comme dans un ballet, on voit les amitiés se tisser puis se dénouer. Le volume offre une grande variété de lettres portant sur des sujets pratiques, personnels, littéraires et philosophiques : 243 missives. Un index, une table chronologique et une bibliographie complètent le volume. Il y eut bien un moment, un mouvement, du nouveau roman, quoi que chacun en ait dit plus tard. L'espace de quelques années, les marques d'encouragements, les rencontres, les soutiens, les lectures réciproques furent suffisamment intenses et réguliers pour qu'on affirme qu'un mouvement se développa bien entre eux. Michel Butor, Claude Mauriac, Claude Ollier, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute sont les protagonistes de cette aventure épistolaire du nouveau roman. Cet ouvrage inédit permet de répondre aux trois questions suivantes : y a-t-il eu un véritable mouvement littéraire autour de ce nom ? Qui en faisait partie ? Comment a-t-il vécu ? La publication d'une correspondance d'auteurs à sept voix est une entreprise très nouvelle. Lire les lettres comme des documents historiques nous aide à situer l'oeuvre dans la carrière d'un écrivain, révèle des réactions des critiques et des proches, donne un sens approfondi de l'histoire littéraire du Nouveau Roman. En outre, certaines lettres peuvent être considérées en elles-mêmes comme une oeuvre à part entière, grâce à 'un style épistolier unique. On revivra toute l'histoire en quatre parties : I. Avant le nouveau roman : premières explorations, premiers contacts (1946-1956) II. Le moment nouveau roman (1957-1962) III. À partir des années 60 : IV. Détentes et vieilles amitiés (1971-1999). Jusqu'à la dernière lettre du recueil, où Nathalie Sarraute, à 98 ans, signe une lettre à Michel Butor, « votre vieille amie », tous expriment, par le biais épistolaire, les difficultés de leur vocation, l'admiration pour la persévérance des autres malgré les obstacles. C'est cela le plus émouvant : chacun a rencontré, dans une émouvante fraternité, une écoute et une voix qui les comprennent. Édition établie, présentée et annotée par Carrie Landfried et Olivier Wagner
Un pays non nommé se relève avec peine d'une sombre décennie de guerre civile. Afin de commémorer l'armistice tant attendu, le gouvernement ordonne la construction d'une route reliant le Sud dévasté à la capitale du Nord victorieux. Deux entrepreneurs étrangers ont pour mission de goudronner en quelques jours ce chemin long de plusieurs kilomètres, après quoi sera organisée une grande parade où les gens du Sud se rendront au Nord en empruntant cette nouvelle voie. Mais la cohabitation entre ces deux hommes que tout oppose ne sera pas simple, et la nouvelle alliance entre les deux parties de la nation semble trop belle pour être vraie.
Avec La parade, Dave Eggers questionne brillamment la valeur des tentatives de reconstruction par ceux-là mêmes qui sont à l'origine du carnage, et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.
Comment est né le football féminin en Angleterre ? Par ce hasard qui ne fait jamais rien au hasard. Le 6 avril 1917, à la pause déjeuner de l'usine de munitions Doyle & Walkers, à Sheffield, Royaume-Uni, Violet Chapman, ouvrière, prise d'une inspiration subite, donne un coup de pied dans l'espèce de balle qui se trouve au milieu de la cour en briques rouges de 330 pieds de long par 240 pieds de largeur.
Aussitôt, les dix autres femmes présentes lâchent leur casse-croûte et se lèvent du muret où elles étaient assises en rang d'oignons pour se mettre à courir aussi. Ce simple coup de pied aurait pu les tuer. Car la balle est un prototype de bombe légère destiné à calculer la trajectoire de chute, avant de massacrer l'ennemi. Mais la bombe n'explose pas. C'est leur coeur qui explose. Ce coup de pied vient de leur sauver la vie, à toutes.
Dans la chaleur exaltante de l'été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Sac au dos, elle traverse les États-Unis et se retrouve à Los Angeles, où elle fait une rencontre qui bouleversera sa vie : par le plus grand des hasards, la voici à la table du célèbre cinéaste hollywoodien Billy Wilder, dont elle ne connaît absolument rien. Quelques mois plus tard, sur une île grecque transformée en plateau de cinéma, elle retrouve le réalisateur et devient son interprète le temps d'un fol été, sur le tournage de son avant-dernier film, Fedora. Tandis que la jeune femme s'enivre de cette nouvelle aventure dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne. Conscient que sa gloire commence à se faner, rejeté par les studios américains et réalisant un film auquel peu de personnes croient vraiment, il entraîne Calista sur la piste de son passé, au coeur de ses souvenirs familiaux les plus sombres.
Roman de formation touchant et portrait intime d'une des figures les plus emblématiques du cinéma, Billy Wilder et moi reconstitue avec une fascinante précision l'atmosphère d'une époque. Jonathan Coe raconte avec tendresse, humour et nostalgie les dernières années de carrière d'une icône, et nous offre une histoire irrésistible sur le temps qui passe, la célébrité, la famille et le poids du passé.
Comme souvent dans les récits de David Grann, un homme est dévoré par son idéal.
Ce personnage d'un autre temps sorti tout droit d'un film de Werner Herzog, se nomme Henry Worsley. The White Darkness raconte son extraordinaire histoire. Celle d'un militaire britannique fasciné par l'exemple d'Ernest Shackleton (1874-1922) et par ses expéditions polaires ; un homme excentrique, généreux, d'une volonté exceptionnelle, qui réussira ce que Shackleton avait raté un siècle plus tôt : relier à pied une extrémité du continent à l'autre. Une fois à la retraite, il tentera d'aller encore plus loin en traversant l'Antarctique seul, sans assistance.
Il abandonne tout près du but, dans un état de santé tel qu'il meurt quelques heures après son sauvetage. Édifiant destin d'un homme perdu par une quête d'impossible, qui n'est pas sans rappeler Percy Fawcett, autre explorateur guidé par une obsession, dont David Grann avait conté l'histoire dans La Cité perdue de Z.
«Tout le monde a son Antarctique», a écrit Thomas Pynchon, rien n'est moins vrai dans ce récit magnifique qu'on ne peut lâcher avant de l'avoir accompagné à son terme.
Qui est cet homme déchu qui accepte de répondre aux questions d'un écrivain ? Un architecte jadis puissant, riche et célèbre. Les mots d'ordre qui ont régi sa vie : jouer, s'amuser, gagner. Ses jouets ? Les tours des Amoreiras, qu'il a conçues et qui surplombent Lisbonne. Mais aussi les femmes, auxquelles il impose des jeux sexuels et qu'il filme dans des positions dégradantes. La partie prend fin quand ces enregistrements lui sont dérobés. L'onde de choc se propage dans l'opinion publique : le Brutaliste est traîné dans la boue et les Lisboètes s'indignent ou se gaussent. Trente ans après l'affaire, son nom provoque toujours le malaise au Portugal.
Le Brutaliste est le récit de l'ascension d'un homme, puis de sa chute spectaculaire. Le narrateur entraîne le lecteur à partager avec lui l'attirance et la répulsion qu'il éprouve pour le « monstre ». Avec une lucidité dérangeante, il observe également la jouissance de ceux qui regardent les hommes tomber.
Écrit avec une grande élégance, ce texte se présente comme une déambulation dans Sienne, au coeur de la Toscane. Après le succès de La terre qui les sépare, Hisham Matar décide de se rendre pour un mois dans cette ville qu'il a évitée pendant plus de vingt ans et qui, contre toute attente, lui révélera une part de lui-même.
Bien plus qu'un portrait de Sienne, c'est avant tout le récit d'un homme qui marche et se souvient. Rencontres et réflexions en rythment le cours, et la ville devient alors un support à la rêverie et à l'introspection. Ses pensées abolissent la distance et dévoilent une architecture secrète du souvenir, une géographie mentale où Sienne, Rome et Tripoli ne feraient qu'un, et où les disparus seraient à nouveau présents.
Ponctué de tableaux de l'école siennoise, ce livre se présente comme une invitation au voyage et une bouleversante réflexion sur l'art et la littérature, ces élans pleins d'espoir qui nous relient à ceux qu'on aime et offrent un espace où retrouver ceux que l'on a perdus.
Jim Carrey est une star de cinéma adulée. Il a beaucoup de succès, on envie sa réussite et ses privilèges. Mais il est très seul. Il commence à vieillir, il prend du poids. Il passe des nuits à chercher de l'affection auprès de ses chiens de garde entraînés par le Mossad et à regarder des documentaires improbables sur Netflix. Il a tout tenté pour sortir de sa déprime : les régimes, les gourous, et même les bons conseils de son cher ami, acteur et collectionneur de crânes de dinosaures Nicolas Cage.
Rien ne va, jusqu'au moment où il croise la route de Georgie. C'est l'amour de sa vie, il le sait, il le sent. Charlie Kaufman, scénariste de Dans la peau de John Malkovich, lui propose alors un rôle dans un film d'un nouveau genre, un film qui repousse toutes les limites existantes et qui lui permettra sûrement de remporter un Oscar.
On dirait que l'horizon s'éclaircit enfin...
Mais l'univers a d'autres plans pour Jim Carrey...
Mémoires flous est bien un roman, qui interroge la notion d'identité. Jim Carrey et Dana Vachon ont écrit un livre hilarant, démesuré, cataclysmique par moments, qui dresse un portrait en creux plus vrai que nature de Carrey l'acteur, et de Hollywood. Satire mordante de la société du spectacle, et « semi-autobiographie », Mémoiresflous est un roman inclassable, comme Jim Carrey !
Par un dimanche soir de 2022 où doit se jouer le «Super Bowl», cinq amis se sont réunis pour l'occasion alors qu'une catastrophe semble avoir frappé le monde autour d'eux. Toutes les connexions numériques viennent d'être coupées et, dans le huis clos de l'appartement de Manhattan, les mots se mettent à tourner à vide. La vie s'échappe, mais où ? Et le silence s'installe. Jusqu'à quand ? Un roman percutant qui tombe à point nommé et prend la forme d'une saisissante conversation sur notre humanité, orchestrée par l'une des voix les plus éblouissantes et essentielles de la littérature américaine.
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« Tu as coupé à un nombre conséquent d'enterrements, petite veinarde. Tu as échappé à tous ces coups qui un par un nous assomment et nous laissent comme des boxeurs groggy dans l'attente du gong final, tu as échappé aux plaintes et aux gémissements, partie avec sagesse et un brin de désinvolture dans la pleine force de tes vingt ans, nous laissant aux tracas des deuils, des héritages, de l'absence, des tristes lendemains. » En publiant Une amie de la famille, récit centré sur la mort de ma soeur Annie et le silence qui dès lors a enseveli ma famille, je n'imaginais pas que ce livre allait provoquer tant de réactions, révéler tant de coïncidences, amener tant de retrouvailles, de surprises, de découvertes. Tous ces signes attestaient de la puissance de l'écriture, de ce qu'elle rend possible, de ce qu'elle délivre ou dénoue. Alors j'ai décidé de dire à Annie ce que les vivants m'ont raconté d'elle, de lui montrer à quel point elle est restée présente. Je lui confie ma vie faite de rencontres, de livres écrits ou lus. Je mêle mes traits aux siens et à ceux des amis disparus. « La vie des morts », disait notre père, persuadé que sa femme et sa fille continuaient de lui parler. Ce n'était pas un songe de vieillard, c'était la simple vérité.